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Représentations du genre romanesque dans le discours savant et institutionnel

LE ROMAN CANADIEN, POUR QUI?

L’accent mis sur la vraisemblance ne doit toutefois pas se faire au détriment de la moralité, particulièrement parce qu’on juge que la majeure partie du lectorat du roman est, d’une manière ou d’une autre, relativement immature et risque de ne pas être en mesure de voir les dangers de l’œuvre de fiction. On peut alors se demander qui est le lecteur type du roman canadien dans l’esprit d’un chroniqueur ou d’un publicitaire de l’entre-deux- guerres. À qui donc, est destiné le roman canadien? La question peut sembler tautologique : comment le roman canadien pourrait-il s’adresser à un autre public que le lectorat canadien lui-même? Pourtant, dans l’Histoire de la littérature canadienne (1874) d’Edmond Lareau

508 Valdombre [Claude-Henri Grignon], « Littérature canadienne-française (Critique de Valdombre) »,

supplément « La vie canadienne », no 40, dans Jean Féron, L’Homme aux deux visages, Montréal, Éditions Édouard Garand, coll. « Le Roman canadien », 1930, p. 68.

affleurait déjà l’idée qu’une représentation fidèle des mœurs canadiennes est tributaire autant d’un désir de créer une littérature nationale que d’un besoin d’affirmer son authenticité auprès d’un lectorat européen. Lareau reprochait par exemple à Pierre-Joseph- Olivier Chauveau le langage grossier des paysans dans Charles Guérin qui « ne peut que donner, à l’étranger, une fort mauvaise idée de nos campagnes, tandis qu’il est bien connu de tous que le langage des Canadiens est bien supérieur aux patois de France et d’ailleurs » (HLC, p. 285). Henri-Émile Chevalier509 et Napoléon Bourassa510 subissaient le même genre de procès. Même lorsqu’on juge que les mœurs canadiennes sont bien représentées, la qualité du roman peut souffrir si l’on croit qu’un lecteur extérieur ne saura l’apprécier. La représentation des mœurs canadiennes tient donc au regard de l’Autre, dont la sanction est primordiale, ainsi la promotion de la littérature pour un lectorat canadien ne se fait que dans un deuxième temps. C’est aussi l’avis de Lucie Robert : « La promotion de la littérature est d’abord une façon de mettre en valeur la collectivité nationale, en premier lieu, au regard d’autrui et, en second lieu, à celui de ses propres constituants511 ». Le roman agit ici comme une carte de visite, il fait certainement plus souvent mouche auprès des lecteurs outremer que les traités d’histoire, qui seront bien moins lus que les romans. Le portrait qu’il y est fait de la nation canadienne a donc tout avantage à être fidèle à celui qu’on souhaite qui soit fait des Canadiens à l’étranger.

Cependant, le lecteur canadien entre également en scène dans l’imaginaire générique de la période de manière importante. Les articles et les études dans les périodiques font état de cette nouvelle considération du public lecteur. Alex Gagnon affirme qu’« [e]n faisant la promotion du livre sous toutes ses formes, par l’entremise de la

509 « On pourrait également reprocher à M. Chevalier d’avoir voulu, dans les romans qu’il a composés depuis

son départ du Canada, dénaturer l’esprit de nos institutions et représenter notre pays sous des couleurs certainement exagérées, pour ne pas dire malveillantes. [… N]ous ne saurions supporter sans protester ces exagérations outrées que l’écrivain porte à notre crédit. Ces fausses notions peuvent induire en erreur l’Européen qui n’aurait d’autres connaissances géographiques ou historiques que les romans de Chevalier. On nous représente comme une plage encore déserte, habitée par des sauvages encore barbares. Il n’y a pas de semaine sans qu’un grand dîner de cannibales soit donné à Québec ou à Montréal. Les quelques années que M. Chevalier a passées parmi nous ne l’autorisaient certainement pas à parler de la sorte de ceux qui l’ont accueilli comme un des leurs au foyer de la famille canadienne. » (HLC, 289)

510 « C’est [dans Jacques et Marie] un peu, de la première page à la dernière, le même thème et le même

chant. Cette note peut devenir monotone, non pas pour un lecteur canadien, car je le répète la vie canadienne est là tout entière, mais pour un étranger qui ne saurait comprendre tout le charme de ces couleurs locales. » (HLC, 317)

publicité ou en développant un discours critique aussi bien sur les œuvres littéraires que sur les ouvrages historiques politiques ou religieux, le journal cherche à guider son public vers la pratique de la lecture512. » Or, ce public est « stratifié » en « lectorats socialement différenciés, délimités, caractérisés513 ». Il ne sera pas question ici pour moi de retracer les habitudes de lecture réelles des Canadiens français de l’époque, mais plutôt de déceler, dans le discours sur le roman, le(s) lecteur(s) imaginé(s) du roman canadien. À l’instar de Patrick Charaudeau, je pose qu’il existe un « contrat d’énonciation journalistique » qui « correspond à la façon dont l’énonciateur journaliste met en scène le discours d’information à l’adresse d’un destinataire imposé en partie par le dispositif et en plus imaginé et construit par lui514. » Charaudeau distingue deux destinataires de l’information journalistique : « l’instance cible, celle à laquelle s’adresse l’instance de production en l’imaginant, et l’instance-public, celle qui reçoit effectivement l’information et qui l’interprète515 ». Il est possible que ces deux instances se superposent de manière effective dans la réalité, mais il m’intéresse surtout de comprendre quels sont les lecteurs supposés du roman selon les chroniqueurs et commentateurs journalistiques puisque la représentation que l’on donne du public cible du genre romanesque est partie intégrante de la conception du genre lui-même. Ce destinataire en partie construit par le discours journalistique est à rapprocher du lecteur modèle516, c’est-à-dire celui auquel l’écrivain pense lorsqu’il utilise différentes stratégies de communication dans son texte. Je continuerai ici, pour l’heure, de me concentrer sur le discours, qui reflète à la fois les nouveaux marchés qu’on souhaite développer, et le lectorat présumé habituel du roman canadien pour montrer que les chroniqueurs cherchent à encadrer l’expérience que font les lecteurs de la fiction.

512 Alex Gagnon, « Culture écrite et survivance. Les représentations du livre, de la lecture et de la littérature

dans Le Devoir », dans Micheline Cambron, Alex Gagnon et Myriam Côté (dir.), Les journaux québécois

d’une guerre à l’autre. Deux états de la vie culturelle québécoise au XXe siècle, Montréal, Codicille éditeur, coll. « CRILCQ Premières approches », 2018, p. 214.

513 Ibid., p. 218

514 Patrick Charaudeau, « Discours journalistique et positionnements énonciatifs. Frontières et dérives », SEMEN, [En ligne], no 22, 2006, p. 9, http://journals.openedition.org/semen/2793

515 Ibid., p. 12

Romans canadiens à l’intention des jeunes filles

« Les livres canadiens ne sont lus que par ceux qui en font ou se proposent d’en faire517 » disait un ami à Alfred DesRochers. Le discours entourant la publication romanesque canadienne dans les années 1920 fait surtout état d’une difficulté d’élargir le lectorat du roman canadien. La critique littéraire en est encore, au début des années 1920, à ses premiers développements et les lectures faites des nouvelles parutions ne sont pas encore tout à fait indépendantes d’un esprit mercantile qui veut, plus que de juger de la pertinence ou du style des romanciers, assurer la vente des ouvrages. Nombreux sont les chroniqueurs et les signataires d’articles de la presse écrite qui déplorent d’ailleurs le manque d’intérêt des Canadiens français pour le roman d’ici, en soulignant précisément la faiblesse des ventes. Dans une chronique sur ce problème, Jules Larivière prétend avoir mené une petite enquête en librairie sur la vente des romans canadiens :

Sur les quatre cents et quelques clients qui ont fréquenté l’officine littéraire de mon vieil ami, durant ces huit soirées, dix pour cent, à peu près, sont repartis sans ne rien acheter. Une fraction égale à trois pour cent a acheté des livres de sciences et de religion. J’en ai remarqué quatre ou cinq qui ont acheté des volumes d’histoire et de philosophie, soit un pour cent. Un nombre égal achetait des volumes de poésie. Le roman de haute envergure (France, Bourget, Bourgaux, Benoît, etc.) et le roman pour jeune fille (Delly, Chantepleure, Acher, etc.) accaparaient vingt-cinq pour cent de l’achalandage et le reste, soit l’énorme proportion de quarante pour cent, puisait dans les casiers du gros roman populaire français518

La précision des données prétendument recueillies ici par Larivière intéresse peut-être moins que le sentiment général qui se dégage de son commentaire : il y aurait encore, dans les années 1920, une absence d’intérêt pour le roman canadien, éclipsé par « le gros roman populaire français », qui présenterait d’ailleurs une menace plus imposante que la littérature édifiante de France519. Paul Durtal, qui mène une « enquête » semblable à celle de Larivière, en bibliothèque cette fois, est lui aussi confondu par le délaissement du livre sérieux, au profit d’une littérature de divertissement. Il écoute la plainte des livres, qui s’attristent de ne pas être empruntés :

517 Alfred DesRochers, Paragraphes. Interviews littéraires, Montréal, op. cit., p. 7.

518 Jules Larivière, « Causons », supplément « La vie canadienne » no 4, dans Jean Féron, Les Cachots d’Haldimand, Montréal, Éditions Édouard Garand, coll. « Le Roman canadien », 1925, p. 76.

« Lui aussi ne viendra pas. Lui aussi préfère les romans. Aujourd’hui, on n’aime plus les gens sérieux qui pensent à l’avenir, parlent du passé, de religion, de vie simple mais haute »...

J’arrivai devant la section Religions, Histoire, Beaux-Arts... et j’ai compris le reproche, la plainte des vieux livres sérieux : peu ou point de vide aux rayons520.

Si Durtal utilise le masculin en référant à ces lecteurs imaginaires qui délaissent les lectures sérieuses, c’est véritablement la lectrice qui est en cause : « [J]'écoutai des jeunes filles, des dames instruites et distinguées échangeant leurs livres. Or, toutes redemandaient des romans521... » Le lecteur type du roman est en effet plus souvent une femme, entichée du roman-feuilleton français, de romans dits « livresques522 », « romanesques523 », et qu’on perçoit comme fidélisée à ce genre de publication. À ce roman livresque s’oppose le « vrai » roman, qui intéresserait les hommes éduqués et dont la lecture aurait, implicitement, pour but l’achèvement de leur formation à titre de sujet politique524.

L’Action française réunit par exemple sous le titre « Lectures pour l’homme intelligent »

une longue liste de romans canadiens525, manière d’influencer les lecteurs potentiels. La cohabitation des deux types de romans est évidemment difficile dans l’imaginaire générique; le roman de type « livresque » étant perçu comme moins pertinent, on incite le public à s’en détacher. Plus précisément on souhaite que les femmes délaissent le roman- feuilleton français pour le roman canadien sérieux. On doit donc construire le roman canadien surtout pour elles.

Dans les périodiques canadiens-français de l’entre-deux-guerres, on ne cherche en effet pas à empêcher la femme de lire des romans, mais en s’appuyant sur l’idée que l’esprit féminin est plus prompt à être souillé par de mauvaises lectures, on bâtit le modèle du roman canadien autour de la moralité, en vue d’une lecture saine pour les jeunes filles. Les critiques d’œuvres romanesques se terminent ainsi presque toutes sur la recommandation ou non de « mettre le livre entre toutes les mains ». On peut comprendre, bien que ce ne soit pas toujours explicite, que ce sont surtout les mains de femmes dont on parle ici,

520 Paul Durtal, « La plainte des livres sérieux », L’Action populaire, 28 février 1929, p. 1. 521 Ibid.

522 « [L]es œuvres étaient superficielles, livresques, peu savoureuses. » dit-on du roman canadien de la

première heure dans [S. a.], « Le roman », Le Devoir, 1er juillet 1937, p. 8. 523 Paul Durtal, « La plainte des livres sérieux », op. cit., p. 1.

524 Alex Gagnon, « Culture écrite et survivance. Les représentations du livre, de la lecture et de la littérature

dans Le Devoir », op. cit., p. 214.

notamment dans la critique des Engagés du Grand Portage où on lit : « Ce roman qui peut être mis entre toutes les mains n’est pas cependant à l’eau de rose. Il renferme des tableaux cruels, précis, réalistes; il est tour à tour virulent et tendre526. » Les Engagés du Grand

Portage est alors présenté comme un roman canadien qui appelle à la fois des qualités

féminines (la tendresse) et masculines (par le biais des adjectifs cruels, précis, réaliste, virulent). Par ce genre de remarque, on invite les femmes à délaisser les romans populaires français pour les romans canadiens qu’on trouve plus moralement acceptables.

Évidemment, la lectrice est placée, dans l’imaginaire générique, « sous l’autorité préalable d’une lecture masculine, qui seule paraît dotée de jugement et de distance critiques527. » Néanmoins, dans les pages féminines, il n’est pas rare de voir des chroniqueuses se saisir de ce discours pour dissuader les lectrices de lire les romans jugés trop périlleux. Dans une réponse à la lettre d’une lectrice identifiée sous le pseudonyme de Trop Petite, la chroniqueuse Gaïta l’enjoint à rejeter le roman L’Empoisonneur (1928) de Jean Nel (pseudonyme de Jean-André Jeannel), dépeint comme « [u]n livre qui abaisse l’esprit du lecteur dès les premières pages, le traîne dans la boue, la honte, le crime et la bêtise humaines, […] un livre de cette façon, voilà l’empoisonneur des idées saines, de la moralité et des nobles enthousiasmes528. Trop Petite a malencontreusement apprécié le roman de Nel et Gaïta attribue cette appréciation à la sensiblerie naïve de la lectrice qui la rend incapable de percevoir l’ignominie du roman : « mais ma mie Trop Petite, votre cœur est trop grand, car il trouve de multiples qualités à ce livre mal pensé et mal rendu, et, malheureusement édité sous le vocable de roman canadien529. » Trop Petite incarne parfaitement la jeune fille qu’il faut savoir diriger vers de plus saines lectures puisqu’elle s’avère incapable de le faire toute seule. L’étiquette de « roman canadien » qui figure sur la couverture de certains livres apparaît de même comme piégée et l’on considère que les jeunes lectrices ne seront pas à même de distinguer le bon grain de l’ivraie et seront leurrées vers de mauvaises lectures alors même qu’elles tentent de remplir leur devoir patriotique en encourageant les auteurs canadiens. Le pseudonyme de Trop Petite, d’ailleurs,

526 [S. a.], « Les Engagés du Grand Portage », Le Courrier de Saint-Hyacinthe, 1er juillet 1938, p. 1.

527 Mylène Bédard, « Flattée et pourfendue. Représentations de la figure de la lectrice dans Le Pionnier de Sherbrooke », Voix et Images, dossier « Les genres médiatiques (1860-1900), vol. 42, no 3, printemps-été

2017, p. 46.

528 Gaïta, « Billet de Grande-Sœur - L’Empoisonneur », Le Bulletin des agriculteurs, 22 novembre 1928, p. 5. 529 Ibid.

l’identifie déjà comme immature et on pourrait bien imaginer que sa lettre est en fait écrite par Gaïta elle-même pour illustrer plus aisément son propos et lui donner une aura de vérité.

Le rôle de certaines chroniqueuses des pages féminines est alors similaire à celui de la mère de famille qui connaît mieux ce qu’il est convenable de lire pour une jeune fille non pas parce qu’elle a une grande érudition, mais parce qu’elle sait départager le vice et la vertu. Le commentaire de Jules Larivière à propos du roman Dans les ombres d’Éva Sénécal souligne ce trait : « si vous voulez le conseil sincère d’un pékin (un amateur) en théologie et même en philosophie, mais qui connaît bien la vie, bonnes mères canadiennes, ne faites pas lire le roman de Mademoiselle Sénécal à vos jeunes filles530. » Il suffit de bien connaître la vie canadienne pour être en mesure de recommander ou non un ouvrage qui puisse affecter les mœurs de la jeune fille. On constate alors qu’il existe une filiation de femmes dans la représentation de la lectrice de romans, celles ayant acquis le savoir sur les bonnes et les mauvaises œuvres devant éduquer les plus jeunes. Le commentateur masculin surplombe évidemment ce discours puisque c’est lui qui ultimement guide les chroniqueuses, les mères de famille et les jeunes filles modernes loin du roman présenté comme diabolique parce qu’il présente le mensonge, l’illusion, l’indécence du rêve531. Pour Alex Gagnon, la lecture représente deux grands dangers pour les femmes dans la conception de l’entre-deux-guerres : la sortie du foyer domestique et la sortie d’elles- mêmes532, c’est-à-dire la déconnexion du réel pour plonger dans la fiction. À ces deux dangers qui guettent la lectrice de romans, il me semble qu’il faille ajouter celui de faillir à la tâche en tant que gardienne de la nation.

Les nourritures livresques

Lorsqu’on regarde plus largement qui est identifié comme lecteur potentiel du roman, on constate que les classes sociales se superposent au sexe comme caractère définitoire du rapport que les lecteurs doivent avoir au genre romanesque. À l’instar de la jeune fille, l’ouvrier doit aussi être orienté dans ses lectures des romans. Les lectures de la classe ouvrière sont une préoccupation nouvelle dans les lettres canadiennes-françaises.

530 Jules Larivière, « Les nouveaux livres », Mon magazine, vol. 6, no 8, 10 octobre 1931, p. 10. Vigilant est

d’accord dans « Notre excès de bille », Mon magazine, vol. 6, no 9, novembre 1931, p. 34.

531 Alex Gagnon, « Culture écrite et survivance. Les représentations du livre, de la lecture et de la littérature

dans Le Devoir », op. cit., p. 221.

L’industrialisation, l’urbanisation et la scolarisation jouent un rôle prépondérant dans l’accès nouveau de cette classe de la société à la lecture. Le sujet du lecteur ouvrier apparaît fortement en 1925, où plusieurs chroniqueurs, dans des périodiques très différents, choisissent d’aborder cette question. L’année 1925 est marquée par des débats importants sur le communisme et l’éducation des prolétaires à la suite, en particulier, de l’ouverture de l’Université ouvrière par Albert Saint-Martin cette même année533. La question de l’ouvrier et de son rapport à la lecture des romans commence alors à se poser avec plus d’acuité comme un sujet de réflexion pour les chroniqueurs littéraires.

Jules Larivière a un intérêt pour l’ouvrier qui, après une dure journée de travail, souhaiterait se divertir par la lecture d’un bon roman et se déplace en librairie :

Enfin, c’est le brave père de famille, solide ouvrier qui, une fois la semaine, laisse ses habits de travail pour venir faire ample provision de lecture pour lui et les siens et rapporte avec orgueil une pile de volumes dont chacun éveillera chez lui des désirs malsains et offrir à sa famille des scènes plus ou moins crues d’adultères et d’escroquerie534...

S’il est brave et solide dans le contexte de son travail, l’ouvrier dépeint ici par Larivière n’est pas un bon père de famille, puisque les romans qu’il choisit, avec orgueil, mais, on le comprend, sans être capable de déterminer correctement leur valeur, sont des lectures malsaines qu’il fait pénétrer dans son foyer. Ses enfants et sa femme seront bien vite eux aussi exposés à l’adultère, à l’escroquerie, alors qu’il devrait les en protéger. L’ouvrier lui- même est sujet au même type de perversion de ses mœurs que la jeune fille avide de romans. Chez lui aussi, les désirs malsains sont éveillés par la lecture des mauvais ouvrages.

Alors que la jeune fille est simplement faible de caractère, c’est le type de vie journalière de l’ouvrier qui explique en partie son besoin d’évasion : « l’homme du peuple, las de son labeur journalier, se sent le soir venu, un besoin de délassement, de changement d’atmosphère fut-il factice et délétère535. » Larivière dédouane ainsi quelque peu l’ouvrier,

533 Pour explorer davantage la question de l’éducation communiste au Québec, consulter, notamment, Robert