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CHAPITRE 1 INTRODUCTION GÉNÉRALE

3. Mécanismes membranaires des agents antimicrobiens

3.3. Mécanismes d’action des composés phénoliques

L’activité des composés phénoliques permet d’inhiber la croissance des bactéries pathogènes ou de réduire leur virulence à travers des mécanismes diversifiés (Li et al 2014). Ce pouvoir antimicrobien est fortement lié à la présence des groupements hydroxyles (Okuyama et al., 1991; Denyer, 1995; Vermerris et Nicholson, 2006; Rai et al., 2008; Duda-Chodak, 2012). Il n’existe pas de mécanisme unique et généralisé, ce qui est lié à la grande diversité chimique des polyphénols (hydrophobicité variable, présence des sucres et divers degrés de polymérisation) (Denyer, 1995; Bravo, 1998; Bisignano et al., 1999). Les phénols peuvent agir d’une manière indirecte autour de la cellule bactérienne. Par exemple, ils peuvent diminuer la perméabilité à l’eau (Tymczyszyn et al., 2005), s’associer avec des métaux par chélation, réagir avec les nutriments du milieu ou fixer les radicaux libres par leur pouvoir antioxydant (Denyer, 1995; Bisignano et al., 1999; Smith

composés phénoliques peuvent également agir directement sur les bactéries, soit sur les membranes externes ou sur les processus métaboliques intracellulaires (Li et al., 2014). Pour ce qui est de mécanismes moléculaires des phénols sur les membranes des bactéries cibles, ils sont généralement discutés en relation avec la fluidité membranaire comme une indication de stress environnemental, peu importe si le composé phénolique cible un organite autre que la paroi cellulaire (Heipieper et al., 1991; Okuyama et al., 1991; Weber et al., 1994; Beney et Gervais, 2001; Smith et al., 2005; Mykytczuk et al., 2007; Guilhelmelli et al., 2013; Yoon et al., 2015). Certains composés phénoliques détruisent et déstabilisent la membrane bactérienne (Daglia, 2012; Li et al., 2014; Nakamura et al., 2015). Cependant, les mécanismes le plus souvent rapportés sont une augmentation de la rigidité membranaire comme une réaction de résistance (Okuyama et al., 1991; Heipieper et

al., 1992; Tsuchiya, 1999; Tsuchiya et Iinuma, 2000; Smith et al., 2005).

Les conséquences du changement de la dynamique membranaire (par rigidification ou par destruction) sous l’effet des composés phénoliques peuvent causer des perturbations, soit des protéines membranaires, dans la formation des biofilms, des processus enzymatiques (Rai et al., 2008; Daglia, 2012; Li et al., 2014) ainsi que du processus de communication cellulaire (quorum sensing) (Baysse et al., 2005).

PROBLÉMATIQUE ET OBJECTIFS  Problématique

Comme indiqué dans la partie revue de littérature, les effets antibiotique ou anti-virulent de la marennine ont été observés pour plusieurs bactéries potentiellement pathogènes (Gastineau et al., 2012a; Tardy-Laporte et al., 2013). L’action de la marennine était mise en évidence seulement sur les bactéries marines à Gram(-) (Gastineau et al., 2012c; Gastineau

et al., 2012a; Tardy-Laporte et al., 2013; Turcotte et al., 2016). Plus spécifiquement,

l’action du pigment sur les bactéries du genre Vibrio a été démontrée par différentes méthodes. D'abord, en utilisant la méthode de diffusion sur disque de gélose, le pigment bleu produit par H. ostrearia et H. karadagensis a inhibé le développement des bactéries V.

aestuarianus et V. anguillarum à des concentrations de 1 mg/l et de 100 mg/l

respectivement (Gastineau et al., 2012c; Gastineau et al., 2012a). Ultérieurement, l’action de la marennine sur d’autres bactéries du genre Vibrio a été testée sous des conditions plus facilement liées aux élevages aquacoles. L’élevage des bivalves étant un secteur important au Québec (Pêches et Océans Canada, 2018), Turcotte et coll. (2016) ont testé sous conditions contrôlées l’effet du pigment dans les bassins d’élevage larvaire de moules et de pétoncles. Ils ont démontré que la marennine extracellulaire, à 0,1 mg/l, joue un rôle de protection des larves (de moules et de pétoncles) contre V. splendidus. Les effets observés suggèrent que la marennine induit un effet anti-virulent où la pathogénicité a été inhibée sans que la croissance bactérienne n’ait été affectée (Turcotte et al., 2016). Toutefois, le mécanisme d’action n’a pas été élucidé, bien qu’il soit nécessaire pour valoriser cette molécule pour des applications futures.

En continuité de l’étude de Turcotte et coll. (2016), nous avons utilisé le modèle biologique

V. splendidus dans cette thèse en étudiant de plus près les interactions marennine-bactéries

sur une échelle cellulaire et moléculaire. La première étape était de cibler les effets de la marennine sur les compartiments cellulaires potentiellement impliqués dans la virulence. Ainsi, face aux problématiques de la forte utilisation des antibiotiques en aquaculture intensive (Cabello, 2006), si de telles interactions sont prouvées à l’échelle moléculaire, la

marennine pourrait promettre un potentiel antivirulent naturel moins susceptible aux phénomènes de résistance.

Des informations tirées de la littérature laissent penser que le champ d’action de la marennine pourrait être lié à son interaction avec cette paroi. En effet, la membrane externe des espèces du genre Vibrio est extrêmement sélective. Elle ne permet pas le passage de molécules de taille supérieure à 600-700 Daltons (Neidhardt et al., 1994). De ce fait, une grosse molécule comme la marennine (≈10 kDa) (Pouvreau et al., 2006b) aurait de faibles chances de passer à l’intérieur de la cellule et de provoquer des perturbations intracellulaires d’une manière directe. D’autant plus, Tardy-Laporte et coll. (2013) ont observé que la marennine n’induit pas d’effet antimicrobien sur E. coli, mais qu’elle induit des perturbations de la fluidité membranaire. Dans son étude il a été suggéré que la marennine rend les chaines phospholipidiques du feuillet externes plus serrées, stimulant l’hypothèse d’une interaction avec les LPS (Tardy-Laporte et al., 2013). Même si la bactérie testée n’était pas une souche marine, cette étude utilisant une bactérie à Gram(-) représente un argument supplémentaire qui suggère une forte possibilité de l’interaction de la marennine au niveau de la paroi cellulaire.

L’hypothèse principale de cette thèse est que la marennine inhibe potentiellement la virulence de V. splendidus en interagissant avec les membranes de la paroi cellulaire des bactéries. Plus spécifiquement la marennine aurait des interactions avec les phospholipides membranaires (chaines acyles et têtes polaires). Ces derniers, retrouvés dans la membrane cytoplasmique ou dans le feuillet externe, représentent la majeure partie de la paroi bactérienne. La paroi cellulaire représente le compartiment le plus révélateur d’une interaction antimicrobienne, peu importe si le processus-cible se situe au niveau de la membrane ou dans le compartiment intercellulaire (Denyer, 1995; Epand et al., 2016). De ce fait comme première tentative d’étude des mécanismes antimicrobiens, cette thèse porte sur les lipides de structure entourant la cellule et qui représentent le premier niveau d’interaction avec les molécules du milieu extérieur (Denyer, 1995; Marcotte et Booth, 2014). Nous avons soulevé deux questions majeures. Est-ce que les interactions avec les

lipides membranaires sont impliquées dans les mécanismes antimicrobiens de la marennine? Sur quels niveaux ces interactions s’effectueront-elle et comment? Pour répondre à ces questions, nous avons utilisé la RMN de l’état solide tout au long de la thèse. Il s’agit d’une technique non destructive qui permet de caractériser les structures et la dynamique membranaire. Elle permet également d’étudier les interactions à l’échelle moléculaire sans nécessairement connaitre la structure chimique de la molécule à étudier, ce qui est la problématique de la marennine.

 Objectifs de recherche

Ce projet a pour objectif d’étudier les interactions entre la marennine extracellulaire et les lipides membranaires de V. splendidus par RMN de l’état solide (ÉS) pour exploiter l’ampleur du potentiel d’action antibactérienne/antivirulente du pigment.

Nous nous sommes focalisés, dans cette thèse, à répondre à deux principaux objectifs spécifiques basées sur l’utilisation de deux systèmes membranaires différents :

1) Scruter les interactions de la marennine sur les chaines acyles des phospholipides membranaires par l’étude de cellules entières (RMN in vivo), ce qui tient compte de l’intégrité cellulaire.

2) Étudier l’action de la marennine sur les têtes polaires des phospholipides à travers l’utilisation de membranes modèles comme des unités de structures lipidiques représentatives de la membrane de V. splendidus.

Pour répondre à ces objectifs, ce mémoire se divise en quatre chapitres : un chapitre qui décrit les aspects théoriques des méthodes utilisées tout au long de la thèse (chapitre 2), ainsi que trois chapitres expérimentaux, présentés sous forme d’articles scientifiques. Le premier chapitre expérimental a été publié dans BBA-Biomembranes et les deux autres seront soumis prochainement.

Plus spécifiquement, au chapitre 3 pour étudier les chaines acyles des phospholipides, la RMN du deutérium permet de réaliser des analyses in vivo. Cependant, la technique

nécessite la mise au point de méthodes qui permettent de marquer isotopiquement et spécifiquement les membranes. La RMN-ÉS in vivo étant une méthode relativement récente, elle n’a jamais été utilisée sur les bactéries marines. Le marquage isotopique est une étape essentielle avant de cibler les mécanismes avec les molécules exogènes. Dans ce chapitre, nous avons caractérisé par RMN-2H, la membrane de V. splendidus tout en optimisant le marquage isotopique pour limiter d’éventuels stress dus à la manipulation avant de réaliser les études de l’interaction avec la marennine.

Le chapitre 4 étudie les effets de la marennine sur les chaines acyles marquées au deutérium après optimisation réalisée dans le chapitre 1. Nous avons testé les effets de la marennine à de faibles et fortes concentrations. Nous avons également utilisé un contrôle positif, soit l’agent antimicrobien polymyxine B, connu pour interagir avec les LPS des bactéries à Gram(-). Cette étude nous a permis de discuter des mécanismes d’action de la marennine par rapport à ceux de la polymyxine.

Enfin, au chapitre 5, pour étudier l’interaction de la marennine avec les têtes polaires, la RMN-ÉS du phosphore in vivo est problématique. La forte abondance des noyaux du phosphore dans la cellule (ADN, protéines, ATP, liposomes intracellulaires, etc.) ne permet pas d’étudier spécifiquement la membrane et d’obtenir des spectres résolus et analysables. Dans ce chapitre, nous avons donc utilisé les membranes modèles construites uniquement de lipides, selon la composition originale de V. splendidus. Cette méthode complémentaire à la RMN in vivo nous a permis d’élaborer spécifiquement l’interaction entre la marennine et les têtes polaires lipidiques.