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Lucie Lamarche*

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REF HISTORIQUE DU DROIT À L

AIDE JURIDIQUE AU

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ANADA ET AU

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UÉBEC 1. Au Canada, deux principaux facteurs politiques permettent d’expliquer le

développement de mesures sociales au cours des années 70. D’une part, l’agenda de la lutte à la pauvreté dominait la scène politique, avec, entre autres, comme préoccupation, le rapport des pauvres au droit. D’autre part, le Canada, mais surtout le Canada anglais, a subi l’influence positive des luttes menées aux États-Unis pour les Civil Rights and Liberties; quant au Québec, il a plutôt choisi à titre de référence les développements en matière de droits de la personne sur la scène internationale (adoption et entrée en vigueur des Pactes sur les droits civils, politiques, sociaux, économiques et culturels). L’instauration de régimes provinciaux d’aide juridique ou d’assistance judiciaire participe à cette double logique et l’évolution plus récente de ces régimes en témoigne aussi.

• Dennis Guest, Histoire de la sécurité sociale au Canada, Boréal, 1993, p. 229 et suiv.;

• Jean Hétu et Herbert Marx, Droit et pauvreté au Québec, Les Éditions Thémis, 1974, p. 467 et suiv.;

• L. Taman, La controverse au sujet des services juridiques : examinons les preuves, Ottawa, Bureau national du bien-être social, 1971.

2. Comme pour plusieurs autres mesures sociales, le démarrage des systèmes d’aide juridique au Canada a reposé sur une entente de financement partagé

* Lucie Lamarche, Ph.D., Professeure à la Faculté de science politique et de droit de l’Université du Québec à Montréal.

entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux. Ce mode de financement, toutefois, illustre une tendance initiale forte en faveur du modèle américain de “Judicare” où des avocats de la pratique privée sont payés à l’acte pour effectuer des représentations devant les tribunaux en matière criminelle et pénale. Citons, à titre d’exemple, l’Entente de 1973 conclue entre le gouvernement fédéral et la province de Québec laquelle (1) autorise la province à dispenser des services d’aide juridique dans certaines matières criminelles et (2) exige de la

province qu’elle prenne toutes les mesures raisonnables pour faire en sorte qu’une personne admissible à l’aide juridique et qui est détenue ou arrêtée ait la possibilité d’obtenir rapidement les services d’un avocat (art. 3).

3. Ce modèle de financement partagé n’a pas empêché les provinces d’adapter les systèmes d’aide juridique, tant du point de vue de la couverture des services offerts aux personnes économiquement admissibles que de celui des modes d’administration des régimes d’aide juridique. Le Québec, par

exemple, renonçant explicitement au modèle américain, a choisi d’établir un réseau mixte composé de cliniques juridiques communautaires et de bureaux d’aide juridique publics, ces derniers étant autorisés, au-delà de leur propre pratique, à émettre des certificats (ou mandats) d’aide juridique au bénéfice des représentations à l’acte fournies par les avocats de la pratique privée.

L’Ontario, pour sa part, a choisi de partager l’offre de services entre la pratique privée et les cliniques juridiques en fonction du domaine de droit concerné, à toutes fins pratiques. D’autres provinces s’en sont tenues à l’origine à la stricte couverture des services en droit criminel et ont choisi de confier aux Law Societies la gestion de l’émission et des conditions

d’émission des certificats à la pratique privée.

4. La présente opinion ne souhaite pas s’attarder directement aux effets des choix en matière de mode de livraison des services d’aide juridique ou à ceux découlant de la détermination des conditions économiques

d’admissibilité. Elle s’intéresse d’abord au contenu rationae materiae de ce droit (la couverture des services) en matières autres que criminelle. Dans cette perspective, et ce avant d’aborder plus strictement la question des garanties constitutionnelles dont pourrait bénéficier le “droit à l’aide juridique,” il est utile de définir en fonction de quels principes s’est déployée (relativement) l’assiette de services couverts. Il est d’usage de procéder à l’analyse des services d’aide juridique couverts par les diverses législations canadiennes en fonction de trois types de services : le droit criminel, le droit familial et les autres droits civils. C’est la méthodologie à laquelle recourent habituellement les Law Societies du Canada ou les Commissions d’aide juridique aux fins de la confection de leur rapport annuel. Toutefois, cette catégorisation nous apparaît insatisfaisante et doit être raffinée.

• Voir à titre d’exemple, L’aide juridique et les pauvres, Rapport du Conseil national du bien-être social, Hiver 1995, p. 45.

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ES FONDEMENTS LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS ACTUELS DE LA COUVERTURE D

AIDE JURIDIQUE AU

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ANADA

5. Les systèmes provinciaux d’aide juridique ont été soumis à des pressions importantes, du point de vue de la demande, au cours des années 80. Il semble que les administrateurs de ces régimes en soient venus à identifier deux sources principales de tension. D’une part, l’introduction de

législations destinées à la protection de personnes issues de groupes ciblés (les enfants, les personnes incapables, par exemple) ou à la protection du public (les jeunes contrevenants) engendraient des besoins de représentation juridique apparentés à ceux qui, dès l’origine des régimes d’aide juridique, avaient justifié la mise en place de réseaux d’aide juridique. On assimilait ainsi le besoin de représentation de personnes susceptibles d’être privées de leur liberté ou brimées dans l’exercice de leur liberté dans des contextes autres que celui du droit criminel aux besoins de “l’accusé.” D’autre part, la lutte des femmes pour l’égalité et contre la violence, a permis de mettre en lumière leur extrême vulnérabilité et celle de leurs enfants, surtout en situation contrainte ou choisie de rupture matrimoniale. Dans tous les cas, les régimes d’aide juridique ont dû prendre acte d’un élargissement de facto du concept de “liberté” et de “sécurité” physique et psychologique et tenter de réconcilier l’approche classique du droit à l’assistance judiciaire avec les besoins de la société canadienne. Le passage qui suit illustre cette réflexion :

A comprehensive review of the legal aid program was carried out during 1987/88 by a task force […]. Their report noted that the legal environment had changed vastly since the early 1970s when the program was implemented. In their view the Young Offenders Act, the Child Welfare Act, the Maintenance Enforcement Act, and the Charter of Rights and Freedoms, and other legislation, had “profoundly altered the legal context within which the Legal Aid Society operates.” The report suggested a “fundamental reorganization of the structure and priorities of the society.” […] The task force did, however, largely reject the idea that the legal aid society should focus on “poverty law” which might include, for example, representation before administrative tribunals, the pursuit of class action suits in which low income individuals are affected, and advocacy by groups that could not otherwise afford the cost of doing so. They concluded that the plan and the society should instead continue to offer its traditional criminal and civil coverage. […] The task force was strongly of the opinion that the legal aid society was “not an agency of social change.”

Legal Aid Services in Alberta, 1973-1998, Linda Janzen, The Legal Aid Society of Alberta, 1999, en ligne à :

http://www.legalaid.ab.ca/history/page09.htm.

6. Depuis les années 70, la tendance dominante, mais non exclusive, dans l’élargissement des services couverts par les régimes d’aide juridique a donc été de procéder à de tels élargissements plus ou moins généreux en fonction du nombre de nouvelles situations de risques juridiques s’apparentant à la privation de liberté ou à l’atteinte à la sécurité selon les standards du droit criminel. Seul le Québec et le Manitoba ont opéré des choix différents.

7. En y regardant de plus près, on constate que l’évolution des divers régimes canadiens d’aide juridique s’est faite en fonction de trois modèles dominants que nous nommons comme suit : le modèle restrictif, énumératif et

universel.