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Chapitre 4. Observations sur l’activité dans des call centers en Amérique Latine et

4.2. Distribution des tâches

Dans la plupart des centres d’appels, les opérateurs changent de poste de travail

chaque jour. Dans certains, cependant, ils conservent le même compartiment mais ils le

partagent avec d’autres camarades ayant d’autres tranches horaires. Ceci les empêche de

personnaliser leur poste de travail avec des aide-mémoires, des notes qui leur sont utiles.

C’est le cas aussi des photos ou d’autres objets personnels qui, comme dans beaucoup d’open

spaces, sont interdits, ou bien permis mais en respectant certains paramètres. Les ordinateurs

aussi sont partagés. En arrivant au travail, chaque opérateur se logue pour s’identifier et à

partir de là, il a accès à son courrier électronique, à ses informations, et aux différents

logiciels dont il a besoin pour son travail. En revanche, les casques sont individuels et chaque

opérateur range le sien dans un casier sous clé. Dans le cas de certains centres d’appels où les

casques sont partagés, chaque opérateur a ses propres coussinets en mousse pour les oreilles

et pour le microphone, qu’il doit remplacer dans son casque téléphonique en arrivant et en

partant.

Il est intéressant de signaler que dans la plupart des call centers étudiés, les

travailleurs considéraient que le travail était relativement bien payé par rapport aux heures de

travail réalisées. En outre, de nos jours, dans presque tous les centres d’appels en Argentine

les employés sont déclarés et embauchés selon la modalité de travail à durée indéterminée.

Cela n’a pas été toujours ainsi. Beaucoup de call centers, voire de grandes entreprises

téléphoniques, ont commencé par employer les téléopérateurs en tant que stagiaires.

À ce jour, en Argentine, il n’existe pas de loi nationale pour les call centers.

Cependant, l’action syndicale, ainsi que certains accords obtenus dans des négociations

paritaires ou autres, comme celle que nous décrivons au chapitre 1, ont fait évoluer les

conditions légales d’embauche, du travail matériel et de son environnement dans un grand

nombre de centres d’appels en Argentine. Certes, cette évolution n’est ni universelle ni

régulière, comme on verra dans les données de notre recherche en PDT, chapitre 6. Ceci dit,

l’évolution favorable du point de vue matériel, dans la plupart des centres d’appels, n’a pas

été accompagnée d’une modification significative en ce qui concerne la distribution des

tâches et l’organisation du travail. Une organisation du travail laissant peu d’autonomie et

marquée par un contrôle excessif resterait au cœur de l’activité des contact centers.

Parfois, dans l’organigramme, les opérateurs dépendent d’un superviseur en

particulier. Dans d’autres cas, l’organisation adopte des fonctions transversales du type de

l’organigramme matriciel. Le nombre d’opérateurs par superviseur peut aussi varier d’une

organisation du travail à une autre. Ainsi, par exemple, dans un call center sous-traité, on peut

avoir un groupe de superviseurs qui travaille pour un client ou pour une campagne. Chaque

groupe d’opérateurs fera état de son travail à chacun de ces superviseurs.

Chaque groupe d’opérateurs s’occupe d’une tâche spécifique. Par exemple, dans une

compagnie d’assurances, un groupe répond aux appels sur les assurances voitures, un autre

s’occupe des assurances-vie, un autre des assurances habitation et un autre coordonne les

grues qui remorquent les voitures en panne dans la rue. D’autres groupes sont possibles selon

le type d’affaires dont il s’agit. Généralement, la plupart des opérateurs reçoivent les appels

(appels entrants) et un petit nombre réalise les appels (appels sortants). Ceux qui sont chargés

des appels sortants s’occupent principalement des tâches commerciales mais ce n’est pas

toujours le cas. Celles-ci ont des spécificités qui leur sont propres et en règle générale, ceux

qui font ce type d’appels ont souvent des objectifs et une part de rémunération variable plus

significative dans leur salaire. Ceci augmente considérablement la pression sur ce groupe

d’opérateurs. Or, ce ne sont pas les seuls à faire des appels sortants. Dans quelques centres

d’appels, les numéros de téléphone de ceux qui ont appelé et n’ont pas réussi à obtenir une

réponse restent enregistrés. Il y a des groupes d’opérateurs qui, au moment où les appels

diminuent, sont chargés de contacter ces usagers.

Dans les call centers sous-traités, chaque groupe d’opérateurs est attaché à un compte

ou à une campagne ponctuelle. Les différents comptes sont les différents clients ou entreprises

qui passent un contrat de services avec le contact center et chaque campagne peut être une

action déterminée pour un compte en particulier. Par exemple, dans un même contact center,

il se peut qu’à un étage on réponde à des appels pour une compagnie de téléphones ou

d’internet et dans un autre étage on vende des billets pour une compagnie aérienne aux

États-Unis. Chaque campagne ou chaque compte implique des activités et des chefs différents et

bien des fois, des conditions contractuelles, des horaires et même des conditions matérielles

de travail différents. En général, plus les compétences du travailleur sont spécifiques (parler

une langue étrangère ou avoir une formation technique préalable), plus le salaire sera élevé, et

meilleures seront les conditions de travail.

En dehors des opérateurs, dans la structure d’un contact center, l’on trouve des

superviseurs et des gérants. On a déjà parlé d’eux, de leur situation dans l’espace. Nous

voudrions présenter la situation difficile dans laquelle ils se retrouvent du point de vue de la

distribution de tâches. Chacun des superviseurs a le rôle de formateur des nouveaux

opérateurs de chaque groupe. Les superviseurs peuvent répondre à certains appels difficiles,

bien qu’en général ils accomplissent davantage le rôle de contrôle et d’aide à l’opérateur face

à certaines situations, pour que l’opérateur puisse répondre lui-même à son appel. Le

superviseur peut écouter les conversations des opérateurs de son équipe. Il a l’obligation

d’effectuer au moins quelques écoutes de chaque opérateur. Dans quelques cas, les écoutes

sont faites en temps réel ou différées, à partir des enregistrements réalisés. Il est intéressant de

remarquer que l’on parle d’écoutes, le même mot qui est utilisé pour parler du système de

contrôle employé par les services d’intelligence à la demande des organismes du pouvoir

judiciaire dans le cadre d’une enquête sur un suspect.

Dans la plupart des call centers, il existe un système appelé CRM, de par le sigle

anglais Customer Relation Management. Il s’agit d’un logiciel qui enregistre les données de

toute relation entre une organisation et ses clients ou usagers, parmi elles, celles des call

centers. Non seulement le CRM enregistre le contenu des conversations mais il fait des

calculs statistiques de chaque appel. Parmi d’autres données, le système enregistre qui a

appelé, qui a répondu, la durée de l’appel, le temps d’attente, l’évaluation du client selon sa

satisfaction de l’appel, les statistiques des appels de chaque opérateur ou la moyenne de

satisfaction des clients servis. Ce système permet aussi de calculer les temps utilisés par les

opérateurs pour les pauses entre les appels, pour aller aux toilettes, pour se loguer et se

déloguer.

D’habitude, les superviseurs choisissent dans le CRM les conversations qu’ils

souhaitent écouter. Comme nous l’avons dit précédemment, à l’issue de l’interaction, le client

est invité à manifester son degré de satisfaction à propos de la qualité du service. La réponse

de celui qui appelle est enregistrée dans le système. Ceux qui disent ne pas être satisfaits le

font soit parce que l’information reçue n’était pas à la hauteur de ce qu’ils attendaient, soit

parce qu’ils considèrent que le service offert par l’opérateur a été mauvais. Les superviseurs

écoutent directement les appels qui ont reçu une mauvaise évaluation, c’est-à-dire, les appels

qui ont présenté un certain niveau de conflit. Dans ces cas, le conflit conduit l’opérateur à

mentir, dans le but de satisfaire le client et afin qu’il complète l’enquête de manière

satisfaisante, même si le client est amené à appeler une autre fois. S’il rappelle, ce sera un

autre camarade qui répondra et très certainement pas lui. L’un des principaux problèmes de

l’organisation du travail dans des contacts centers est celui de la situation dans laquelle se

trouve l’opérateur qui doit prioriser la brièveté de l’appel et la satisfaction de l’usager. La

priorité n’est donc pas de trouver une solution au problème du client. Cette situation n’est pas

identique dans tous les centres d’appels téléphoniques. En France, par exemple, certains

centres d’appels téléphoniques sont évalués en fonction de la quantité d’appels que réalise un

même client.

Ce travail de contrôle et d’évaluation des appels dans quelques centres d’appels est

réalisé par un secteur spécifique, qui reçoit souvent le nom de contrôle de la qualité ou

formation. Ce sont d’habitude des opérateurs chevronnés à qui, à un moment donné, et à titre

de reconnaissance, on a attribué le rôle de formateurs puis d’évaluateurs des autres opérateurs.

Ce que les superviseurs et ceux qui font les écoutes évaluent, c’est le respect des protocoles

de service.