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CHAPITRE 1 INTRODUCTION GÉNÉRALE

3. Membranes modèles des bactéries

Dans certains cas, l’étude des membranes in vivo ou des extraits membranaires n’est pas possible due à la complexité des structures biologiques. Les lipides de la membrane biologique ne sont pas seulement influencés par la présence de protéines membranaires et de canaux ioniques, mais aussi par des facteurs reliés à la biosynthèse continue des lipides et à l’asymétrie entre les bicouches qui sont d’une inhomogénéité dans la composition et dans l’épaisseur. (Sackmann et Ben-Shaul, 2016). Pour pallier à ce problème, certains chercheurs utilisent les membranes modèles qui sont des structures constituées de lipides artificiels et fabriquées dans l’objectif de mimer les membranes biologiques (taille et composition) (Warschawski et al., 2011). Ce système d’unités simplifiées est une alternative qui permet de cibler indirectement les phospholipides des membranes biologiques comme étant ses composés majoritaires (Neidhardt et al., 1994; Warschawski

et al., 2011). Ces structures ont également plusieurs applications biomédicales (Kraft et al.,

Du point de vue structural, les membranes modèles sont diversifiées et sont classées selon la taille, la forme, la lamellarité (Jones, 1995; Fröhlich et al., 2001), ainsi que selon le mode de préparation expérimental (Yingchoncharoen et al., 2016). Les principaux types de membranes modèles (Figure 16) sont les vésicules multilamellaires (MLV, multilamellar

vesicules) et les véhicules unilamellaires (ULV, unilamellar vesicules). Ces dernières sont

classées selon la taille en SUV (small unilamellar vesicles), LUV (large unilamellar

vesicles) et en GUV (giant unilamellar vesicles) (Jones, 1995; Warschawski et al., 2011;

Kraft et al., 2014; Lombardo et al., 2016).

Figure 16: Différents types de membranes modèles. SUV, small lamellar vesicles; LUV, large

lamellar vesicles et MLV, multilamellar vesicles (Yingchoncharoen et al., 2016).

D’autres formes sont également retrouvées comme les bicelles (Warschawski et al., 2011; Lombardo et al., 2016), les REV (reverse evaporation vesicules), les VET (vesicles

by the extrusion technique) et les DRV ( dehydratation-rehydratation vesicles) (Jones,

1995). Selon Warschawski et coll., le choix du type de membranes modèles pour les études repose non seulement sur les critères de composition du modèle à mimer, mais aussi sur des

critères, dont principalement les critères techniques et expérimentaux (Warschawski et al., 2011).

3.2. Choix des membranes modèles pour l’étude des bactéries

Les membranes modèles des bactéries doivent être fabriquées de telle sorte qu’elles prennent en considération les types de phospholipides existants dans le système à étudier, pour respecter au maximum l’épaisseur de la bicouche lamellaire à former ainsi que les propriétés de charges de surface et la morphologie (Warschawski et al., 2011; Kraft et al., 2014; Yingchoncharoen et al., 2016). Les études sur les membranes modèles des bactéries sont principalement focalisées sur les membranes des bactéries E. coli (Rietveld et al., 1993; Warschawski et al., 2011; Warschawski et al., 2018) dont la composition est constituée de PE, de PG et de CL (Rietveld et al., 1993; Warschawski et al., 2011). Cette composition est aussi très semblable à celle de plusieurs souches de bactéries marines et estuariennes dont celles du genre Vibrio, qui est constituée majoritairement par de la PE (60 à 80%) ainsi que de la PG (15 à 30%) (Oliver et Colwell, 1973).

Les MLVs sont les types de membranes modèles bactériennes les plus utilisées pour des études physico-chimiques, y compris les caractérisations par RMN-ÉS (Lu et al., 2005; Warschawski et al., 2011; Morini et al., 2015). Les MLVs représentent de bons systèmes pour étudier les bactéries puisque leur taille (diamètre de ≈1000 nm) est proche de celle des cellules procaryotes (Figure 17) (Warschawski et al., 2011). La présence de plusieurs couches lamellaires emboitées en forme d’oignon confère également aux MLVs le caractère de stabilité manquant aux vésicules unilamellaires (Yingchoncharoen et al., 2016). La bicouche lamellaire présente moins de tension de courbure, ce qui permet de stabiliser la structure des MLVs contrairement aux SUVs qui ont des mouvements rapides et sont moins stables (Lombardo et al., 2016). Cette stabilité est davantage renforcée par la composition membranaire des bactéries caractérisée par la présence de phospholipides chargés (comme les PG) qui contribuent à éviter l’agglomération des MLVs lorsqu’elles sont formées, et à empêcher la dissociation en vésicules individuelles (Kraft et al., 2014; Yingchoncharoen et al., 2016). Ce critère de stabilité des MLVs se traduit par des

mouvements moléculaires lents à l’échelle de la RMN, ce qui représente un élément favorable permettant d’étudier les interactions de l’état solide (Warschawski et al., 2011).

Figure 17: Exemples de structures des membranes modèles (Selvy et al., 2011)

3.3. Étude du polymorphisme par les membranes modèles

Dans la membrane biologique, les phospholipides sont organisés de telle sorte que la membrane assure son équilibre en bicouche lamellaire ou en configuration de phase liquide cristalline (Cullis et Kruijff, 1979; Vasilenko et al., 1982). Les lipides sont organisés selon une structure en deux couches parallèles et symétriques (d’où le terme cristallin) tout en étant suffisamment hydratés pour être élastiques et assurer un minimum de fluidité (d’où le terme fluide) (Seelig, 1978). Chez les bactéries, cet équilibre est directement relié à un potentiel de régulation du ratio de lipides lamellaires/non lamellaires, pour pouvoir accomplir certaines fonctions biologiques (Dowhan et al., 2002). Par exemple, les formes micellaires, et cylindriques sont utilisées pour faciliter les processus d’endocytose, d’éxocytose, la libération des toxines et le transfert des lipides transmembranaires (Cullis et Kruijff, 1979; Dowhan et al., 2002). Ce potentiel de changement de phase est un processus de régulation que la bactérie adopte selon les conditions imposées par son environnement (Vikström et al., 2000).

Les premiers chercheurs qui ont révélé le comportement des lipides naturels ont utilisé les lipides synthétiques testés sous différentes conditions (Cullis et Kruijff, 1979). Le concept du polymorphisme membranaire, qui définit les états physiques des membranes lipidiques présents dans la membrane biologique, est facilement étudié en utilisant les

membranes artificielles (Cullis et Kruijff, 1979; Jones, 1995; Sackmann et Ben-Shaul, 2016). Les lipides ont un pouvoir versatile d’autoassemblage gouverné par les interactions entre les phospholipides constituants et les conditions physico-chimiques dans lesquels ils se retrouvent (milieu aqueux ou organique, pH, force ionique, température, etc.) (Figure 18). Par exemple, dans un milieu hydraté les phospholipides membranaires se réorganisent spontanément dépendamment de leur structure chimique. C’est le polymorphisme lyotropique (Sackmann et Ben-Shaul, 2016). Ce phénomène, excessivement décrit chez les membranes modèles permet de donner des informations qui peuvent être extrapolées pour les membranes biologiques des bactéries, même si ces dernières sont dotées par des pouvoirs d’ajustement enzymatique (Seelig, 1978; Lee et al., 2008; Sackmann et Ben- Shaul, 2016).

Figure 18 : Polymorphisme des lipides. les sphères bleues indiquent les têtes hydrophiles, les

chaines jaunes représentent les chaines hydrophobes (Lee et al., 2008; Epand et al., 2015)

La température représente le facteur qui influence le plus la configuration lipidique (Seelig, 1978; Vasilenko et al., 1982). C’est le polymorphisme thermotropique qui décrit la formation des lipides sous l’effet thermique (en plus du polymorphisme lyotropique). Les formes les plus diversifiées et les plus nombreuses des membranes sont retrouvées dans cette catégorie de polymorphisme (Sackmann et Ben-Shaul, 2016). Les phases les plus

courantes sont les phases lamellaires, hexagonales et micellaires telles qu’illustrées à la figure 18. (Seelig, 1978; Vasilenko et al., 1982; Lee et al., 2008). Le changement entre les différentes phases est un changement réversible (Lombardo et al., 2016). Cela est conforme avec les bactéries qui sont susceptibles d’être exposées à de grandes variations de température, et disposent d'une large variété de lipides qui leur permettent de maintenir l’intégrité de la membrane biologique (Dowhan et al., 2002).

La présence de certains métaux divalents est aussi un autre facteur qui pourrait initier le processus de changement de phase pour certains lipides. L’importance de l’interaction entre les métaux divalents avec les phospholipides des membranes dérive de leur rôle dans les phénomènes biologiques, comme par exemple provoquer les transitions vers la phase hexagonale (Cohen et Cohen, 1981). La présence des métaux divalents peut être même vitale pour les organismes unicellulaires. Par exemple, il est connu que la souche mutante d’E. coli (AD93) est incapable de synthétiser la PE (de forme hexagonale) et nécessite la présence de métaux divalents comme le calcium ou le magnésium pour convertir les cardiolipides de phase lamellaire en des formes hexagonales, permettant ainsi d’accomplir ses fonctions biologiques (Rietveld et al., 1993; Killian et al., 1994).

Les membranes modèles peuvent être étudiées par RMN du phosphore qui permet d’exploiter les différentes phases lipidiques sans avoir recours au marquage isotopique (Seelig, 1978; Cullis et Kruijff, 1979; Marcotte et al., 2003; Marcotte et Auger, 2005; Robert et al., 2015). La partie théorique explique plus en détail l’étude du polymorphisme par ces techniques (chapitre 2).

SECTION 5:AGENTS ANTIMICROBIENS & MÉCANISMES MEMBRANAIRES