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Chapitre 3 Présentation des concepts de santé et d’éducation à la santé

12. La santé positive : le modèle global

La rupture avec le modèle de santé linéaire est mise en évidence par la définition de l’OMS (1946) qui va donner de la santé une définition positive à laquelle on se réfère encore aujourd’hui : « La santé est un état de complet bien-être physique,

social et mental et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Cette définition présente l’avantage d’aborder la personne avec une approche globale, conception qui s’oppose à l’approche biomédicale alors dominante. Elle introduit la notion de bien-être ce qui a pour effet d’inclure la notion de subjectivité. C’est la personne elle-même qui peut juger si elle se sent bien ou pas car personne ne possède de critères objectifs pour déterminer le niveau de bien-être de l’autre.

Cependant, plusieurs auteurs ont souligné les limites d’une telle définition (Bury, 1988), en particulier son caractère utopique. Qui peut prétendre se trouver dans un état de complet bien-être ? Il est très difficile de déterminer un dysfonctionnement du corps surtout si celui-ci est d’ordre psychologique ou social et vouloir se mettre d'accord sur ce que constitue véritablement le bien-être est irréalisable car l'état de bien-être peut faire référence à n'importe quel état éthique, philosophique ou spirituel.

En fait, cette définition s’inscrit davantage comme une orientation donnée par l'OMS pour définir la santé : « la santé ″positive″ est une utopie qu'il est peut-être

valable de poursuivre, même si elle est essentiellement inaccessible : ″Une fois que ses besoins biologiques essentiels sont satisfaits, l'homme développe d'autres

moment où il n'a plus besoin de se battre pour son pain, il se met à poursuivre des satisfactions non essentielles.″ » (Dubos, 1979 cité par Bury, 1988, p.17).

Cette réflexion s’inscrit dans les travaux de Maslow (1970) et la pyramide des besoins où l’être humain est considéré comme un être de besoin qui cherche à satisfaire chaque besoin d'un niveau donné avant de penser aux besoins situés au niveau immédiatement supérieur de la pyramide, composée de cinq niveaux : les besoins physiologiques (manger, boire, dormir, ...), de sécurité (du corps, de l'emploi, de la santé, ...), les besoins sociaux (amour, amitié, appartenance, …), les besoins d’estime (confiance, respect des autres et par les autres, estime personnelle) et les besoins d’accomplissement personnel (morale, créativité, résolution des problèmes...). Le besoin naît, d’une part, de la nécessité de posséder ou de consommer certains objets pour vivre et, d’autre part, des expériences sociales de l’enfant et de l’univers culturel de l’adulte. Ces besoins engendrent des motivations qui apparaissent comme des raisons que l’individu se donne pour agir. Maslow affirme que les besoins sont hiérarchisés ce qui signifie qu’un besoin supérieur ne peut être vraiment satisfait que dans la mesure où les précédents le sont (Bernoux, 1985).

La définition de l’OMS présente le risque de faire reposer le bien-être de la personne sur elle-même sans tenir compte de l'environnement dans lequel elle évolue :

« les rares individus qui possèdent en eux les capacités d'atteindre une forme

physique exubérante, d'établir des relations sociales significatives, de réussir à mener avec calme et satisfactions des tâches où ils s’accomplissent, ces rares individus vont inévitablement former une élite, détournant l'attention des souffrances de la majorité de ceux qui se trouvent limités par des circonstances sociales et environnementales défavorables » (Tones, 1986, p.33).

La deuxième critique que l'on peut lui faire est liée à l’absence de prise en compte de l’instabilité des interactions entre la personne et son environnement physique, social et mental. Le terme « état », dans la définition, renvoie à un caractère statique de la santé alors qu'il semble préférable de parler d'équilibre, à préserver, qui n'est jamais définitif. L'homme « se transforme au fil de la vie et même ces

caractéristiques biologiques sont soumis à des variations. Son bien-être va donc dépendre de sa façon de réagir à tous ces changements » (Sandrin Berthon, 1997, p.15) La santé n'est pas un état mais un processus dynamique qui va permettre à

chaque individu de trouver un équilibre le plus harmonieux possible dans un contexte social donné. Il existe une relation étroite entre l'individu et son milieu de vie dont les incidences sur la santé sont fondamentales : une personne peut être considérée comme ″normale″ dans un environnement donné et ″anormale″ ou pathologique dans des conditions de vie différentes. Se pose alors la question de la normalité et de sa définition en santé.

G. Canguilhem (1966) va s’interroger sur le concept de santé en définissant le pathologique, non pas comme le contraire de la norme, mais comme le contraire de la santé. Pour lui, le vivant se définit par sa normativité, c'est-à-dire par sa capacité à créer des normes qui l’individualise. Vivre, c'est faire des choix et en exclure d’autres, ce qui signifie poser des normes qui vont déterminer ce qui est valorisé et ce qui est rejeté pour que le vivant puisse se maintenir et se développer. C'est à partir de la normativité, c’est-à-dire la capacité à poser des normes, que l'on peut définir ce qui distingue le normal et le pathologique. Il existe un lien entre la normalité et la normativité si le pathologique est défini par une réduction de cette normativité : il n'est pas absence de normes (et c'est pourquoi il n'est pas le contraire du normal) mais il réduit à une norme unique de vie. Or, être en bonne santé, c'est pouvoir se confronter à des situations nouvelles et même se permettre de tomber malade. Par contre être malade, c'est avoir un milieu de vie rétréci, c'est devoir se préserver. C'est pourquoi, « le propre de la maladie, c'est d'être une

réduction de la marge de tolérance des infidélités du milieu » (Canguilhem, 1966, p.132). Être en bonne santé, c'est donc plus qu'être normal, c'est pouvoir s'adapter à des changements de son milieu. On ne peut donc pas comprendre le normal et le pathologique sans s’intéresser au milieu dans lequel l’être vivant évolue. C'est par rapport à un milieu qu'un être vivant peut être qualifié de normal si ses normes de vie lui permettent de se maintenir et de se reproduire. « Ce qui est normal, pour

être normatif dans des conditions données, peut devenir pathologique dans une autre situation, s’il se maintient identique à soi » (ibid., p.119).

De plus, la moyenne ne définit pas la norme. G. Canguilhem cite l’exemple de la glycémie chez les « noirs d’Afrique », en expliquant que ce qui pour les Européens constituerait de graves hypoglycémies presque mortelles est supporté sans trop de troubles par des Africains, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de mesure

G. Canguilhem, dans une seconde partie intitulée Nouvelles réflexions concernant

le normal et le pathologique, écrite entre 1963 et 1966, va explorer la question des normes sociales. Contrairement aux normes vitales, qui sont internes et qui vont de soi pour l’organisme, les normes sociales s’imposent de l’extérieur. L’auteur en vient à dégager à côté de la normativité biologique, une normativité sociale, c’est-à-dire une capacité à poser des normes sociales, expression d’une volonté collective (Halpern, 2004).

Pour M. Tubiana (2004), la santé est un moyen qui permet d'atteindre un épanouissement individuel afin de s’adapter à ses conditions de vie et ainsi pouvoir s’insérer de manière satisfaisante dans la société et contribuer à son propre bien-être et à celui des autres. « La santé est un moyen de se réaliser » (Tubiana, 2004, p.7). Pour affronter les aléas de la vie, il est important d'éduquer son corps car si celui-ci fonctionne bien, il est une source de satisfaction intellectuelle et d’estime de soi. Pour avoir envie de lutter pour sa santé, pour donner un sens à sa vie, il faut se projeter dans l'avenir et ne pas se laisser submerger par les difficultés du quotidien, il faut savoir renoncer aux petites satisfactions immédiates pour ne pas compromettre son futur car « la santé n'est

pas un don de la nature mais une conquête de la civilisation » (ibid.,p.10).

L’OMS, en 1982 va définir la santé par rapport à la capacité d’adaptation du sujet à son environnement sans que cette adaptation diminue les capacités vitales du sujet qui pourra y puiser de nouvelles possibilités pour son développement. L’adaptation à son environnement est individuelle et le sujet est alors considéré comme acteur de sa santé. E. Cotton (1982) définit la santé en tant que potentiel où la notion de bien-être est mise en avant, ce qui souligne la place importante de la subjectivité du sujet.

Pour E. Berthet (1983), trois principes doivent se retrouver dans le modèle de la santé positive :

- un équilibre harmonieux entre la satisfaction des besoins de la personne et l’évolution de l’environnement ;

- une sensation de plénitude ;

- une acquisition génétique et le développement éducatif d’un potentiel de réserve pour lutter contre les agressions de l’environnement.

Cependant, dans ce modèle, la vie est sacralisée au détriment du sujet humain qui devient alors un objet à contrôler, à régulariser, alors que des besoins de santé sont créés pour aboutir à une santé totale, « Acteur de sa santé, le sujet a donc un rôle

à jouer pour maintenir, protéger ou reconquérir son potentiel santé, sa qualité de vie. Le rôle est guidé voire dirigé par les professionnels de la santé, les pressions sociales et la politique nationale, voire internationale » (Eymard, 2004, p.18). En insistant sur le fait que la santé est subjective et dépend du ressenti de chacun en fonction de l’environnement dans lequel il évolue, la complexité des facteurs en jeu est mise en évidence : cela souligne la rupture avec le modèle global de santé où prédomine une idée de contrôle des comportements pour les rendre normatifs et cela aboutit au modèle d’un sujet autonome ouvert sur le monde.

13. La santé comme capacité de vivre une vie possible : le modèle