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Chapitre 3. Méthodologie de la recherche

3.6. Sélection des instruments pour le recueil des données

Au préalable, et avant d’aborder les deux centres d’appels téléphoniques en particulier,

nous avons effectué des observations globales de l’activité et des réunions de focus groups

dans sept centres d’appels téléphoniques. L’objectif de cette pré-investigation était de se

munir de données générales sur le travail dans les call centers, et de mieux appréhender ce

métier de manière transversale, les investigations ayant été réalisées dans plusieurs pays. Les

résultats de ces investigations seront présentés dans le chapitre 4.

Puis nous avons mené une étude quantitative (présentée dans le chapitre 5) et une

analyse qualitative (présentée dans le chapitre 6) dans deux centres d’appels téléphoniques

que nous détaillerons ci-dessous.

3.6.1. Première étape, avec méthodologie quantitative

Les individus ont complété un questionnaire socio-démographique et une série

d'instruments psychométriques relatifs aux variables évaluées. Le questionnaire complet est

disponible dans l’Annexe 2 :

1. Questionnaire socio-démographique conçu spécifiquement pour la caractérisation

des échantillons en fonction d'aspects tels que l'âge, l'état civil, le niveau d'instruction et

quelques symptômes et conséquences principales à partir de l’état de l’art sur les conditions

de travail dans des call centers.

2. Questionnaire ISTAS 21 (Questionnaire Psychosocial de Copenhague, CoPsoQ)

(Tage S. Kristensen et coll.). Il identifie et mesure les facteurs de risque, c'est-à-dire les

caractéristiques de l'organisation du travail pour lesquelles il est prouvé scientifiquement

qu’elles peuvent être nuisibles à la santé. Il s'appuie sur des évidences scientifiques à partir

d'une base conceptuelle claire et explicite. Il a été validé en Espagne et s'avère fiable. Les α de

Cronbach (0,66 à 0,92) et les index de Kappa (0,69 à 0,77) sont élevés. Il s'agit d'un

instrument international d'origine danoise, adapté en Espagne, au Royaume Uni, en Belgique,

en Allemagne, au Brésil, aux Pays Bas et en Suède. Il a été conçu pour n'importe quel type de

travail en Occident. Le questionnaire comprend 21 dimensions psychosociales qui couvrent le

plus grand éventail possible de la diversité d'expositions psychosociales existantes dans le

monde du travail contemporain. La pertinence pour la santé de chacune de ces dimensions

parmi les différentes occupations et secteurs d'activité peut être différente mais, dans tous les

cas, sont utilisés les mêmes définitions et le même instrument de mesure, ce qui facilite les

comparaisons entre occupations et secteurs. Le questionnaire est en phase d’adaptation à la

population d’Argentine.

3. APS-R. Almost Perfect Scale Revised (Slaney et. Al, 2001; adaptée pour l'Argentine

par Arana, Scappatura, Lago & Keegan, 2006). Cette échelle est composée de 23 réactifs

distribués en trois sous-échelles : Standards, Ordre et Divergence . Elle présente le format de

réponse type Likert sur 7 options indiquant le degré d'accord avec les affirmations. Cet

instrument permet de discriminer les profils non adaptatifs ou dysfonctionnels des profils

sains ou fonctionnels de perfectionnisme.

3.6.2. Seconde étape, avec méthodologie qualitative

Cinq réunions ont été organisées suivant la dynamique proposée par la clinique du

travail (Dejours, 2009) afin d’enquêter sur les mécanismes défensifs et adaptatifs chez les

travailleurs de centres d’appels téléphoniques en utilisant une méthodologie qui propose la

psychodynamique du travail, méthode se différenciant des autres types d’intervention car elle

n’est possible qu’à partir d’une demande.

Pour expliquer la méthodologie de la recherche en PDT, nous considérerons avec

toutes leurs particularités quelques passages de l’article de Valérie Ganem (op.cit.) qui

cherche à présenter l’intervention conformément aux propositions de Christophe Dejours et

de Dominique Dessors :

« Pour Dominique Dessors « la méthode consiste à mener des entretiens collectifs dans un

cadre méthodologique donnant accès à une parole authentique. Le plaisir, la souffrance, les conflits

psychiques n’appartiennent pas, en effet, au champ du visible : la parole des sujets est le seul moyen d’y

accéder, à la condition que ces derniers y prêtent leur concours. »

Une condition dans notre travail de terrain a été celle de la participation volontaire.

On a travaillé exclusivement avec les téléopérateurs de niveaux hiérarchiques similaires, il

n’y a eu ni chefs ni subordonnés. Chacun s’est exprimé pour soi et n’a pu parler au nom du

groupe. Il est important de comprendre comment on construit une intervention car nous

travaillons toujours à partir d’un collectif de volontaires :

« La méthode consiste donc à présenter à l’ensemble du personnel dans une entreprise les

objectifs de l’enquête (comprendre ce que les salariés ressentent lorsqu’ils travaillent), afin que, sur la

base de cette information, certains parmi eux puissent se porter volontaires pour participer au groupe

d’enquête. Le volontariat est une condition incontournable, faute de quoi la parole serait d’entrée

muselée. Cette nécessité est incompatible avec la constitution d’un échantillon représentatif, mais de

toute manière, il n’existe aucun échantillon représentatif des subjectivités. C’est pourquoi chaque

membre du groupe constitué parle en son nom propre de ce qu’il ressent, sans s’autoriser de «

représenter » qui que ce soit, relativement à quelque mandat que ce soit. En revanche, les volontaires

doivent être de niveau hiérarchique relativement homogène, la présence de l’encadrement constituant un

obstacle à la parole authentique des ouvriers, et celle des ouvriers opposant le même obstacle à la parole

de l’encadrement. L’effectif des groupes doit être suffisamment grand pour que les conditions

d’anonymat soient respectées au sein des propos collectifs, et suffisamment petit pour que les personnes

puissent se parler confortablement. »

Il est important d’identifier que nous ne parlons pas de représentativité en PDT. Un

autre aspect significatif dont il faut tenir compte est que l’on travaille toujours en présence de

deux chercheurs. C’est pourquoi, en Argentine, nous avons fait le travail de terrain avec la

méthodologie de la PDT conjointement avec Cecilia Ros. Les réunions en groupe ont été

menées par deux chercheurs intervenant simultanément. C’est important et cela constitue une

autre des règles de toute action de PDT : il existe une étape de supervision du travail des

chercheurs. Et cette supervision a eu lieu tout au long de l’enquête. Ganem ajoute :

« Deux chercheurs participent à l’enquête, et portent leur attention sur les échanges entre les

salariés, les thèmes récurrents, ceux consensuels ou qui font l’objet de débats, ceux qui sont abandonnés

aussitôt qu’on les aborde. Cette écoute clinique du ressenti des situations de travail, et des

manifestations émotives qui s’associent à certains propos (colère, agitation, tristesse…) permet de

soutenir l’effort des membres du groupe pour mettre en mots des expériences et un « vécu » qui n’ont

parfois jamais été énoncés, ni partagés. »

Dans le cas du call center privé étudié, nous avons mené cinq réunions plus une

réunion de validation du rapport. Habituellement :

« Les enquêtes consistent donc à cheminer dans une mosaïque de récits dont le sens émerge au

fur et à mesure. Au moins deux séances de travail sont nécessaires, espacées d’au moins 2 semaines (je

préconise 3 séances dont la dernière est consacrée à la validation du plan du rapport). L’élaboration fait

alors l’objet d’un rapport rédigé par les chercheurs et soumis à la validation du groupe, afin d’en

éliminer des erreurs possibles et des épisodes que les salariés ne souhaitent pas y voir figurer, en

particulier lorsqu’ils mettent en scène des personnes identifiables. Une fois validé le rapport est adressé

à chaque participant et aux demandeurs de l’enquête. »

La question de la demande occupe un rôle central dans toute recherche en PDT. En ce

qui concerne la recherche de terrain de la présente thèse, la demande s’est manifestée plus

clairement dans un centre d’appels privé. Une fois la demande reformulée, une rencontre

collective a été organisée pour présenter l’intervention aux travailleurs et ouvrir les

possibilités d’inscription aux intéressés.

La question de la demande joue un rôle central dans toute intervention. Dominique

Dessors insistait sur ce point en prétendant qu’« il ne faut pas faire ce qu’on nous demande ».

Et nous reprenons ici le même article :

« Le travail de la demande : Il s’agit de ne pas se contenter de la première demande qui nous

est formulée. Que celle-ci provienne de la Direction ou des syndicats. Il faut la soumettre aux différents

acteurs concernés que sont les Institutions Représentatives du Personnel (I.R.P), les médecins du travail,

les assistantes sociales du personnel et les travailleurs eux-mêmes. »

Nous reviendrons sur l’importance de la demande au chapitre 8 lorsque nous

chercherons à voir les points communs et d’inflexion entre les différentes approches.

Le résultat final du processus a fait l’objet d’un rapport que vous pouvez trouver en

annexe 6 et que nous analyserons au chapitre 6, en approfondissant le contexte dans lequel

l’enquête a eu lieu. Le processus s’est développé sur une série de réunions programmées au

nombre de cinq. Pour la cinquième réunion on a apporté un rapport qui a été révisé et validé

avec le groupe. Tel que Ganem l’explique (op.cit.)

« Le rapport rédigé à l’occasion de ces investigations est systématiquement validé par les

participants et ils devraient systématiquement en être les premiers destinataires et décider de sa

diffusion. Ceci constitue la validation des résultats de l’enquête et parait donc également

incontournable. »

Le texte qui sert de base au rapport est le résultat de l’enquête en PDT : Ce texte a été

rédigé par les professionnels chercheurs et validé par le groupe, ce qui s’avère impératif. Ce

matériel a été le résultat d’un travail régulier qui recense les propos des membres du groupe,

le déroulement, l’interprétation et la rédaction proposée par les chercheurs, enrichie

éventuellement lors de la validation. Dans ce cas, le rapport a été l’objet d’un débat tenu par

l’équipe du laboratoire de psychodynamique du travail et de l’action, lors d’une journée à

Paris en octobre 2013.

Il est évident que le niveau d’incertitude est élevé étant donné qu’un texte ne sera plus

jamais le portrait exact de ce qui est arrivé au sein du groupe et que celui-ci passe

inévitablement par le filtre des chercheurs. La production doit révéler, entre autres, les faits

sans prétendre l’exhaustivité, impossible à atteindre. Une attention particulière doit donc être

prêtée à la rédaction d’un texte visant à inspirer les lecteurs –les membres du groupe étant les

premiers – et à offrir une perspective de réflexion, d’élaboration et de délibération pour passer

à l’action.

Il ne s’agit pas d’extraire le contenu des déclarations ou des représentations des

travailleurs pour les classer ensuite selon une liste prédéterminée de thèmes, mais de favoriser

les conditions pour susciter un processus d’élaboration et de délibération qu’on puisse

reprendre dans le rapport d’enquête.

Aussi la proposition est-elle de construire un contenu, d’échanger des expériences

construites au long des séances. C’est-à-dire, de construire un discours commun qui offre les

conditions pour que les sujets participant au groupe, ainsi que bien d’autres, puissent

s’approprier du contenu car, au-delà du fait qu’il est public, il leur appartient (Dejours &

Molinier, 2004).