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III. Le village et ses habitants

3. S’installer dans le village 1 Revenir à la source

3.2. S’installer quand on est jeune et sans enfant

Ils sont jeunes, autour de 30 ans. Même s’ils ne rentrent pas dans la catégorie des jeunes que nous projetions initialement d’observer, ils font partie des rares habitants qui ont comme projet d’avoir un ou des enfants dans le village. Elle travaille à domicile : « Je gère mon temps comme je l’entends, ou à peu près ». Lui travaille dans une verrerie, à 20 minutes de route. Elle est originaire de Contrexéville et habitait Lignéville, à côté de Vittel. Lui est originaire de Lamarche et a habité Con- trexéville : « On est vraiment du secteur, de la plaine des Vosges, mais on n’a pas le même vécu ».

Ils ont cherché une maison à acheter. Il voulait plutôt Vittel ou Contrexéville : « Parce que ça ne me dérangeait pas de rester en ville ». Elle préférait un village, et c’est à Thuillières qu’ils ont choi- si d’habiter : « On n’a pas trouvé ce qu’on voulait parce que Vittel c’est super cher. Et moi je voulais du terrain pour les chevaux. Je voulais aussi de l’espace. On a trouvé la maison là et c’était le coup de cœur ». Ils n’ont pas de voisins immédiats. Il relie ce choix à son enfance : « Mon père est agriculteur. On vivait dans une maison sans voisinage ». Elle lui rappelle : « Tu préférais Vittel parce que tu ne voulais pas, si on a des enfants, faire les allers-retours pour les ramener partout ». Les difficultés en tant qu’enfant par rapport aux déplacements il les a vécues : « Les difficultés pour se déplacer pour m’emmener au foot quand j’étais gamin. Moi c’est Lamarche, mais à l’écart de Lamarche, à l’écart de tout. Quand tu es p’tiot t’es obligé de demander sans cesse pour te faire emmener. Donc je voyais la difficulté le jour où on aura des enfants de tout le temps les emmener partout. Maintenant qu’on est là on s’arrangera ». De son côté, elle pouvait aller à l’école à pied ou à vélo et avait des activités à proximité. Elle considère de toute manière qu’à Thuillières, ils ne sont pas si loin que ça de Vittel : « C’est à dix minutes en voiture. C’est un peu le bon compromis. Avec nos horaires, le fait que je tra- vaille souvent à domicile, on aura toujours moyen de le gérer plus que de le subir ».

Ils remarquent qu’en fait, à l’heure actuelle ils ne sont pas si souvent que ça à Vittel : « On est quand même beaucoup à la maison. Mais si on sort boire un verre c’est à Vittel ». Lui a encore beau- coup d’amis d’enfance qu’il fréquente : « J’ai beaucoup de copains sur Lamarche. Il y en a qui sont à Nancy mais on se retrouve sur Lamarche ». Elle l’interpelle : « Toi par rapport à moi, la plupart de tes copains sont restés sur place quand même. Moi mes copains du lycée, mais en fait j’étais à Nancy au lycée. Mais même du collège il n’y en a plus beaucoup ». Il répond : « Moi ce qui nous a rassemblé c’est aussi le foot. Nous on est aussi copains depuis la maternelle. Je crois qu’on se fait plus de bons copains à Lamarche, dans un village, qu’à Contrexéville. Il y a moins de monde et plus d’affinités15.

15 Il y a un petit collège à Lamarche, ce qui fait que les enfants de Lamarche se côtoient jusqu’à la fin de la

troisième. Il y a aussi un collège à Contrexéville, mais avec des enfants qui peuvent être très différents entre eux et qui sont plus nombreux également.

Nous on était souvent dans des classes uniques, et au maximum il y avait deux classes, donc on était toujours ensemble ».

Même s’ils sont tous deux issus de la ruralité, leurs ruralités sont différentes et créent des re- lations aux autres tout aussi différentes. En ce sens Thuillières, sans école aujourd’hui, ne permet plus de tisser des liens comme cela se fait encore à Lamarche, avec ses 939 habitants16, d’autant plus

que les enfants de Thuillières sortent de la commune dès la maternelle pour entrer dans le monde scolaire de Vittel.

Leur vie est celle qu’ils voulaient : « C’est vraiment comme ça que je voyais ma vie. Dans un village où il y a des animations, où on s’entend bien avec les voisins. Où on se côtoie quand on en a envie, mais où quand t’es chez toi, t’es chez toi ». Ils ne seraient jamais allés dans des grandes villes (Metz, Nancy ou pire Paris) : « On n’aurait jamais pu. Il n’y a pas d’espace. Ça me rend anxieuse moi. La circulation, le monde. Moi ce n’est même pas le monde, moi c’est avoir un chez soi, avec de l’espace, pas collé aux autres. Nous on n’a personne à droite ni à gauche, personne derrière nous sauf les vaches. Des gens en face mais il y a la route entre ». Ils évoquent également les odeurs de la cam- pagne, en comparaison des odeurs de la ville, un peu comme la madeleine de Proust : « Il y a l’odeur de l’herbe, de l’herbe qu’on coupe, du foin, des animaux ». Lorsque je suggère que l’odeur du cheval pourrait être désagréable, elle me reprend. « A ben non. Pas du tout » pour elle. Pour lui ça dépend : « Parce que quand tu passes toute une journée à cheval et que tu rentres… ». Elle trouve que c’est la vache qui a une odeur, lui que c’est le cheval. Il a l’expérience de la ferme et des vaches, elle des che- vaux, ce qui a forcément de l’importance dans les discours qu’ils tiennent :

- La vache ça sent plus fort

- Ah ben non, la vache ça sent la vache, tandis que le cheval…

Ils sont d’accord sur un point : « C’est différent, ce ne sont pas les mêmes odeurs »17.

16 Un modèle sans doute en péril quelque part puisque la population de Lamarche baisse de manière sensible,

1338 habitants en 1982 et 938 aujourd’hui.

17 Je suis issu d’une ruralité plus ouvrière que paysanne. L’odeur des vaches et des chevaux ne m’apparaît pas

Ils évoquent les bruits de la campagne : « Quand tu rentres à minuit à la maison et que tu vas derrière, il y a les vaches, et les chouettes. On entend même parfois le brâme du cerf. Les hérissons. Les hérissons ça fait du bruit, oui, oui, oui ! »

Le père du jeune homme était agriculteur. Il n’aurait pas voulu reprendre ce métier, mais reste empreint de ruralité : « Ah non, c’est un métier passion celui-là. Si tu n’es pas passionné tu ne le fais pas. Et moi ça ne m’a jamais passionné. J’ai un frère qui habite Verdun. Il va dans les fermes, il contrôle, il conseille, et mon autre frère fait une école d’ingénieur. Je pense qu’il n’y en aura aucun qui reprendra la ferme ». Et l’avenir de la ferme : « Après la famille est grande. Mon père travaille avec mon oncle. Il y aura peut-être un cousin qui reprendra ».

Elle est d’autre part secrétaire de l’association chèvre-roche : « L’association, c’est ce qui nous a permis de rencontrer des gens dans le village, de s’intégrer dans le village. Dès qu’on a pu, on est allé aux soirées, aux vœux du maire et ça nous a fait rencontrer du monde ».

Lorsque la question de la mobilité, ou plutôt du déplacement est abordée, ils évoquent leurs déplacements en voiture : « Nous ça va. On a chacun une voiture et on fait les déplacements qu’on a à faire ». Ils ne pensent pas limiter leurs déplacements aujourd’hui : « Essayer de regrouper des choses, pas vraiment pour l’instant. Covoiturage, dans mon boulot ce n’est pas possible, sauf pour les réunions où on se rejoint sur le parking, près de l’autoroute ». Evoquer des solutions comme BlaBla- Car, qu’utilise une voisine retraitée alors qu’eux-mêmes sont très jeunes, les laisse dubitatifs : « Peut- être pour de longs trajets, mais ici c’est surtout la somme des petits trajets qui fait le kilométrage ». Pour autant, lorsqu’ils vont à plusieurs dans le village sur une même activité, ils essayent de ne pren- dre qu’une voiture : « Je suis pour l’économie d’énergie, mais ce n’est tout simplement pas possible la plupart du temps ». En dehors de la voiture ils ne voient pas de solution : « Sans la voiture je prendrai le cheval, et moi la moto ». La moto est pour lui à la fois un moyen de transport et un loisir. C’est la météo qui dicte le choix : « Le plaisir il est quand même avec la moto ».

Dans cette ruralité, la question de la mobilité est moins celle des derniers kilomètres que celles des premiers, et souvent des dix premiers. Se donner rendez-vous à Vittel pour partager une

voiture qui ira ensuite à Nancy nécessite de faire dix kilomètres en amont. Se donner rendez-vous à Thuillières et en partir est une gageure.

Nous voyons également que la place de l’enfance est essentielle dans les choix liés à la vie dans un village. Même s’ils n’appartiennent pas à la même génération, nous avons ainsi deux enfants d’agriculteurs qui emménagent dans le village, l’un pour revenir à la source, l’autre pour construire une famille. Le premier a un coup de cœur pour une maison au centre du village, parce que la ferme Lorraine, celle de ses parents était au cœur d’un village, ouverte et tournée vers le voisinage. Le se- cond, plus jeune, emménage à l’écart de ses voisins, avec l’image de la ferme de son père, plus isolée et à l’écart du centre du village. Même lorsqu’elles sont paysannes, les ruralités ne se superposent pas toujours.