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PARTIE 3 : DÉCIDER D'UNE POLITIQUE DE RECONNAISSANCE AU

A. Les conditions de l'autonomie

L'avancement dans la fonction publique

Le système de fonction publique de carrière est paradoxal : ses contraintes limitent l'autonomie des fonctionnaires et, dans le même temps, posent les bases de l'autonomie individuelle. Par exemple, la titularisation dans un grade protège le fonctionnaire contre l'arbitraire des gouvernants et de ses supérieurs mais cette appartenance à un grade, lui-même inscrit dans un corps/cadre d'emploi, freine les possibilités de mobilité interne.

Cependant, c'est l'avancement au choix qui cristallise les frustrations et, plus rarement, la réjouissance des agents169. Une partie de ces frustrations est due à des

contraintes structurelles mais aussi à une hésitation entre deux conceptions de l'avancement au choix : pour certains la promotion au grade et au corps/cadre d'emploi supérieur devrait être liée à la « valeur professionnelle », tandis que pour d'autres, elle devrait relever de l'ancienneté :

« Sur les tableaux d'avancement, ça ne devrait pas exister. C'est à dire que ça de - vrait être automatique le passage de grade hein, voire même pas de grade du tout, il y a un seul grade. [...] Il se trouve que ça existe et donc il y a un seul critère, un seul, c'est l'ancienneté et ou l'âge, la proximité de la retraite [...]. Bon changer de corps [...] il faut le justifier en tout cas. Il faut le justifier par rapport aux missions qu'on souhaite faire […]. On pourrait aussi estimer qu'au bout de 20 ans de bons et loyaux services, tu passes automatiquement catégorie B. » (XE)

« Ce que je dis sur les promotions c'est je ne reconnais rien de votre manière de faire […] Et moi c'est vraiment de dire ça, c'est-à-dire la promotion n'est pas une reconnaissance de ce que vous faites, vous pouvez très bien faire ce que vous faites et ne pas être promue parce que justement vous faites très bien ce que vous faites. [...] Les gens vivent comme des mécanismes de reconnaissance, des mécanismes qui sont justes l'estimation d'un potentiel. » (directrice d'établissement170)

Ces extraits opposent deux approches de la reconnaissance. D'un côté, la promotion vise à reconnaître l'investissement, les résultats et les compétences des agents. Pour les chefs de service, c'est aussi un levier qui permet de faire évoluer leur établissement en valorisant certains agents à haut potentiel. De l'autre, l'avancement au choix est une forme de reconnaissance existentielle à laquelle chaque agent devrait avoir droit après avoir servi loyalement la République pendant un certain nombre d'années. Cette opposition souligne l'injustice de la reconnaissance : ces deux points de vue sont légitimes et dans tous les cas, des individus subiront des dénis de reconnaissance171.

Dans le cade d'une politique de principe, le tableau d'avancement devrait dépendre uniquement de l'ancienneté et la liste d'aptitude devrait principalement reposer

168 HONNETH, Axel, La société du mépris : vers une nouvelle théorie critique, op. cit, p. 262 169 Voir partie 2, chapitre 1, A)

170 Nous avons interrogé la directrice de deux des trois bibliothèques dans lesquelles nous avons fait des entretiens mais nous ne

tenons pas à les identifier.

171 Voir partie 3, chapitre 1, B)

sur l'ancienneté . À défaut d'être justes pour tous, des règles claires et transparentes impliquant le moins possible la « manière de servir » permettraient une meilleure reconnaissance existentielle des agents. Ce serait également renforcer leur autonomie en leur donnant un choix franc entre ancienneté et concours, deux mécanismes qui ne dépendent pas de l'aval de supérieurs.

Horaires et présence sur le lieu de travail

En matière d'autonomie, les horaires de travail ont un rôle important à jouer même si cette question épineuse fait rarement l'unanimité. Certains établissements ont adopté des modes de fonctionnement diamétralement opposés, c'est le cas de la bibliothèque Y et X :

– Du fait de contraintes de SP et des consignes de la commune, la bibliothèque Y impose des emplois du temps fixes à tous ses agents : ils ne peuvent arriver après 9 h et ne peuvent partir avant 17 h. Le télétravail n'est pas encouragé. Les congés se font à la demi-journée. Le système est globalement rigide. Les bibliothécaires sont donc doublement non-reconnues. Toute entorse autorisée à ce carcan est vue comme une injustice pour celles n'y ayant pas droit. Elles déplorent aussi le manque de confiance et de considération que ce système révèle (YA, YG). Interrogée sur les possibilités d'aménager son temps de travail, une agent nous avait vertement répondu : « Mais vous rigolez monsieur ? Faut être là à 9 heures » (YC).

– A contrario, la BU X permet à ses agents de constituer leur emploi du temps en début d'année en offrant une large amplitude horaire. Elle autorise le télétravail. Et elle est également dotée d'un système de congés souple : les agents peuvent poser leurs congés par demi-heure. Cette approche est doublement reconnaissante : elle reconnaît les individus dans leur singularité (l'une peut partir plus tôt pour faire du sport, l'autre peut arriver plus tard parce qu'elle n'est pas matinale) et elle est fondée sur la confiance qu'aucun agent ne cherchera à abuser d'un système flexible.

Bien conscient que certaines bibliothèques sont beaucoup plus contraintes par le service public et par leur tutelle que la BU X, il n'en reste pas moins que nous privilégions une approche modulable du temps de travail qui passe par :

• Autoriser le télétravail, en étant conscient de ses limites.

• Proposer des rythmes de travail hebdomadaires différents (35 h ou 37,5 h, travail sur 4 jours et demi, alternance de semaine à 5 jours de travail et semaine à 4 jours).

• Permettre une flexibilité des congés à la demi-heure ou au quart d'heure. • Dans les bibliothèques en tension, permettre au moins de partir plus tôt ou

d'arriver plus tard une journée par semaine.

• Décourager le présentéisme des agents qui se manifeste sous trois formes : le dépassement continuel des horaires par surinvestissement ; la présence

172 Il nous semble pertinent de prévoir des exceptions en cas d’insuffisance à occuper des fonctions dans la catégorie

supérieure.

Partie 3 : Décider d'une politique de reconnaissance au travail

physique au travail avec une absence complète d'engagement ; le fait de venir travailler malade par solidarité ou pour être considéré par ses supérieurs173.

La question de la mise en place d'une badgeuse fait débat : elle peut être vue comme un manque de confiance mais elle offre aussi un moyen de gérer son temps et d'éviter le surinvestissement des agents, les cadres notamment174. La BnF, et d'autres

bibliothèques de moindre envergure, ont ainsi choisi d'en installer. Nous pensons qu'elles peuvent s'intégrer dans une politique axée sur l'autonomie.

Certaines de ces mesures dépendent de la hiérarchie tandis que d'autres impliquent forcément l'action de la tutelle. Même en cas d'inertie de sa tutelle, il est possible d'encourager l'autonomie sans dégrader le service. C'est ce que pratique au quotidien YH avec ses N-1 :

« Je suis assez souple sur notre façon de travailler du moment que l'accueil du pu- blic est respecté, [...] je leur permets d'avoir un emploi du temps assez souple. » (YH)

Encourager la reconnaissance existentielle ne passe pas uniquement par le temps de travail et l'avancement, ce sont aussi les pratiques et les représentations des encadrants qui doivent évoluer.