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Des salariés et des employeurs engagés

Les conseillers prud'hommes : portrait de groupe

SALARIES organisations

3. Des salariés et des employeurs engagés

De part le fait qu’ils soient élus, les conseillers prud’hommes sont d’abor des militants, c’est- à-dire des individus engagés dans des organisations syndicales et professionnelles, qui les présentent et les soutiennent. Ainsi, comprendre comment ils sont sélectionnés et perçus comme de « bons candidats » à la candidature est un préalable pour ensuite comprendre les conditions de leur engagement syndical.

a) Le processus de sélection

Les organisations syndicales ont pour rôle de constituer des listes, c’est-à-dire de solliciter des candidatures. Pour ce faire, elle se doivent de respecter un certain équilibre entre l’âge, le statut, l’activité, l’entreprise… Et dans ce cadre, elles doivent sélectionner entre plusieurs candidatures possibles celles à retenir.

Comme le rappelle ce conseiller prud’homme, s’occupant avec d’autres à l’union départementale de la CGT de constituer les listes de candidats, « il y a tout un travail de

recueil des candidatures et puis de sélection des candidatures ». Ce travail s’effectue pour

chacune des sections et plus ou moins facilement selon l’implantation syndicale : « Il y a des

sections où la sélection est vite faite parce qu’il n’y a pas trop de candidats, il y a juste assez de nombre de candidats (…) Dans l’industrie on n’a pas de problème pour trouver des candidats, on a un volant de candidats assez important… En commerce, c’est plus difficile… parce que le commerce c’est la SNCF, c’est les transports en commun municipaux, c’est les banques (…)Par contre dans le commerce traditionnel, grandes surfaces, plus difficile parce que main d’œuvre plus féminine avec tout ce que ça comporte de difficultés qui peut se rencontrer, travail à temps partiel, taux de syndicalisation pas extraordinaire… donc difficultés. Alors bien sûr, si on voulait, on pourrait avoir des conseillers de la SNCF, des transports en commun et des banques. (…) Mais en ce qui concerne la CGT, la volonté c’est d’avoir une représentation qui corresponde aux métiers du commerce, alors effectivement de la SNCF, effectivement des transports, effectivement des banques, Caisse d’épargne et autre, mais aussi au-delà. Alors on a des copains de la Sodexo par exemple, on a un copain qui travaille à l’aéroport, on a une copine de Carrefour mais on a des difficultés dans les grandes surfaces pour trouver des candidats. Alors on essaie de trouver mais c’est pas simple. » Pour les sections où il y a plus de candidats que de places à pourvoir (nombre

d’éligibles calculés en fonction des scores antérieurs), la sélection prend en compte d’autres critères : « on essaie de regarder femme, homme et catégorie ».

Surtout, les listes doivent reproduire l'ensemble des équilibres syndicaux internes, qu'il s'agisse des rapports entre les fédérations ou de la place des grandes entreprises présentes dans le tissu économique local. Même si les interviewés ne sont pas toujours très explicites sur le mode de constitution des listes, il semble qu'il y ait un premier travail de « dépistage » de la part des syndicats professionnels proposant les noms des volontaires, puis une sélection, au niveau de l'Union départementale, réalisée par les leaders locaux et les responsables prud'homaux. Dès lors, une liste doit tenir compte des équilibres politiques internes à la confédération. Comme le dit un militant de la CFDT président de section d'un grand conseil :

« ça fait beaucoup de paramètres, on fait des paramètres, ils sont pratiquement millimétrés... et puis parfois ça tombe au moment d'un congrès professionnel (rires) et puis... 'je peux mettre celui-là', 'non tu peux pas mettre celui-là parce que tu comprends...' enfin on sait faire ; je dis pas qu'on fait bien mais on sait faire. »

De même, une autre exigence, commune à l'ensemble des organisations, est de mettre en valeur des militants d'entreprise. Le « bon » conseiller prud'homme est un militant fidèle à son organisation, et en même temps encore présent dans le monde du travail. On retrouve alors l'angoisse syndicale face aux « professionnels des prud'hommes » et aux « électrons libres », susceptibles de s'autonomiser de leur organisation pour devenir des juges ou des avocats sans

identité militante209. Lorsque l'on interroge les conseillers prud'hommes sur la constitution des

listes, tous reviennent sur cette exigence d'une proximité toujours forte au monde du travail et à leur syndicat, comme par exemple ce militant de la CGT d'un conseil d'une ville moyenne, qui fut conseiller plusieurs décennies et est aujourd'hui formateur : « Il faut qu'on ait des gens

qui soient déjà militants. Ça commence déjà à ce niveau là. Il faut des gens qui soient dans les entreprises, en action... que les syndicats détachent pour cette fonction. ». Cette proximité

à l'entreprise a d'ailleurs une autre logique, celle d'apporter au candidat les voix des collègues de l'entreprise.

Enfin, même si les leaders prud'homaux évoquent peu la question du droit et des compétences juridiques dans le choix des conseillers, la constitution des listes s'appuie largement sur cet aspect : la candidature étant largement fondée sur le volontariat et les formations juridiques étant peu nombreuses, il est logique que les candidats soient souvent des militants qui ont déjà une appétence pour le droit. Au total, l'entrée sur la liste des candidats apparaît bien pour les individus comme le résultat d'un mixte entre une activité militante éprouvée, une proximité toujours grande au monde du travail et un goût pour le droit, que celui-ci vienne d'une tradition familiale, d'une activité professionnelle actuelle ou ancienne, d'une expérience prud'homale, réussie ou ratée. La façon dont un conseiller CGT d'une grande ville évoque son arrivée sur la liste résume cette synthèse de qualités très diverses : « Q. : Qui vous a sollicité ? R. : L'Union de la construction. C'est vrai que le juridique et tout ça, ça m'intéressait quand

même. Donc là, c'était une sollicitation. Ils commençaient à me connaître dans le milieu du syndicat... donc ils m'ont proposé de me mettre sur les listes (...) Je connaissais déjà les prud'hommes, parce que j'y avais envoyé quelques patrons pour régler un ou deux litiges. »

Les listes sont donc élaborées de manière à refléter au mieux la diversité des métiers, des établissements et des catégories, de manière à ce que les votants puissent s’y reconnaître. Ainsi, à l’exigence de représentativité d’une section s’ajoute d’autres éléments plus personnels des candidats comme leur âge, leur sexe, leur situation de retraité, d’actif en poste ou de chômeur. Autant de dimensions qui sont prises en compte dans la constitution de la liste et qui conduit inévitablement à une certaine sélection des candidats et des élus. Ce processus de sélection est d’autant plus important qu’il en va de la représentativité des forces syndicales (en raison du test de représentativité que constitue les élections prud’homales pour les organisations syndicales) et plus largement de l’image que l’organisation peut donner d’elle à travers ses représentants au sein du CPH.

Il n’est alors pas étonnant que les conseillers soient en général adhérents d’une organisation syndicale et parfois membre d’une organisation professionnelle et qu’ils soient actifs dans ces espaces syndicaux comme dans d’autres espaces sociaux.

b) Des adhérents d’organisations syndicales et professionnelles

Seuls 1,27% des conseillers salariés déclarent n’appartenir à aucune organisation syndicale alors que cette part représente 33% chez les employeurs. Mais les salariés enquêtés ne sont pas de simples adhérents. Les trois quart exercent au moins une responsabilité syndicale, même si ce n’est pas nécessairement à un très haut niveau.

Tableau 16 : les responsabilités syndicales des conseillers Responsabilité

syndicale Salariés Employeurs Tous collègesconfondus Aucune 23,2% 86,4% 55,6% 1 36,4% 11,9% 23,8% 2 21,9% 1,2% 11,3% 3 10,4% 0,5% 5,3% 4 5,1% 0,0% 2,5% 5 2,8% 0,0% 1,4% 6 0,3% 0,0% 0,1% Lecture

: 23,2% des salariés n’exercent aucune responsabilité syndicale. Ce chiffre monte à 86,4% chez les employeurs en moyenne, 55,6% des conseillers prud’homaux n’assurent aucune responsabilité syndicale. Les responsabilités syndicales proposées dans le questionnaire étaient les suivantes : au niveau de l’entreprise, au niveau local, au niveau départemental, au niveau régional, au niveau national dans la fédération, au niveau national dans la confédération.

Ils sont de même près d’un tiers à représenter leur organisation professionnelle ou syndicale dans des instances paritaires (Assedic, Sécurité sociale, CIS, CAP, conseils d’administration divers…). La proportion est sensiblement la même au sein des deux collèges.

Tableau 17 : Participation des conseillers prud’hommes à des instances paritaires Participation à

une instance paritaire

collège

salariés employeur Total

non 256 256 512

66,14% 69,56% 67,81%

oui 131 112 243

33,85% 30,43% 32,18% total 387 368 755

Dans ce cadre, ces conseillers sont aussi élus, mais la légitimité de leur action y est très différente : certes, ils se font élire et siègent dans ces institutions au nom de leur organisation, de même qu’aux prud’hommes. De même, une partie d’entre eux a été choisie au nom du principe de compétence et de technicité. Le paritarisme qui se joue dans ces instances est pourtant plus institutionnalisé, et la question ne se pose pas de savoir s’ils représentent autre chose que leur organisation. Institutions « purement » sociales, lieu privilégié de production du paritarisme et/ou du dialogue social, ces instances appartiennent en propre au champ du

social210. A l’inverse, comme nos l’avons vu, les conseillers prud’hommes ne peuvent pas se

« contenter » de cette légitimité syndicale, qui leur est acquise par le vote mais se dérobe quand il s’agit de juger leurs pairs.

Mais les conseillers prud’hommes, au moins les salariés, détiennent aussi un autre type de légitimité : ils occupent ou ont occupé des responsabilités de représentation de leurs pzirs au sein des entreprises. Les conseillers sont très présents dans les instances représentatives des entreprises : un quart d’entre eux exercent ou ont exercé trois responsabilités dans l’entreprise et moins de 10% n’en ont jamais exercé aucune. Ce résultat est à mettre en lien avec le recrutement des conseillers selon la taille des entreprises. Il est certain que dans les petites ou très petites entreprises, les chances d’exercer des responsabilités syndicales à ce niveau sont faibles. Par ailleurs, on sait que la plupart des syndicalistes exercent simultanément plusieurs activités de représentation dans l’entreprise (et couramment les postes de délégué syndical et de représentant du personnel).

Tableau 18 : Les responsabilités syndicales des conseillers salariés dans l’entreprise

Responsabilités dans l’entreprise salariés Aucune 8% 1 13% 2 19% 3 25% 4 21% 5 13%

Les responsabilités proposées dans le questionnaire étaient les suivantes : délégué syndical, délégué du personnel, membre du comité d’entreprise, secrétaire du comité d’entreprise, élu au CHSCT (Conseil hygiène, sécurité et conditions de travail).

Si l’on reprend l’analyse de la constitution des listes et l’importance donnée aux entreprises les plus importantes du bassin dans une logique de captation des voix, on comprend l’importance pour les organisations de trouver des candidats connus dans leur entreprise. S’il est vrai que la prud’homie est un élément important dans l’animation interprofessionnelle (au niveau des Unions départementales notamment), pour autant les conseillers prud’hommes restent majoritairement reliés au monde du travail à travers leur appartenance à une entreprise. Comme nous le verrons dans la troisième partie, c’est aussi cette proximité conservée – au moins symboliquement et certes pas pour tout le monde – qui donne aussi aux conseillers leur légitimité de juge du travail.

30 53 75 100 82 53 0 20 40 60 80 100 120 0 1 2 3 4 5 Score Effectifs

Des acteurs de la cité

Si les employeurs sont beaucoup moins engagés dans les organisations professionnelles, ils ne sont pas pour autant en dehors de toute activité dans la cité. Plus des deux tiers déclarent être membre d’une association. Pour les salariés, la tendance est la même, même si moins marquée. Par rapport à l’ensemble de la population, leur engagement associatif est nettement

plus marqué : 18% des Français de plus de 14 ans appartenaient à une association211.

Appartenance à une association

35,79% 64,21% 7,38% 66,59% 23,24% 10,17% 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70%

Non Oui Non réponse

Appartenance Pourcentage

salariés employeurs

Lecture

: 35,79% des conseillers salariés déclarent n’appartenir à aucune association.

La tendance est la même pour l’adhésion à des organisations politiques (14% des conseillers), très nettement supérieure à celle constatée pour l’ensemble de la population qui est de 1,5%. Il faut noter que toutes les organisations sont représentées, à l’exception du Front national, même si la majorité des conseillers se classe à gauche et appartient soir au Parti communiste, soit au parti socialiste. Un tri croisé permet d’ailleurs de noter la persistance de liens entre lke PS et la CFDT d’une part, le PCF et la CGT d’autre part.

Appartenance à une organisation politique

80,15% 17,30% 84,02% 2,54% 11,38% 4,60% 0% 20% 40% 60% 80% 100%

Non Oui Non réponseAppartenance

Pourcentage

salariés employeurs

Lecture : 80,15% des conseillers salariés déclarent ne pas appartenir à une organisation politique.

Ainsi, d’une manière classique on retrouve des militants engagés simultanément dans de nombreuses organisations, ayant constitué autour d’eux un véritable réseau militant, dont les

prud’hommes sont un des nœuds. La prud’homie y perd de sa spécificité, puisqu’elle n’est qu’une des formes prises par l’engagement social de ces individus. Cela ne veut pas dire qu’elle n’y joue pas un rôle central et qu’elle ne constitue pas une activité « exceptionnelle », comme les entretiens le montreront.

Au total, les conseillers prud’hommes apparaissent comme une population exceptionnelle au sens statistique, c’est-à-dire très différente de la population des salariés et des employeurs qu’elle doit juger. Le faible nombre des travaux sur les autres types de militants syndicaux ne nous permet pas de mettre véritablement en valeur la spécificité de l’engagement prud’homal dans l’ensemble des formes de militantisme pratiquées. Pour autant, ces militants syndicaux et patronaux ne se retrouvent pas là par hasard : l’investissement prud’homal est lourd en temps et en énergie, ne serait-ce que parce que les conseillers doivent sans cesse jouer avec leurs différentes formes de légitimité : élus par leurs pairs, ils les représentent en même temps qu’ils les jugent. C’est cette caractéristique, en même temps que le caractère frontalier de l’institution prud’homale, qui les conduit à ce double investissement dans le syndicalisme et dans le droit. C’est ce que nous montrerons dans les deux chapitres suivants, en affinant les hypothèses issues du questionnaire à partir des récits de vie obtenus par les entretiens.

Chapitre 5 :