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6.   A l’épreuve du quotidien, quelle expression de la distance sociale dans les

6.4.   Le développement de formes de convivialité

A leur arrivée, les locataires mettaient en majorité en avant des attentes liées à des formes de convivialités (il faudrait faire des fêtes), de solidarité (se rendre des petits services) et de contrôle mutuel (chacun doit participer à la surveillance de l’immeuble). Une analyse plus fine de leurs attentes en terme de modes de vie privilégiés a montré que la moitié d’entre eux seulement souhaitait dépasser en quelque sorte les seuls échanges de civilité pour développer des relations plus denses avec leur voisinage direct.

fréquence des visites mutuelles dans les appartements ont légèrement progressé en trois ans et que 40% des habitants disent avoir recours à l’aide de voisinage.

Cela étant, comme pour les représentations autour du mode de respect du règlement ou de l’établissement d’une base de relations civiles, les personnes interrogées insistent d’autant plus sur les facteurs de distance sociale à surmonter dans l’établissement de relations de voisinages plus denses que les échanges prescrits par la civilité.

En matière de distance liée à des facteurs sociodémographiques, l’on retrouve la question des nationalités. Le témoignage d’un habitant très attaché à l’envie de s’inscrire dans un réseau de voisinage riche en échanges et en contacts montre comment la construction de la relation avec son voisin d’origine étrangère est le fruit d’une attention patiente, un processus relationnel qui appelle une forme de réflexivité, de doute et d’incertitude sur les positions de chacun.

Je discute souvent avec le parent d’un garçon qui est dans la classe de ma fille qui est un Iranien avec qui j’ai beaucoup de plaisir à parler. Mais ça va tout doucement… On échange, mais on sent que l’approche doit se faire vraiment par petits pas. Il y a ça d’une part, et puis d’autre part aussi... Ouf..., en tout cas moi j’ai pu sentir à un moment donné que j’étais un petit peu dans la position du « bon suisse » qui essaie de créer des liens avec les étrangers. Ce n’est pas facile parce que chacun arrive avec son histoire et on peut sentir que certains ont des histoires certainement assez douloureuses et assez compliquées dont on ne sait rien. Mais on a juste des gens en face de nous dont le contact est difficile. (P.92a)

Dans le processus de rencontre de l’autre, de l’étranger, de celui qui ne parle pas la même langue, un habitant explique comment il tente de jongler entre les différentes langues afin de tisser des liens, une façon de se vivre au quotidien comme « passeur » entre ses voisins, une attitude qui confine presque avec celle d’un médiateur culturel professionnel.

Bon moi j’ai des voisins qui ne parlent pas le français donc comme je parle l’anglais je leur parle en anglais. Je n’ai pas de problèmes à parler avec ces gens là. Ca me permet quand même de pouvoir atteindre, comment dire, certaines personnes. Par exemple, il y a un Somalien dont la femme ne parle que l’anglais, moi le somalien, je n’y comprends rien. Y’en a des autre aussi, des Capverdiens, ils ne parlent pas encore un mot de français par contre ils parlent portugais et donc on parle portugais. Il y a aussi pleins de familles portugaises qui sont là qui ne vont pas parler avec les autres, mais avec nous oui ils nous parlent. Dans cet immeuble, moi j’ai un peu le rôle de médiateur dans l’ensemble des immeubles. Par exemple, il y a un voisin qui a un problème avec un autre voisin, ils vont venir m’appeler, moi je vais et on discute ensemble, et normalement ça se règle juste comme ça. (P.90)

Si elle n’apparaît pas véritablement comme un frein aux contacts de civilité, à la simple cohabitation, la distance liée au différentiel de revenus se présente pour certains comme un obstacle à surmonter lorsqu’il s’agit de développer le contact.

Que les autres paient 10'000 balles ou 1000 balles, moi je m’en fous je paie mon loyer, il n’y a personne qui intervient pour payer mon loyer je le paie c’est tout.

101 C’est le plus important pour moi. Parce que je ne vois pas comment je peux dire. Parce que la personne peut gagner 100'000.- du moment que je ne vais pas bouffer chez elle, ça m’est égal. Moi avec le peu que j’ai je fais ma vie hein (P.91)

Cette distance liée au revenu est évoquée à la fois entre les personnes les plus aisées et les plus modestes,

C’est vrai que les gens qui sont tout en haut, qui sont en loyer libre, ils paient des loyers très chers, pis des fois ils n’ont pas envie d’être dans des immeubles… subventionnés… à cause de la population qu’il y en dessous… (P.93)

mais aussi par rapport aux habitants qui occupent une position médiane

Alors c’est clair, il y a des gens qui ont beaucoup d’argent et qui parlent avec des gens qui n’ont pas d’argent, qui sont à l’assistance sociale. Mais, il y en a d’autres pour qui c’est plus difficile… Le plus grand des problèmes, c’est les gens qui sont dans la classe moyenne. Tous ces gens « normaux », ils encaissent mal le fait de parler avec les autres, que ce soit ceux qui ont moins d’argent ou ceux qui ont plus d’argent… (P.90)

Dans certains cas, à la représentation de la distance générée par le différentiel de revenu s’ajoute la dimension des difficultés sociales vécues par le voisin, des difficultés sociales qui rappellent que l’on n’est tout de même pas dans le même monde tout en habitant si proche.

Ma voisine de palier..., elle a une vie…, moi je la vois, je la croise : « ça crie, ça hurle, ça… (avec sa famille) . Mais je trouve qu’elle est… ouais… pour moi c’est… un peu typique de cette population quand même… qui… on peut pas dire que c’est des gens misérables, c’est une sorte de misère de…. être de ressources, pas seulement financières peut-être de manière de vivre… C’est… Ouais, je trouve qu’elle est assez représentative… (P.93)

Parfois, le simple fait d’habiter un logement social laisse à penser que les voisins rencontrent des difficultés sociales comme cette mère de famille célibataire qui bien que souhaitant développer des contacts de voisinage reste à distance, comme pour se prémunir, comme pour se protéger.

J’ai été choquée par le suicide d’une personne dans la cave. Je me dis, mais dans quelle société on vit. Moi, ce sont ces choses-là qui m’empêchent d’aller, par exemple au goûter, d’aller partager quelques discussions avec les mamans des enfants qui jouent en bas, ça me fait peur parce que je me dis eux, ils ont certains problèmes et ça me met une barrière peut-être. C’est sûr que je dis bonjour à tout le monde avec le sourire, ça ne me dérange pas, mais je n’irais pas partager une discussion. Pour éviter beaucoup de choses. Je suis quelqu’un de très sensible et les problèmes des gens ça me pèse un peu. Rien que d’entendre que telle personne a tel problème ça peut me faire très mal alors je préfère m’éloigner. (P.372)

Les préférences liées au choix des modes de vie sont aussi mises en avant comme des obstacles à surmonter pour développer des contacts de voisinage : environ la moitié des locataires déclarent vouloir se contenter de liens faibles et un quart d’entre eux n’a effectivement aucun contact dans le quartier. Un locataire nous les décrit comme des voisins qui le matin « sortent par le garage » pour mener leur vie professionnelle et sociale hors du quartier.

Il y a pas mal de voisins par exemple qui même s’il y a une fête dédiée au quartier, eux ils ne sortent pas. Ils disent : « Ça ne m’intéresse pas d’avoir un lien avec les voisins » (P.90)

Dès lors pour les personnes qui sont venues habiter les deux immeubles avec l’attente de pouvoir développer des liens denses de voisinage, sur un mode quasi communautaire, le constat est presque un peu amer.

Je me suis rendu compte que la majeure partie des gens venaient là d’abord pour habiter, pour avoir un toit, un appartement. Il y a très peu de gens pour qui c’est important de développer du contact avec les voisins. C’est très secondaire. Donc à partir de là, effectivement, ça se réduit à une portion congrue de ces gens qui sont intéressés par augmenter le potentiel de cette vie sociale. Et quand il y a une fête des voisins, il y a une vingtaine de personnes. Finalement, on n’est pas obligé de vivre dans la grande communauté générale voilà. (P.92a)