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6.   A l’épreuve du quotidien, quelle expression de la distance sociale dans les

6.5.   Habiter « entre-soi », habiter dans la diversité

Nos résultats quantitatifs ont bien montré que pour près de la moitié des habitants, un mode de vie lié à des interactions denses de voisinage n’est pas un idéal attendu et que ces derniers mettent en valeur d’autres dimensions. Dès lors, la relative absence de ce type de liens à la Tambourine ne préjuge pas de la satisfaction de son environnement. Cela étant, les entretiens réalisés avec d’anciens habitants des immeubles Familia permet de prendre la mesure entre un environnement qui apparaît dans les discours comme ayant été assez homogène socialement et la diversité rencontrée à la Tambourine. La vie dans les immeubles Familia est présentée presque comme l’idéal type du « petit village », du quartier populaire où la vie collective était dense où tout le monde se connaissait, se parlait, s’entraidait. Dans le discours de ces habitants, les immeubles LUP apparaissent comme confortables et modernes, mais aussi comme le royaume de l’anonymat.

Les anciens des Familia mettent alors en avant la taille des immeubles,

Où on vivait avant c’était plus familial. C’était des plus petits immeubles c’était des immeubles à 3 étages. Tout le monde à peu près se connaissait. Il y avait un parc beaucoup de verdure. On se voyait toujours là, on faisait des grillades, on faisait plein de choses. (P.90)

le mode de l’usage d’un espace public quasi collectivisé, notamment pour les enfants On quittait un petit paradis là-bas. Pour les enfants, il y avait de l’espace pour jouer, ils jouaient au foot. Y avait de la verdure, y avait des arbres, on était près des magasins. Ici pour les familles qui ont des enfants c’est pas l’idéal. Il n’y a pas beaucoup d’espaces pour eux, il n’y a pas de verdure. Où on habitait c’était un petit village, parce qu’on se côtoyait, parce que là c’est l’inconnu, c’est chacun-pour-soi. (P.771)

Ou encore de formes d’entraides régulières de voisinage.

Je me rappelle qu’en bas la voisine qui avait besoin de quelque chose des œufs ou de la farine….mais là, à la Tambourine, je ne crois pas, je sais pas (P.771)

Des formes d’entraides qui se sont perdues en arrivant à la Tambourine.

Je venais juste d’accoucher, donc les voisins venaient. C’était différent, tandis qu’ici c’est moins… C’est un peu différent à cause de ça. Moi je pouvais avoir rendez-vous et laisser mon fils à la voisine. Oui il n’y avait pas ce complexe. Nos anciens voisins sont venus ici, mais on se voit moins parce qu’un il est tout en haut, l’autre elle est tout en haut de l’autre côté (P.90b)

103 Aux Familia, cette vie collective est présentée comme prenant le dessus d’une forme de confort individuel, un confort qui pourtant a été trouvé en arrivant dans les nouveaux immeubles. Mais le récit de cet habitant âgé exprime toute cette ambiguïté : entre perdre un mode de vie populaire auquel il était profondément attaché et trouver un appartement très confortable, mais dans un environnement qui apparaît comme très anonyme.

C’était des logements construits pour le milieu populaire, c’était pas insonorisé. Moi j’ y serais resté là-bas. On ne m’aurait pas donné le congé, j’y serai resté…pourquoi pas après tout. Ici y a une belle vue, il n’a pas de bruit. C’était bruyant pour finir là-bas. Là on peut dormir fenêtre ouverte, là on est bien. En bas c’était mal insonorisé, les gens la nuit qui allaient tirer la chasse d’eau, on entendait. On entendait la télévision. Là rien. Jamais je ne pensais habiter un immeuble, un appartement comme ça. Moi je pensais finir mes jours là-bas en là-bas. (P.771)

Difficile de faire la part des choses dans les discours des habitants sur ce « petit paradis » populaire que semblaient représenter pour eux les Familia. Il n’en reste pas moins qu’au travers de ces souvenirs peut-être un peu idéalisés ce quartier apparaît comme se rapprochant des espaces décrits dans les études sur les quartiers populaires, dans lesquels se bâtit une vie collective sur la base d’un « entre soi » homogène : on est tous de condition modeste, on partage le même mode de vie. Difficile de dire si dans ce quartier, une forme de référentiel commun s’est construit sur une base d’homogénéité sociale ou sur le fruit d’une construction des interactions de voisinage pendant près de 50 ans. Mais ce qui est sûr, c’est qu’en l’état, les immeubles de la Tambourine avec leurs trois ans d’existence et leur grande diversité sociale font figure d’exact opposé.

Cependant, il est possible de se demander si les liens denses de voisinage qui sont naissant ne sont pas en train de se constituer sur le même principe de la recherche de « l’entre-soi ». Nos données sur les critères de choix du voisin avec qui l’on souhaite avoir des contacts montrent bien :

qu’une catégorie d’habitants privilégie le contact avec des personnes du même âge et qui ont des enfants.

Disons que je ne passe pas de temps dans le quartier. Où j’habitais avant, j’avais trois enfants, c’est clair que l’école et tout, ce n’est pas du tout la même chose. Dans un immeuble quand on a des gamins et tout c’est vrai que c’est ça qui fait le lien. Autrement non. (P.93)

Alors qu’une autre catégorie d’habitants privilégie le contact avec des habitants du pays d’origine.

Non, je ne connais pas grand monde. Je ne connais qu’un voisin qui vient du même pays que moi, il habite aussi l’immeuble, c’est la seule personne que je connais (P.91)

Et qu’une dernière catégorie met en avant des critères multiples, certes, mais nos croisements ont mis en évidence le fait que cette catégorie d’habitants regroupait des personnes avec des caractéristiques de la classe moyenne. Des habitants de classe moyenne qui eux aussi au final semblent développer des contacts entre eux et ceci même si cela semble les interroger fortement, comme cette famille qui pourtant était en attente de développer une vie sociale avec l’ensemble de ses voisins et qui dialogue lors de l’entretien.

- (Monsieur) Avec ma femme on s’est rendu compte, et on en était un peu atterrés qu’on fréquente et on a creusé des liens qu’avec les gens qui étaient à peu près du même niveau socioculturel que nous. On était là, on s’est dit : « ce n’est pas possible d’être seulement entre nous ».

- (Madame) Je me rends compte que je suis en contact qu’avec des gens de mon niveau socioculturel et puis, quelque part de mon origine. Il y a quelque chose d’un peu pas le choix, d’un peu dramatique. Malgré ça, je n’ai pas de liens particuliers d’amitié que j’ai pu développer. Enfin, c’est peut-être moi. Finalement, elle est très peu vivante cette mixité sociale. On cohabite dans le même espace (P.92 a et b)

Expliquer cette quête de «l’entre-soi » par l’appartenance stricte à une catégorie sociale, à une origine nationale ou encore au choix résolu d’un mode de vie est en quelque sorte pratique pour le chercheur, le sociologue qui doit tenter d’expliquer, de baliser, d’évaluer la complexité du réel, des mécanismes de construction des relations sociales. Mais que ce soit à la lecture de nos typologies réalisées à l’aide d’outils quantitatifs ou à la réécoute patiente des entretiens, force est de constater que cette mixité mélangée qui règne à la Tambourine oblige sans doute l’habitant à se situer continuellement vis-à-vis de ces différentes appartenances. Dès lors, dans la diversité des trajectoires qui conduisent à habiter à la Tambourine on peut par exemple:

• Habiter un attique et avoir le sentiment d’être considérée comme « la bourge du haut » tout en étant d’origine ouvrière, et dans le même temps considérer que l’Etat en fait trop pour les revenus modestes

Moi je suis née dans une famille ouvrière alors je sais, c’est pas qu’une question de condition de pauvreté ou de manque de moyens. C’est… je trouve qu’ici on a quand même l’Etat subventionne beaucoup, l’Hospice Général qui carbure à fond (P.93)

• Tenir tout au long de l’entretien un discours assez stigmatisant à l’égard des voisins que l’on considère comme de condition sociale inférieure et un beau jour soi-même vivre l’expérience de la stigmatisation à cause d’un incident avec un propriétaire de l’immeuble d’en face

J’étais avec la voiture en bas, un 4x4. Il y a eu un monsieur qui est propriétaire qui voulait passer. Alors moi je lui ai demandé d’attendre 2 petites minutes. Le monsieur n’a pas apprécié et il m’a injurié en disant qu’il était « propriétaire » ici, moi j’ai répondu je paie 2’000chf de loyer. Mais avec les yeux en bas. J’étais tellement dégoutée de la façon dont il rabaisse les gens. (P.372)

• Avoir passé toute sa vie en faisant le choix d’un mode de vie collectif et d’un engagement dans l’environnement associatif de quartier et privilégier en arrivant à la Tambourine un mode de vie très individualiste.

Je ne souhaite pas m’engager dans le quartier, j’estime avoir assez donné en bas. Il y avait l’association des « Familia », je me rappelle que l’association s’était mobilisée contre la hausse des parkings. Avec l’association on était allé à la régie discuter avec et on avait pu obtenir une augmentation plus légère. Chaque automne y avait l’AG, il y avait beaucoup de monde qui venait c’était bien fréquenté. J’étais dans le mouvement populaire des familles. J’ai assez donné. Après la guerre, on avait fait les premiers discounts. On allait cherchait la marchandise, on s’est occupé aussi de l’école. On avait une initiative pour les logements. En automne on faisait une action pomme, ça c’est nous qu’on s’en occupait. On livrait les pommes aux personnes âgées qui ne pouvaient pas se déplacer. Non, j’ai assez donné… (P.771)

105 Savoir jongler avec ses appartenances multiples, se reconnaître dans les diverses appartenances de l’autre c’est peut-être comme le suggère Amin Maalouf (2004) éviter des replis sur une identité figée. Sans entrer dans un débat sociologique qui oppose parfois radicalement la vision d’un individu pluriel capable d’occuper des positions différenciées en fonction des différents espaces sociaux dans lesquels il est amené à occuper une place et la vision d’un individu fortement déterminé par son appartenance à tel ou tel groupe social, force est de constater que se positionner et interagir avec le voisinage dans un environnement social aussi diversifié que celui de la Tambourine suppose la mobilisation de compétences permettant de se situer soi-même tout en étant en mesure de situer l’autre.

Dès lors, le simple fait « d’habiter » s’ouvre sur un champ de complexité, voire d’incertitude. Les distances sociales sont là, il faut alors engager le processus qui permet de les dépasser et ça ne va pas de soi. A la Tambourine, ce processus n’en est qu’au début de sa construction ; un peu plus de la moitié des habitants pensent que les gens différents ne se mélangent pas et qu’il y a encore que peu d’espaces pour développer la convivialité. Faire un immeuble dans la diversité sociale passe et passera par un processus de construction. Après trois ans sept habitants sur 10 pensent qu’il faudrait développer un travail de médiation et réaliser une charte d’immeuble, texte de référence d’un vivre ensemble s’il en est.

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