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Chapitre II Planification de séquences

II.2. PLANIFICATION DE LA CONNAISSANCE ET CONNAISSANCE DE LA PLANIFICATION CONNAISSANCE DE LA PLANIFICATION

II.2.1. ROLE DES CONNAISSANCES DANS LA PLANIFICATION

Nous l’avons dit, les connaissances des enseignants sont rarement étudiées en tant qu’(inter)agissant sur l’activité de planification. Elles sont plutôt étudiées en tant que telles, statiquement. Nous présentons ici trois modèles et une expérimentation prenant en compte les connaissances dans l’activité que nous étudions.

II.2.1.1. Le modèle de raisonnement pédagogique de Shulman

Le modèle cyclique de Shulman (1987, p. 15) est un « modèle de raisonnement et d’action pédagogique ». Il se décompose en six phases, que nous décrivons ici :

Compréhension, des buts, des structures du contenu, des idées dans et hors de la discipline ;

Transformation, comprenant les sous-étapes suivantes :

Préparation : interprétation critique et analyse de textes, structuration et segmentation, développement d’un répertoire curriculaire et clarification des buts,

1 — connaissance du contenu ;

— connaissance de pédagogie générale, avec des références aux principes et stratégies de gestion de la classe ;

— connaissance du curriculum ;

— connaissance du contenu pédagogique, « amalgame spécial de contenu et pédagogie » (ibid.) ; — connaissance des apprenants et leurs caractéristiques ;

— connaissance des contextes éducationnels ;

Représentation : utilisation d’un répertoire qui inclut analogies, métaphores, exemples, démonstrations, explications, etc.

Sélection : choix à partir d’un répertoire qui inclut modes d’enseignement, d’organisation, gestion...

Adaptation aux caractéristiques de l’élève : considération des conceptions, pré-conceptions, erreurs et difficultés, langue, culture et motivations, classe sociale, sexe, âges, capacités, aptitudes, intérêts, attention...

Instruction, c’est-à-dire gestion, présentations, interactions, groupes de travail, discipline, humour, questionnement et autres aspects de l’activité d’enseignement, enseignement par la découverte ou l’enquête, ainsi que les formes observables de l’enseignement (phase interactive) ;

— Évaluation, ou contrôle de la compréhension pendant la phase interactive, à la fin de la leçon ou des unités, évaluation de sa propre performance et ajustement pour les expériences suivantes ;

— Réflexion, passer en revue, reconstruire, refaire et analyser sa propre performance et celle de la classe ;

Nouvelles compréhensions, des buts, contenu, élèves, enseignement et de soi-même ; — Renforcement des nouvelles compréhensions et des apprentissages par l’expérience.

La vue générale de ce modèle peut se représenter ainsi :

Compréhension Nouvelle compréhension Transformation : — interprétation critique — représentation — adaptation Instruction Évaluation Réflexion

Figure 2.2 — Un modèle de raisonnement et d’action pédagogique (Shulman, 1987, p. 15). Ce modèle, d’inspiration tylerienne, est intéressant car il montre comment les connaissances aident l’action et comment, en retour, cette dernière alimente la connaissance du réel. Action et réflexion sont ainsi intriquées et forgent, l’expérience augmentant, cette connaissance.

II.2.1.2. Shavelson, Stern et les facteurs influençant les jugements et décisions

Le modèle que nous présentons maintenant, celui de Shavelson et Stern (1981, p. 472) s’interroge moins sur le processus d’acquisition de connaissances du contexte que sur les connaissances elles-mêmes. Sans parler d’exhaustivité, irréaliste dans ce domaine (voir plus haut), il semble ne rien oublier d’important. Il faut aussi remarquer

que le modèle tylerien est abandonné dès lors qu’on ne se centre plus sur l’action de l’enseignant, mais sur ses connaissances.

Informations sur l'élève : - habiletés

- participation - comportement

Attributions de l'enseignant au sujet des causes probables du comportement de l'élève Utilisation d'heuristiques Différences individuelles entre enseignants : - croyances - conceptions du contenu - complexité conceptuelle

Nature des tâches d'enseignement telles que : - activités - groupement - matériels Jugements de l'enseignant : • sur les élèves - habiletés - motivations - comportement ... • sur le contenu - niveau - rythme... Décisions pédagogiques Contraintes institutionnelles

Figure 2.3 — Quelques facteurs contribuant aux jugements et décisions des enseignants (Shavelson et Stern, 1981, p. 472).

II.2.1.3. Bru et les variables de l’action didactique

Le modèle de Shulman intègre la connaissance à long terme et son utilisation dans l’action ; le modèle de Shavelson et Stern, lui, présente une liste de paramètres du contexte pris en compte dans les décisions détachées de l’action. Celui de Bru (1991) travaille plutôt dans l’unité d’une séquence d’enseignement et pourrait être une synthèse des deux précédents.

Bru met en avant la notion de variable d’action, qu’il classe en trois catégories (voir Tableau II.2 ci-dessous). Les première et troisième catégorie concernent plutôt la phase préactive de l’enseignement, alors que la deuxième regroupe des variables processuelles, donc modifiées durant la phase interactive.

Tableau II.2 — Les principales variables de l’action didactique (d’après Bru, 1991, p. 112-113).

Type de variable Nom des variables

Structuration et mise en œuvre des Sélection et organisation des contenus

contenus Opérationalisation des objectifs

Activités sur les contenus

Variables processuelles Dynamique de l’activité scolaire (motivation, sanctions) Répartition des initiatives entre enseignants et élèves (buts,

démarche, moyen)

Registres de la communication Modalités d’évaluation

Cadre matériel et dispositif Lieux des séquences d’enseignement apprentissage Organisation temporelle

Regroupement des élèves Matériel et supports didactiques

Cette vision serait insuffisante, car non dynamique, si Bru ne proposait pas de cadre de modification de ces variables d’action. C’est ce qu’il fait en avançant la notion de profil d’action didactique. Ainsi, à un instant T donné et dans une séquence donnée, chacune des variables mentionnées ci-dessus peut prendre une modalité précise1, elle est instanciée. L’ensemble de ces modalités est appelé le profil didactique de l’enseignant à l’instant T. Ce profil pourra être étudié ainsi que sa variété générale — le nombre des profils différents au cours des différentes séquences — et interne — les variantes, différentes instanciations d’une variable donnée2. Le terme de « profil » ne doit pas nous tenter de réifier le comportement de l’enseignant dans sa classe, mais au contraire nous faire nous interroger sur les conditions de sa variabilité. Ce modèle semble avoir un intérêt certain si l’on étudie les liens de ces variables avec l’activité de planification proprement dite, ce que Bru fait dans la suite de son ouvrage.

II.2.1.4. La technique de Rimoldi chez Housner et Griffey

Cette étude expérimentale sur les connaissances utilisées dans la planification aurait pu être recensée dans la partie sur les différences expert-novice, ce qui montre

1 Bien entendu, les variables ne sont pas forcément choisies explicitement ou volontairement par l’enseignant, mais peuvent être instanciées de fait, selon le contexte ou les routines de l’enseignant.

2 Il convient donc de ne pas prendre le terme « profil » dans son acception habituelle, essentiellement non variable intrasujet.

bien l’intrication de ces deux domaines. Nous avons préféré la citer ici car c’est une des rares études, à notre avis, qui abordent spécifiquement le lien entre connaissance et planification.

Housner et Griffey (1985) étudient les pensées pré-, inter- et postactives1 de huit enseignants expérimentés et de huit enseignants novices lors de séquences d’éducation physique et sportive. Les sujets expérimentés ont au moins cinq années d’enseignement. Les sujets doivent préparer deux séquences, de football et de basket-ball, pour quatre élèves. Le protocole utilisé est la technique de Rimoldi (Rimoldi, 1961; Rimoldi et Haley, 1964 ; Shulman et Elstein, 1975). Elle permet « de se pencher sur la quantité, le type et l’ordre de l’information requise pour résoudre un problème » (De Ketele, 1991, p. 80). De Ketele (ibid.) décrit ainsi cette technique :

« — objectif : le sujet doit résoudre un problème présenté en posant les questions qu’il juge nécessaires et suffisantes ;

déroulement : après chaque question et avant qu’il pose la question suivante, on lui fournit l’information pertinente ;

fin de la tâche : sa tâche est terminée lorsqu’une solution est trouvée ou lorsqu’il ne veut plus poser de questions ».

Une telle technique a de grands avantages car elle évite élégamment le recours à la pensée à haute voix : le sujet dévoile une partie de son processus mental en demandant des informations, à partir desquelles on peut concevoir un modèle de traitement de l’information2. Les sujets planifient leurs séquences en pensant à haute voix. Les résultats principaux sont les suivants :

à propos du nombre d’informations demandées : les enseignants expérimentés demandent plus d’informations3 que les novices (53 au lieu de 37) et ces infor-mations sont focalisées sur l’aspect spatial et visuel de la situation ;

à propos du type des décisions prises dans leur planification : les expérimentés prennent deux fois plus de décisions (127 au lieu de 63) à propos de la stratégie d’enseignement (centrée-enseignant) que les novices, alors que les décisions d’activité (centrées-élèves) sont de même importance ;

— enfin, les expérimentés utilisent plus de matériel pour mener leurs leçons, matériel qui est de plus utilisé de manière moins traditionnelle que les novices.