Buts poursuivis
II.1. ANALYSES DES SURFACES (XPS, AES) APPLIQUEES A L’USINAGE
II.2.6. S YNTHESE DES RESULTATS OBTENUS EN TOURNAGE
Plusieurs campagnes d’essais sont réalisées en tournage au fur et à mesure pour pouvoir étudier l’effet de paramètres tels que la sévérité des conditions de coupe ou le type d’acier. La première campagne dans les conditions d’ébauche avec l’acier aux caractéristiques mécaniques très importantes (25 MnCrMoSiVB 5) à sec et avec lubrifiant (HB Yu4+ADDS1) montre un écart très faible entre les efforts enregistrés dans ces deux régimes. Le même essai mais cette fois‐ci dans les conditions de coupe moins sévères est répété (profondeur de passe et avance plus faibles) en obtenant le même résultat. Ceci n’est pas étonnant car la densité de puissance générée en finition et en ébauche est la même. Néanmoins les opérations de finition sont souvent considérées comme plus délicates du fait qu’une bonne qualité de surface usinée est plus difficile à obtenir (rôle secondaire du fluide de coupe). Etant donné que la différence en termes d’efforts de coupe est négligeable, l’étape suivante consiste à tester en tournage deux autres aciers : acier mi‐dur (C 45) et acier doux (C 20). Les propriétés intrinsèques de l’acier peuvent avoir une influence sur la pression de contact entre la face de l’outil et le copeau. Plus l’acier est doux (cas de l’acier C 20), plus la pression de contact est faible donc l’accès pour le lubrifiant est facilité. Cependant, il est généralement admis que plus les caractéristiques mécaniques de l’acier sont faibles, plus la vitesse de coupe doit être augmentée sachant que ce paramètre est perçu comme limitant pour la lubrification. Les essais avec ces deux aciers, dont celui avec l’acier C 45 détaillé dans le Chapitre II (cf. II.2.2. Effet du lubrifiant en tournage 3D sur l’effort spécifique de coupe (Kc)), ne montrent pas non plus d’écart important entre
les efforts de coupe à sec et avec lubrifiant, mettant en doute la fonction lubrifiante des huiles de coupe en coupe continue. Le même type de conclusions a également été tiré lors des essais d’usure des plaquettes de tournage effectués aux vitesses de coupe plutôt élevées correspondant aux conditions industrielles. L’usure en dépouille de l’arête utilisée avec le lubrifiant était quasiment comparable à celle mesurée sur l’arête qui a travaillé à sec. L’activité réduite du lubrifiant (lubrifiant détecté en traces lors de l’analyse XPS) sur la face de dépouille pourrait en être la raison.
Les résultats d’analyse de la plaquette et des copeaux confirment clairement l’activité chimique de l’additif du lubrifiant en tournage. Le film de sulfures de fer FeS observé sur la plaquette et sur les copeaux (cf. Figure II‐6 et Figure II‐8) ne peut qu’être formé par le soufre actif de l’additif. Compte tenu des résultats issus des essais mécaniques (pas de différence importante en terme
Chapitre II – Etude mécanique et tribochimique de la performance lubrifiante d’un polysulfure dans différentes applications d’usinage
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d’effort spécifique de coupe et d’usure des outils), il est primordial d’établir quelles sont les circonstances de la formation (pendant la coupe ou a posteriori) de ces produits de réactions de l’additif contenu dans lubrifiant (HB Yu4+ADDS1) et ainsi d’en déduire pourquoi ils semblent n’avoir aucun effet sur l’amélioration de la qualité d’usinage.
En considérant que le soufre réagit de façon préférentielle avec le fer métallique (affinité chimique), l’hypothèse est avancée que la lubrification se fait par l’intermédiaire du dépôt métallique formé sur l’outil. Le copeau est considéré plus en tant que "media" de la lubrification (à l’origine du dépôt métallique) et marqueur de l’activité chimique de l’additif. Deux scenarios sont envisageables :
l’additif soufré contenu dans le lubrifiant (HB Yu4+ADDS1) ne peut pas pénétrer dans la zone de contact mais agit à ses alentours (suivant l’idée de [DeC_80]) ; le dépôt formé lors du déroulement du copeau sur la surface de l’outil, toujours réactif à chaque sortie de l’outil de la pièce usinée (avant la passe suivante), entre en contact avec le lubrifiant a posteriori. Mori a démontré que la surface fraîche du fer est extrêmement réactive vis‐à‐vis du soufre même à température ambiante [MOR_95]. Puisque la concentration de l’additif dans le lubrifiant est plus importante que celle de l’oxygène, le soufre réagit instantanément avec le fer transféré pour former des sulfures de fer FeS qui pourraient protéger partiellement l’outil contre les micro‐soudures et diminuer la zone de contact et le frottement lors de la passe suivante de l’outil. Il est ainsi tout à fait envisageable que les sulfures de fer détectés sur la surface de l’outil n’aient pas été formés au cours d’une passe de l’outil mais plutôt entre chaque passe, car dans de telles conditions sévères de l’utilisation de l’outil, ils sont probablement totalement "consommés" lors d’une passe.
à l’action de l’additif soufré contenu dans le lubrifiant (HB Yu4+ADDS1) proposée ci‐dessus s’ajoute la pénétration partielle, plutôt sous forme gazeuse, aux basses vitesses de coupe (environ 50 m/min) d’après l’idée de Childs [CHI_06]. De plus, il est connu que l’usinage à basse vitesse de coupe favorise la formation d’un dépôt métallique plus important sur l’outil tel que l’arête rapportée (dépôt métallique fortement adhérant accumulé sur l’arête de coupe). La formation de sulfures de fer dans cet endroit pourrait être encore plus prononcée. Cependant, l’utilisation de l’outil dans ces conditions de coupe n’est pas conseillée.
Le faible effet du lubrifiant lors du tournage peut alors être expliqué par les deux théories suivantes. Premièrement, il est envisageable que les sollicitations dans la zone de coupe soient trop sévères pour que les sulfures de fer puissent se maintenir et jouer leur rôle surtout si ces produits de réactions de l’additif sont distribués localement.
Deuxièmement, à condition que les sulfures de fer puissent résister aux sollicitations pendant un certain temps d’usinage, il est possible que la sensibilité des efforts de coupe soit faible par rapport à l’évolution du coefficient de frottement (les efforts fluctuent peu même si le coefficient de frottement change). Pour vérifier cette hypothèse, la loi de coupe en coupe orthogonale, développée récemment et permettant de déterminer les coefficients de frottement sur les deux faces de l’outil, est utilisée de façon inverse (cf. II.2.4. Modélisation des efforts de coupe en coupe orthogonale (tournage 2D)). Les hypothèses et les calculs sont exposés dans la partie Annexes (cf. Annexe II § II.5). Dans la modélisation inverse, ces coefficients peuvent être exprimés en mettant en place le modèle analytique de la coupe de Merchant [MER_45] ou de Lee & Shaffer [LEE_51] ainsi que des données expérimentales, en fonction d’une contrainte de cisaillement du matériau supposée constante. Ces modèles sont ensuite utilisés pour déterminer les valeurs des efforts de coupe engendrés (et leurs variations). En prenant en compte le modèle analytique de la coupe de
Lee & Shaffer [LEE_51] (sensibilité des efforts plus grande que celle issue du modèle de [MER_45]), si
le coefficient de frottement diminuait de moitié uniquement sur la face de coupe ou uniquement sur la face de dépouille, cela engendrerait une baisse de l’effort de coupe Fc d’environ 25% ou 10%
respectivement (cf. Tableau II‐6). Pour que la baisse de l’effort de coupe Fc soit encore plus
Chapitre II – Etude mécanique et tribochimique de la performance lubrifiante d’un polysulfure dans différentes applications d’usinage
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moitié. Une diminution importante (d’environ 38%) serait remarquée sur l’effort d’avance Ff lors de
la réduction de moitié du coefficient de frottement sur la face de coupe indépendamment du coefficient sur la face de dépouille de l’outil.
Dans les conditions sévères de la coupe, il est difficilement concevable d’obtenir une diminution de moitié du coefficient de frottement, simultanément sur les deux faces de l’outil, sans prise en compte de l’effet de l’outil et du bruit de mesures. L’hypothèse de la faible sensibilité des efforts de coupe par rapport à l’évolution du coefficient de frottement semble donc tout à fait plausible. Afin de vérifier la modélisation réalisée, les mesures des efforts de coupe en tournage dans les conditions de finition sont effectuées, après avoir déposé un revêtement de MoS2 (bisulfure de
molybdène – un très bon réducteur du frottement) sur les deux faces de l’outil (cf. Annexe II § II.6). Au final, cela revient à amener le lubrifiant (solide dans ce cas) dans le contact. Le coefficient de frottement sur la face de coupe de la plaquette utilisée dans cet essai (µFdc ≈ 0,4 et µFdd ≈ 0,7) est
légèrement moins important que celui calculé sur les faces de coupe des plaquettes utilisées à sec et avec lubrifiant (cf. II.2.4. Modélisation des efforts de coupe en coupe orthogonale (tournage 2D)). Les écarts entre les efforts de coupe Fc enregistrés avec la plaquette de tournage utilisée à sec, avec
lubrifiant testé (HB Yu4+ADDS1) et la plaquette revêtue avec le MoS2 sont difficilement discernables
contrairement aux efforts d’avance Ff qui semblent être inférieurs pour les mesures réalisées avec la
plaquette revêtue avec le MoS2. Les gains relatifs, en terme d’effort d’avance Ff, obtenus pour les
différentes mesures varient entre 10‐25% (donc d’environ 18% en moyenne). La baisse de l’effort d’avance Ff serait donc à l’origine de la diminution du coefficient de frottement sur la face de coupe
de la plaquette revêtue (MoS2). Ces valeurs sont en cohérence avec le modèle inverse discuté
auparavant (cf. Annexe II § II.5 et Tableau II‐6). Finalement, malgré la présence dans la zone de la coupe du lubrifiant solide (MoS2), ayant des propriétés de réduction du frottement extraordinaires,
l’apport de celui‐ci en terme de diminution des efforts de coupe, surtout de l’effort de coupe Fc,
semble être faible et limité. La même conclusion serait donc davantage vraie pour le lubrifiant liquide dont la présence dans la zone de coupe est incertaine. Tableau II‐6 : Modélisations réalisées en coupe orthogonale Type de modélisation Modèle analytique de la coupe µFdc µFdd Variation Fc Variation Ff Modélisation directe en coupe orthogonale (cf. II.2.4. Modélisation des efforts de coupe en coupe orthogonale (tournage 2D)) 0,5 (à sec ou avec lubrifiant) 0,7 (à sec ou avec lubrifiant) Modélisation directe et inverse en coupe orthogonale avec la plaquette revêtue en MoS2 Merchant [MER_45] 0,4 0,7 % 5 % 12 Lee & Shaffer [LEE_51] 0,4 0,7 % 10 % 15 Simulation inverse en coupe orthogonale Merchant [MER_45] 0,25 0,7 % 16 % 35 0,5 0,35 % 10 pas d’effet 0,25 0,35 % 26 % 35 Lee & Shaffer [LEE_51] 0,25 0,7 % 25 % 38 0,5 0,35 % 10 pas d’effet 0,25 0,35 % 35 % 38
Chapitre II – Etude mécanique et tribochimique de la performance lubrifiante d’un polysulfure dans différentes applications d’usinage 69 II.3. EFFET DU LUBRIFIANT EN FRAISAGE (COUPE DISCONTINUE) En présumant que la coupe interrompue favorise l’action du lubrifiant, le fraisage est choisi afin d’étudier l’effet du lubrifiant en utilisant la même molécule‐modèle du lubrifiant (pentasulfure) qu’en tournage. L’analyse des surfaces des copeaux et de l’outil utilisé est également menée. L’outil utilisé en fraisage est un outil aux arêtes multiples qui, contrairement aux autres outils possédant plus d’une arête, ne travaillent pas toutes en même temps. Les dents de l’outil (ou les plaquettes dans le cas de fraises à plaquettes) subissent donc des chocs importants dus au chargement mécanique cyclique à chaque fois qu’ils s’engagent, à nouveau, dans la matière usinée, ce qui les fragilise de manière considérable. Les copeaux dans le cas de la coupe discontinue sont toujours courts et fragmentés donc facilement évacués. Cependant, la section de coupe, qui n’est pas constante, est souvent à l’origine de vibrations et peut conduire à des efforts de coupe moins stables.