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CHAPITRE 2 ASPECTS THÉORIQUES & MÉTHODES UTILISÉES

1. Résonance magnétique nucléaire (RMN)

1.2. Application de la RMN de l’état solide pour l’étude des membranes

1.2.2. RMN du phosphore pour les membranes

Le phosphore-31 est un isotope qui permet d’étudier les têtes polaires des phospholipides (Figure 31). Il est très utilisé en études membranaires puisqu’il présente l’avantage d’avoir à la fois une forte abondance naturelle (100%) et une forte sensibilité (rapport gyromagnétique élevé tel que montré dans le tableau 4 (Seelig, 1978; Marcotte, 2016).

Figure 31 : Schéma simplifié d’un phospholipide : principaux constituants et mouvements de

rotation axiale dans le champ magnétique

Le déplacement chimique du phosphore dépend de l’orientation des phospholipides dans le B0. Comme expliqué précédemment, un spectre de poudre est généré selon les différentes distributions de fréquences pour chaque orientation possible (Figure 32). Or, les phospholipides dans une bicouche adoptent un mouvement de rotation à symétrie axiale autour de l’axe du lipide. Cela fait en sorte que deux des trois constituants sont équivalents. Les résultats représentatifs d’une couche phospholipidique typique en phase fluide cristalline sont un spectre à deux épaules spectrales séparées par le CSA. À δ⊥ lelipide est perpendiculaire à B0, et à δ\\ le il y est parallèle, et entre les deux, des δ varient selon l’orientation (Seelig, 1978).

Figure 32 : Mouvements et orientations des phospholipides d’une membrane lipidique et spectre RMN-31P correspondant (Marcotte, 2016)

Ainsi, la RMN du 31P représente une technique puissante qui offre l’avantage d’étudier les phospholipides. Elle permet d’étudier non seulement les orientations et les mouvements dynamiques des lipides (Seelig, 1978; Marcotte et al., 2003; Marcotte et Auger, 2005; Robert et al., 2015) , ce qui permet de déduire la fluidité et le polymorphisme lipidique à partir des spectres de 31P des membranes lipidiques (Cullis et Kruijff, 1979).

(i) Quantification de la fluidité membranaire

Le degré de la fluidité membranaire est directement corrélé avec l’anisotropie de déplacement chimique (CSA). Schématiquement, la largeur du spectre représente le SCA (Figure 32). Par exemple, plus l’écart ou le CSA est fort, ce qui correspond à un spectre large, plus la membrane est rigide. Lorsque la largeur du spectre est très étroite, donnant un pic isotopique, la membrane est très fluide (Seelig, 1978).

(ii) Formes et déformations des membranes

L’effet coopératif des lipides de structure permettent aux membranes de s’aligner spontanément en certaines orientations spécifiques lorsqu’elles sont soumises à un champ magnétique fort. Cela est dû à la susceptibilité magnétique anisotrope, une propriété des chaines acyles et des groupements esters des phospholipides lorsque soumis au champ magnétique B0 (Speyer et al., 1987; Picard et al., 1999; Marcotte et al., 2006).Par exemple, les lipides peuvent s’orienter avec l’axe longitudinal perpendiculaire ou parallèle à B0, ce qui donne plusieurs formes membranaires (Figure 34).

Plus spécifiquement, dans un champ magnétique, les membranes, notamment les vésicules, peuvent avoir plusieurs formes : sphériques ou allongées (ellipsoïdales). Une vésicule élastique peut se déformer selon la viscosité de la membrane (Picard et al., 1999). Dans certaines conditions, ces déformations sont favorisées ou inhibées, ce qui est le cas pour l’effet de la température (Pott et Dufourc, 1995) ou celui de la présence des molécules exogènes (Picard et al., 1999). Une ellipsoïde est définie par ses deux semi-axes a et c (Figure 33). Elle est nommée « prolate » lorsque le semi-axe « c » est plus grand que celui de « a », et est nommée « oblate » lorsque le semi-axe « a » est le plus grand. Cela est

quantitativement évalué par des simulations et le calcul du rapport de ces deux axes (Figure 33). Les spectres RMN reflètent ces formes car dépendent de la distribution angulaire P(β), où β définit l’angle entre l’axe de la moyenne des mouvements et le champ magnétique (Picard et al., 1999).

Équation 10 : P(β) = 2π c2 sinβ / [sin2β + r2cos2β] 2

Figure 33: Représentation géométrique d’un ellipsoïde (adaptée de Picard et al., 1999)

Les formes des membranes reflètent alors l’orientation des phospholipides dans un champ magnétique qui se verra donc sur le spectre de RMN-ES du 31P. Cela est déterminé selon les positions extrêmes des fréquences de résonance. Par exemple pour le cas des ellipsoïdes prolates, la position extrême des fréquences, qui correspond à l’épaule la plus intense du spectre, indique que la plupart des lipides sont orientés à 90°, tandis que la position extrême à l’opposé du spectre représente les orientations parallèles au champ magnétique (Figure 34). Les fréquences entre les deux pics extrêmes sur les spectres représentent les combinaisons d’orientations intermédiaires (Figure 32) (Pott et Dufourc, 1995; Picard et al., 1999).

Figure 34 : Variation géométrique des membranes dans les spectres de RMN-ÉS du phosphore, selon la déformation des vésicules lipidiques. (r) définit le rapport des demi-axes c/a

(adaptée de Pott et Dufourc (1995) et de Picard et al., (1999))

(iii) Polymorphisme

Les études portées sur le polymorphisme des membranes biologiques ou des membranes modèles se sont accrues grâce à l’apparition de la RMN-ÉS du 31P à qui permet de différencier les phases lipidiques dans un mélange, ce que les techniques des rayons X par exemple ne permettent pas de faire (Seelig, 1978).

L’ADC du 31P permet de discriminer les différentes phases lipidiques d’une membrane puisque cela est directement relié aux orientations des têtes polaires. Chaque type de phase peut être associé à un spectre de RMN typique, tel qu’illustré à la figure 35. Ce concept peut être expliqué en se basant sur la configuration moléculaire de chaque phospholipide selon les conditions du milieu (température, pH, force ionique, présence de molécules actives, etc.) (Seelig, 1978; Cullis et Kruijff, 1979; Strandberg et Ulrich, 2004). Par exemple, une bicouche lamellaire, la forme la plus répandue et la plus représentative des membranes biologiques (Lafleur et al., 1989), reflète la forme cylindrique des

phospholipides individuels. En revanche, lorsque les phospholipides individuels s’organisent en forme conique ou conique inversée, les membranes forment des phases micellaires ou hexagonales respectivement (Figure 35).

Les formes micellaires donnent des pics étroits aux alentours de 0 ppm. Les formes hexagonales donnent des spectres inversés et à ADC deux fois moins large que celui de la forme lamellaire pour un même système membranaire (Cullis et Kruijff, 1979; Koller et Lohner, 2014). La phase « gel » peut également être observée par des spectres de poudre très larges. Elle reflète la présence d’une matrice rigide, et une immobilisation des mouvements des phospholipides (Seelig, 1978).

Figure 35 : Le polymorphisme des phospholipides hydratés et leurs spectres RMN -31P correspondants (adaptée de Seelig (1978), de Cullis et Kruijiff (1979) et de Selvy et al., (2011))