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39. Notons d’abord que lorsqu’on le compare aux instruments internationaux ou régionaux de droits humains garantissant une protection équivalente,

l’article 7 de la Charte canadienne présente des particularités. Ainsi, il se distingue de l’article 9(1) du Pacte relatif aux droits civils et politiques qui se lit comme suit :

Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l'objet d'une arrestation ou d'une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n'est pour des motifs, et

conformément à la procédure prévus par la loi.

40. De même, il se distingue de l’article 5(1) de la Convention européenne des droits de l’Homme qui se lit comme suit :

Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales:

41. Contrairement à l’article 9(1) du Pacte et à l’article 5(1) de la C.E.D.H., l’article 7 de la Charte canadienne soumet les atteintes à la vie, à la liberté ET à la sécurité à l’exigence du respect des règles de justice fondamentale.

C’est pourquoi il importe de dégager le contenu autonome du droit

constitutionnel à la sécurité de sa personne. Cependant, la Cour suprême a jusqu’à ce jour été plutôt appelée à se pencher d’une part, sur les liens qui rendent dépendants l’un de l’autre le droit à la liberté et le respect des règles de justice fondamentale et d’autre part, sur le type d’atteintes susceptibles de constituer une violation du droit de chaque personne à la liberté, à titre de droit principal.

42. Dans un premier temps, la Cour suprême a jugé, sans pour autant en définir la portée, que le concept de justice fondamentale ne comporte pas

strictement une dimension procédurale, comme en témoignent les articles 8 à 14 de la Charte qui protègent aussi les dimensions substantives issues des garanties judiciaires. Cette interprétation ne confère pas un statut autonome au concept de sécurité de la personne cependant.

Re B.C. Motor Vehicle Act, [1985] 2 R.C.S. 486, 503.

43. Elle a ainsi décidé qu’une disposition législative de nature criminelle peut rendre si complexe et improbable l’exercice d’un choix individuel que cette disposition porte atteinte aux règles de justice fondamentale par sa nature clairement injuste, laquelle entraîne une atteinte à la sécurité physique et psychologique de la personne. Il est à noter que le concept de sécurité de la personne est en l’espèce appréhendé sous l’angle de la privation de

l’exercice d’un libre choix susceptible d’engendrer une tension

psychologique grave et issue de l’existence d’une règle de droit et de son application potentielle ou probable.

R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, 456 (J. Dickson);

R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 41;

L.C. et P.G. Alberta c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668.

44. En matière d’administration de la justice, ces atteintes, issues d’un manque de respect de règles de justice fondamentale, pourront même se produire dans un contexte autre que celui du droit criminel.

B.C. Human Rights Commission et al c. Blencoe, [2000] 2 R.C.S. 307.

45. L’atteinte aux règles de justice fondamentale devra cependant découler d’une intervention de l’État via le système judiciaire et son administration.

R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, para. 84;

Renvoi relatif à l’article 193 et l95.1 (1)c) du Code criminel, [1990] 1 R.C.S. 1123, 1173-4;

B.(R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315, para. 88 (J. Laforest);

J.G. c. Nouveau-Brunswick (Le ministre de la Santé et des Services communautaires), [1999] 3 R.C.S. 46 (J. Lamer, para. 58-66).

46. C’est donc d’abord à titre de conséquence d’une atteinte aux règles de justice fondamentale que s’est définie la notion de liberté et de sécurité de la personne (contra : B.(R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315, para. 87, J. Laforest). Mais c’est aussi principalement et premièrement sur les atteintes relatives à la liberté que la Cour suprême a préféré se pencher, lorsque cette atteinte est le fruit d’une intervention abusive de l’État équivalent à une atteinte aux règles de justice

fondamentale, laquelle occasionne pour un individu une perte de contrôle sur son intégrité.

Renvoi relatif à l’article 193 et l95.1 (1)c) du Code criminel, [1990] 1 R.C.S. 1123, 1177-78 (J. Lamer);

B.(R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315, para. 22 (J. Lamer).

47. Dès qu’une règle de droit autre que criminelle est susceptible de violer le droit d’une personne à la sécurité, cette violation a été strictement définie par la Cour suprême à la lumière des exigences du respect du droit à la liberté. Par exemple, et ce malgré la légitimité des interventions étatiques en matière de protection de la jeunesse, la Cour suprême a préféré offrir aux parents la protection maximale de leur liberté de choix en matière

d’éducation contre les interventions de l’État alors qualifiées d’abusives dès lors que l’intégrité familiale est menacée par l’éventualité d’une ordonnance judiciaire prévoyant le retrait du ou des enfants du domicile familial. La Cour assimile alors au préjudice grave découlant de l’application d’une règle criminelle abusive, du point de vue des principes de justice

fondamentale, l’intervention de l’État susceptible d’entraîner un préjudice psychologique non moins grave.

J.G. c. Nouveau-Brunswick (Le ministre de la Santé et des Services communautaires), [1999] 3 R.C.S. 46 (J. Lamer, para. 59);

B.(R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315 (J. Laforest, para. 83).

48. Selon la Cour suprême, l’ingérence abusive de l’État dont l’article 7 est destiné à assurer le contrôle ne peut se concevoir que dans des situations où est mise en cause l’individualité de la personne. C’est ce que M. le juge Bastarache a qualifié de “choix personnels fondamentaux” dans la décision Blencoe. Ainsi, et à titre d’exemples, l’avortement (Morgentaler),

l’assistance au suicide (Rodriguez, [1993] 3 R.C.S. 319), l’éducation des enfants (B.(R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto) et la protection des informations transmises dans le cours d’une thérapie destinée aux femmes victimes de violence (O’Connor) constituent de tels intérêts impérieux. Mais la vie moderne, tout comme les exigences du droit

international des droits de la personne, exigent qu’afin de définir les intérêts impérieux de la personne, on tienne compte de l’incontournable déterminant que constitue son environnement social. On ne peut interrompre au seuil du domicile familial non plus que restreindre à la sphère des choix moraux la liste des déterminants susceptibles de porter atteinte aux choix

fondamentaux du citoyen.

B.C. Human Rights Commission et al c. Blencoe, [2000] 2 R.C.S. 307, para. 54 (J. Bastarache).

49. La prise en compte de ces déterminants sociaux permet aussi de distinguer les atteintes abusives de l’État à la liberté des individus et qui sont

susceptibles de comporter en conséquence des menaces à sa sécurité de celles qui, même par suite d’une omission de l’État, portent directement atteinte à cette sécurité. Cette interprétation nous semble conforme à l’autonomie que confère au droit à la sécurité de la personne le texte même de l’article 7 de la Charte canadienne et aux prescriptions du droit

international des droits de la personne tout comme à d’autres

développements du concept de sécurité humaine sur la scène internationale.

50. On doit accepter l’idée que l’insuffisance, l’absence ou la transformation d’un programme, d’une politique ou d’une loi destinée directement ou indirectement à la mise en œuvre de l’essentiel des droits nécessaires à la sécurité physique et psychologique de la personne peut constituer une atteinte aux règles de justice fondamentale en portant atteinte à la sécurité physique et psychologique des individus particulièrement vulnérables.

L’évolution des programmes et législations en matière d’aide juridique révèle un tel souci au Canada. Comme pour toute autre loi ou intervention, l’État a cependant l’obligation de veiller à ce que les régimes d’aide juridique atteignent réellement leurs objectifs, en vue de la protection des dimensions les plus essentielles de chaque droit.

51. La Cour suprême n’a d’ailleurs pas écarté cette exigence malgré la

reconnaissance du vaste champ discrétionnaire des législatures provinciales et territoriales dans la détermination de l’étendue des services d’aide

juridique. Le Juge Laforest a précisé, dans la décision B.(R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, que ces garanties minimales ne peuvent se situer sous un seuil qui n’assure pas le respect des règles de justice fondamentale, tentant ainsi de conférer un contenu autonome au droit à la liberté et à celui à la sécurité de la personne garanti par l’article 7 de la Charte canadienne.

Prosper c. La Reine, [1994] 3 R.C.S. 236, 267-68 (J. Lamer);

B.(R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315, para. 107.

52. Les services d’aide juridique ont été à tort associés à des mesures issues des politiques sociales. Comme le révèle une analyse sommaire des types de couverture d’aide juridique au Canada, plusieurs problématiques de nature différente sont susceptibles d’entraîner des litiges mettant en cause la sécurité physique et psychologique des citoyens et des citoyennes et les catégorisations fondées sur la seule histoire des politiques sociales au Canada serait hasardeuse. C’est plutôt la reconnaissance même de la vulnérabilité des citoyens privés des services de l’aide juridique par les législations pertinentes qu’il faut ici mettre en évidence. La retenue des tribunaux, lorsqu’il s’agit du respect de la marge de manœuvre des législatures en matière de politiques sociales doit donc en l’espèce être interprétée avec circonspection dans la mesure où toutes les violations de tous les droits humains sont susceptibles de porter atteinte à la sécurité des individus et nécessitent des mécanismes destinés à promouvoir l’accès à la justice. Il ne s’agit pas ici de débattre de la pertinence de l’intervention des tribunaux en matière de politiques sociales. C’est pourquoi il est nécessaire de distinguer les matières purement sociales des conséquences humaines

issues de la négation du droit à l’aide juridique. Ces conséquences peuvent survenir dans des contextes aussi divers que la protection de la jeunesse, le droit familial, le logement ou l’emploi. Elles doivent au cas par cas faire l’objet d’un examen méticuleux.

53. Il est illusoire et certainement inapproprié de s’en remettre d’abord aux tribunaux afin d’assurer que les divers régimes d’aide juridique ne

contribuent pas à accroître l’insécurité des citoyens et des citoyennes en les privant de la possibilité d’accéder à la justice administrative ou de droit commun en matière autre que criminelle. À d’autres occasions, les décisions de la Cour suprême ont eu pour effet d’imposer la modification de

législations afin de les rendre conformes à la Charte canadienne. Il convient donc de préciser comment une législation d’aide juridique au Canada, en ce qui concerne les dispositions relatives à la couverture des services, peut se conformer aux prescriptions de l’article 7 de la Charte, et ce dans le respect des engagements internationaux du Canada en matière de droits de la personne.

Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493.

Les exigences de l’article 7 de la Charte canadienne en matière d’aide