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10.   Conclusion et recommandations

10.3.   Ségrégation sociospatiale et exclusion sociale

Un récent rapport commandé par plusieurs offices de la Confédération (Schulte-Haller, 2011) nous rappelle qui est important de ne pas confondre ségrégation sociospatiale et exclusion sociale.

Si les deux immeubles LUP ne sont à l’évidence pas ségrégués sociospatialement, ce n’est de loin pas uniquement en raison de la mixité sociale présente dans le quartier de la Tambourine. En effet, nos résultats mettent en évidence l’importance d’autres facteurs tels que :

• La qualité de la construction des deux immeubles LUP, qui est généralement perçue positivement par les résidents. Outre le confort légitime que cette qualité de

construction procure aux locataires, le fait que les immeubles ne tranchent pas avec les autres constructions est à l’évidence un facteur d’intégration fonctionnelle dans un quartier. A la Tambourine, un visiteur étranger à l’œil non exercé aura bien de la peine au premier abord de distinguer les logements LUP des logements d’autres catégories.

• La qualité des équipements socioculturels et des équipements scolaires en toute proximité des immeubles d’habitations.

• La relative proximité du centre de Carouge et les possibilités d’accès en transports publics, ceci même si ces deux éléments font parfois l’objet de critiques par les habitants.

En revanche, les difficultés d’aménagements liées à un plan localisé de quartier mal pensé, selon l’avis d’une majorité d’habitants du quartier ainsi que l’absence totale de mixité fonctionnelle amène peut-être à ce constat paradoxal : les logements sociaux ne font pas l’objet d’une ségrégation sociospatiale en tant tels, mais c’est le quartier tout entier, dans sa dimension de mixité sociale, qui rencontre des enjeux d’aménagements internes et d’intégration dans la commune de Carouge. Peut-être que le quartier de la Tambourine fera effectivement partie de Carouge, lorsque des habitants des autres quartiers de la commune auront des raisons de s’y rendre. A l’évidence, l’ensemble socioculturel des Grands-Hutins mis en place par les autorités communales permet d’œuvrer dans ce sens.

Cette absence de ségrégation sociospatiale ne gomme pas pour autant la situation des habitants des logements LUP. La notion d’exclusion sociale proposée par Schulte-Haller implique une quasi totale désaffiliation du monde de l’emploi et des réseaux sociaux. Si nous ne nous sommes pas attachés à repérer ce type de profils de personnes parmi les habitants, nous avons en revanche clairement constaté une fragilité certaine de cette population par rapport à l’axe d’insertion professionnelle. En effet si sur l’axe d’insertion sociale la majorité des habitants est engagée dans des tissus de relations pluriels dans le quartier, ou hors quartier et pour une majorité d’entre eux aux deux niveaux à la fois, les indices d’une précarité professionnelle sont bien là. Pour rappel, ces indices sont :

• des scores nettement plus bas que la moyenne des habitants de l’arc lémanique lorsqu’il s’agit d’autoapprécier sa capacité de « tourner » avec son revenu actuel, et sa qualité de vie en général

• la grande variation intra-individuelle des types d’emploi exercés pendant la relative courte période de ces trois ans d’étude

• le fort sentiment d’insécurité civile dont nous avons montré comment il était corrélé au sentiment d’insécurité sociale.

Recommandations

Le principe de mixité sociale tel qu’il est par exemple posé dans un texte tel que le protocole d’accord sur le logement ne peut à lui seul garantir la cohésion sociale de la population genevoise. Ce principe de construction d’une mixité sociale au sein des territoires de petite échelle doit être impérativement intégré dans un cadre plus large. A Genève, le projet de loi relatif à la cohésion sociale en milieu urbain (PL 10823), actuellement en consultation, semble aller dans ce sens en mettant en avant la nécessité de garantir un cadre de vie de

143 qualité dans l’ensemble du territoire sur les plans à la fois sociaux, économiques et environnementaux.

Ceci implique d’envisager la mixité sociale à une autre échelle que celle de l’immeuble, et du quartier d’habitation. Un pas en arrière nous permettrait aisément de constater que la mixité sociale appréhendée dans cette étude est une mixité toute relative à l’échelle du canton. En effet, un rapide regard sur les excellentes cartes produites par l’Office cantonal de la statistique fait comprendre à un lecteur même non averti que la commune de Carouge concentre une part importante du logement social genevois, que le revenu médian de ses habitants fait partie des revenus les plus bas et que le taux de personnes bénéficiant d’aide sociale est parmi les plus élevés du canton. Les récents travaux du CATI-GE font même apparaître quatre sous-secteurs dans lesquels devraient se déployer prioritairement des politiques de soutien coordonnées entre l’Etat et les communes.

A terme, ces politiques coordonnées de soutien vont se trouver devant un dilemme important quant à l’engagement de moyens entre des secteurs du territoire dans lesquels la mixité sociale est mise à mal et des secteurs où règnent diverses formes de mixité sociale comme à la Tambourine, mais où nous avons montré combien la construction de la cohésion sociale devait y être soutenue et accompagnée.

Dès lors, peut-être que face à la montée des inégalités observée à Genève, notamment par le CATI-GE, il faudra se donner les moyens de résoudre une équation qui devra prendre en compte :

- d’une part, le fait, comme le suggère Baillergeau que pour un chômeur le fait de vivre dans une zone marquée par une surreprésentation de personnes ayant un statut économiquement bas est moins déterminant qu’un faible niveau de qualification personnelle. (Baillergeau, 2005, p. 23)

- et, d’autre part, que la mixité sociale qui dans bien des pays européens se présente comme un bien précieux à reconquérir est à l’œuvre dans bien des territoires à petite échelle du canton, certes de manière relative, mais que tout l’enjeu se présente ici comme d’être en mesure de la maintenir.

Si le premier terme de cette équation renvoie à l’importance des politiques de l’éducation, du logement et du développement économique qui se déploient au plan cantonal, le second terme met en lumière l’indispensable déploiement des politiques de proximité au plan communal. Dès lors, les principes de coopération entre ces deux niveaux de politiques publiques mis en avant dans le projet de loi sur la cohésion sociale ouvrent une voie stimulante à la fois à une meilleure connaissance de l’évolution des questions sociales à Genève et à la mise en place d’actions concertées, mais aussi concrètes, rapidement mises en œuvre et pragmatiques.