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PARTIE 2 : L'EXPÉRIENCE VÉCUE : UN RESSENTI DE NON-

B. Les risques psychosociaux

Le manque de reconnaissance peut aussi favoriser l'émergence de RPS. Apparue au cours des années 2000, la notion de « risque psychosocial » s'est vraiment généralisée au moment de la crise des suicides à France Télécom en 2009. La vague de suicides d'employés de l'entreprise a marqué les esprits et a conduit à une prise de conscience politique et à de multiples ouvrages97.

97 Voir l'approche critique adoptée par Yves Clot qui revient sur la prise en compte politique, médiatique de cette notion et

critique ce qu'elle sous-tend : CLOT, Yves, Le travail à cœur : pour en finir avec les risques psychosociaux , Éditions de la

Les RPS recouvrent les « risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental ». Les symptômes des risques psychosociaux prennent trois formes : les symptômes émotionnels (stress, angoisse, mal-être), les symptômes intellectuels (oublis, diminution de la volonté et de la concentration) et les symptômes physiques (perturbation de l'appétit, trouble du sommeil, douleurs musculaires). Certaines pathologies peuvent être causées ou liées au RPS, c'est le cas des burn-out, de la dépression, des problèmes cardiaques ou des troubles musculo-squelettiques (TMS)98.

Les causes des risques psychosociaux sont multiples : la « tension au travail » (job strain), le manque d'autonomie, le travail répétitif, les tensions émotionnelles, les rapports sociaux difficiles (conflits, harcèlement, violence du

public), l'insécurité économique et enfin les conflits de valeurs99. Dans ses études

statistiques, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) inclut également dans les causes de RPS le manque de reconnaissance au travail, compris dans le sens restreint « d'estime perçue, de perspectives de promotion, de sécurité de l’emploi et de satisfaction par rapport au salaire »100.

Plusieurs bibliothécaires interrogées ont signalé avoir ressenti certains symptômes des RPS ou même avoir développé des pathologies liées à ces risques. La crise durable ayant frappé la bibliothèque Y a été d'une telle violence que plusieurs agents ont déclaré que cela avait eu un impact sur leur santé :

« On fait quand même pas mal d'efforts, même quand on est en restriction de personnel pour assurer le minimum, on va dire. Bien que cette année ça a été très difficile, pour la première fois, on a eu des fermetures... On a eu des grosses tensions cette année, c'était pas évident, c'était très éreintant. […] Dans l'équipe, avec la hiérarchie, avec la ville, et puis ça se ressentait sur la motivation, voire sur la santé. […] Ça se ressentait sur la santé et il y a eu des fermetures et là ça a fait bouger la municipalité. » (YF)

Une autre bibliothécaire signale « on est épuisé, on en a marre, cet été j'ai pris une semaine de congés, c'est tout ce que j'ai réussi à prendre. [ La crise] a été dure, physiquement, mentalement mais ça a permis de regrouper l'équipe » (YA). Mais cette sortie de crise, permise par des recrutements et par le nouvel esprit de solidarité entre agents, ne s'est pas faite sans dégâts : une des principales responsable de l'établissement a fait un burn-out du fait des tensions fortes parmi ses N-1 et de sa charge de travail. Un burn-out que, selon une bibliothécaire, « on avait vu venir, hein, il y avait eu plusieurs sonnettes d'alarme, elle avait elle-même tirer la sonnette d'alarme auprès de la DRH »101.

découverte, Paris, 2015, 198p.

98 Guide méthodologique d’aide à l’identification, l’évaluation et la prévention des RPS dans la fonction publique ,

Ministère de la Fonction publique, 2014, 84p., p.9-11, disponible sur : https://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/publications/coll_outils_de_la_GRH/RPS-GuideMethodo-2014.pdf [consulté le 16 février 2020]

99 MAUROUX, Amélie (dir), Chiffres clés sur les conditions de travail et la santé au travail , Synthèse Stat’ - Dares,

numéro 22, novembre 2016, 39p., p.24-28, disponible sur : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/synthese._stat_chiffres_cles_cond_travail.pdf [consulté le 16 février 2020]

100 L’organisation du travail à l’épreuve des risques psychosociaux, Dares analyses – Dares, numéro 4, janvier 2016, 8p.,

p.1 https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2016-004v2.pdf [consulté le 16 février 2020]

101 Même anonymisées, nous ne mentionnerons pas nos interlocutrices.

Partie 2 : L'expérience vécue : un ressenti de non-reconnaissance

Plus largement, quelques agents ont signalé avoir connu des périodes de stress intense, d'angoisse, voire de troubles du sommeil, du fait de vives tensions interpersonnelles avec des collègues. Une bibliothécaire confie, sur un ton mi-grave mi- badin, qu'elle a pu avoir des pensées suicidaires tant le conflit avec une autre agente a été d'une extraordinaire violence morale et psychique. Dans le même temps, une autre bibliothécaire signale qu'elle a, elle aussi, été prise dans des conflits très durs ayant impacté sa santé : « les gens ne le savent pas forcément, mais moi venir au boulot, j'en étais malade, j'en étais MALADE »102. Bien que ne connaissant pas l'origine de ces

tensions, nous pouvons supposer qu'il y a eu une part de non-reconnaissance de l'une ou l'autre des interlocutrices car, comme le résumait Axel Honneth : « le motif de tout conflit est une attente de reconnaissance »103.

Les dénis de reconnaissance que sont les conflits interpersonnels, le manque d'autonomie, la déconsidération de la tutelle, ont donc une influence sur l'irruption de RPS. Une fois somatisés, ces derniers peuvent contribuer à l’absentéisme professionnel.