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IV. Les jeunes dans le village

2. Les adolescents

2.1. Présentation des adolescents

Nous rappelons que nous parlons d’adolescents pour définir ce groupe parce qu’ils sont ainsi dénommés dans le village, à la fois par les enfants et par les adultes. Les adolescents sont au nombre de huit dans le village. Leur catégorie est augmentée d’un adolescent venant de Lignéville. Nous analyserons donc les attitudes et conduites de neuf adolescents, huit garçons et une fille. Parmi eux, six forment un petit groupe, même s’ils ne sont que rarement tous ensemble. Deux d’entre eux sont en garde alternée, entre deux villages. Ils ne sont qu’une semaine sur deux à Thuillières. Trois autres sont isolés, plus par volonté que par rejet et ne participent qu’épisodiquement aux activités du groupe.

Être adolescent à Thuillières et dans cette ruralité sans lycée à proximité c’est être contraint de quitter le domicile familial pour se retrouver à l’internat dès la classe de seconde. Comme pour les enfants, nous ne pouvons pas parler d’un groupe d’adolescents homogène, en interaction au sein du village.

Les adolescents ont quasiment tous été à la maternelle et à l’école primaire à Vittel. Beau- coup se sont « pré-orientés » très tôt, vers un lycée professionnel, tout au moins ceux du groupe. Pour ceux qui sont entrés au lycée et sont dans le groupe, ils sont partis dans des lycées différents, tous en internat. Le plus jeune du groupe est encore au collège à Vittel. De ce fait, ils ne se voient que le week-end et pendant les vacances scolaires : « Les amis de Thuillières je ne les vois pas pen- dant la semaine parce qu’on est tous dans des lycées différents ».

Comme les enfants, ils sont sortis très tôt du village pour aller à l’école : « Ils sortent de Thuil- lières depuis tout petit puisqu’il n’y a plus d’école à Thuillières, beaucoup plus tôt que nous qui avons connu l’école à Thuillières ». Ces adolescents-là ont donc un vécu et des expériences qu’il convient alors d’avoir à l’esprit. Un vécu qui n’est ni celui de l’adolescence de leurs parents ni celui des adoles- cents de la ville, avec des rapports aux parents qui font sens dans le cadre des questions de dépla- cement et de mobilité.

Les adolescents ne sont pas intégrés à Thuillières comme le sont les enfants. Contrairement à ces derniers, les activités du village ne sont pas pensées ni orientées pour eux, ou tout au moins ils ne s’y intègrent pas. Le groupe d’adolescent s’est approprié la table de pique-nique. Ils « traînent » souvent à côté de la fontaine. Parce qu’il les protège des intempéries, parce qu’il y a un banc et qu’il est isolé du regard des habitants, l’arrêt de bus, est un autre endroit où ils aiment passer du temps ensemble. Aucune infrastructure n’étant prévue pour eux, un voisin leur a cédé une cave dans la- quelle ils se réunissent lorsque les conditions météorologiques ne leur permettent pas d’être dehors. Cette cave qu’ils appellent « planque » est un lieu au sous-sol d’une maison inhabitée du village, avec une porte qui reste ouverte et permet l’accès à une pièce à l’abri du vent et des regards extérieurs.

Ils se retrouvent, surtout à la nuit tombée et « traînent » ensemble souvent pendant des heures. Il arrive couramment que le voisinage proche de leurs points de rendez-vous se plaigne du bruit qu’ils font le soir. Ils mettent de la musique, certains arrivent à moto. Les récriminations des habitants proches des lieux de rendez-vous peuvent alors être compréhensibles. Un parent com- prend parfaitement la réaction des voisins : « Quand ils sont sur le banc. Je comprends aussi ceux qui habitent à côté, avec la musique et les motos ça fait quand même du bruit ». D’autres habitants avancent des explications : « Il faut admettre que rien n’est prévu pour eux dans le village ».

Les adolescents du groupe ont, pour leur part, le sentiment d’être stigmatisés. Ils racontent par exemple qu’un des voisins leur a « déclaré la guerre ». Ils disent qu’il leur jette des petits cailloux pour les faire partir et ne plus entendre la musique lorsqu’ils se retrouvent à l’arrêt de bus en hiver.

Les adolescents suscitent des craintes et parfois un sentiment de rejet dans le village. Ils semblent incompréhensibles pour beaucoup d’habitants. Certains de ses habitants ne se projettent plus à rebours, dans leur propre adolescence. Ils oublient que les générations précédentes, dont ils faisaient eux-mêmes parfois partis, ont suscité le même rejet : « Ils ont des soucis avec les voisins s’ils font du bruit à l’abribus mais à l’époque c’était pareil en fait » ; « Il y a quelques années, les jeunes avaient même cassé un calvaire. C’était bien pire avant ». Les parents des adolescents les compren- nent mieux mais ils ne veulent surtout pas « se mettre le village à dos ». Ils mettent donc beaucoup

de limites aux agissements de leurs enfants. Ils leur interdisent de sortir, leur donnent le plus souvent des horaires stricts et sont attentifs à tout ce qui peut se dire sur eux.

D’autres habitants du village ne voient quasiment jamais les adolescents. Ils ne les voient pas parce qu’ils ne sont pas nombreux, même si leur nombre peut être augmenté par des personnes extérieures, et parce que les endroits où ils se rencontrent, sont très limités.

Les adolescents ne sont plus des enfants aux yeux des adultes. Ils s’éloignent donc, au moins provisoirement, d’une forme de protection et de bienveillance qui s’attache aux enfants dans le vil- lage. Ils s’en éloignent également en ne participant quasiment plus aux évènements qui rythment la vie du village. De leur côté, les adolescents sont également plus méfiants envers les adultes que les enfants ou les jeunes adultes. Ils sont ainsi plus difficiles à approcher, à questionner, à interpeller. Dans leur groupe, ils restent le plus souvent entre eux.

Trois adolescents de Thuillières ne font pas partie du groupe. Le premier est âgé de 14 ans. Il est en troisième au collège de Contrexéville, le seul jeune de Thuillières dans ce cas. Il est souvent seul et dit préférer que cela soit ainsi : « Dans le village je suis surtout pour moi. Je peux aller voir les autres, on peut s’amuser mais sans plus. C’est du plaisir tout seul. Une tranquillité, du calme et comme moi j’aime le calme, c’est bien ». Il est né en Indonésie et a habité à Bali où il était scolarisé dans une école française. Il est revenu à Thuillières avec ses parents, il y a quelques années.

Le deuxième, le fils des fermiers, ne participe qu’épisodiquement aux activités du groupe. Son frère et sa sœur plus âgés ne participaient pas non plus aux activités des jeunes de leurs généra- tions. Leurs parents estiment que s’ils ne fréquentaient pas les autres adolescents c’est en partie à cause d’eux : « Nos enfants sont dans le village mais ils n’ont pas fréquenté les petits groupes d’enfants dans le village, par notre faute ». Ils ont ainsi fixé des limites : « On est amené à rester dans le village donc on ne veut pas d’histoires. Et les enfants entre eux, surtout quand il y a un petit groupe, ça peut aller loin ». Ils craignent malgré tout que leurs enfants le leur reprochent un jour ou l’autre, surtout les deux derniers : « Des fois, tu as peur qu’ils te le reprochent, parce que si les deux

grands sont comme moi, très casaniers, les petits ont plus tendance à rechercher la compagnie des enfants du village, même s’ils ne font pas partie des groupes ».

Le troisième adolescent a été impliqué pendant un certain temps dans le groupe. Il n’y vient plus, tout simplement parce qu’il ne s’entend plus vraiment avec ses anciens amis ou plutôt parce que leurs préoccupations sont aujourd’hui éloignées des siennes. Il est le frère d’un des filles qui ne prend pas non plus part aux activités des enfants dans le village.