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Une définition de la reconnaissance par et pour les bibliothécaires

PARTIE 1 : ENTRE THÉORIE ET PRATIQUE : ABORDER LA

C. Une définition de la reconnaissance par et pour les bibliothécaires

d'abord laisser la parole aux principaux concernés afin de savoir ce qu'est, pour eux, la reconnaissance au travail. Ainsi, lors de nos entretiens, nous demandions : « pour vous qu'est ce que la reconnaissance au travail ? Si vous pouviez faire un essai de définition ? ». En se fondant sur les discours des bibliothécaires interrogés, nous proposons une définition opératoire, c'est-à-dire une « définition qui énonce dans sa constitution les conditions de son application »75. Pour les bibliothécaires, la

reconnaissance au travail a trois caractéristiques.

La reconnaissance est d'origine multiple

Amenés à proposer une définition personnelle de la reconnaissance au travail, la majorité des agents interrogés répondaient d'abord par une énumération qui permettait d'identifier les « sources » multiples de la reconnaissance. Elle n'est pas fournie par les mêmes individus, groupes ou institutions :

« Je pense que l'aspect financier, université, ministère, je sais pas, serait une pre- mière reconnaissance. Là, actuellement je pense que les fonctionnaires sont sous- payés. Ça c'est une première chose. Après concrètement, à un niveau plus bas, ben

75 Trésor de la langue française informatisé, « Opératoire », disponible sur : http://stella.atilf.fr/ [consulté le 9 janvier 2020]

la reconnaissance c'est des trucs, ça peut être le sourire des étudiants [...]. Et puis vis à vis des collègues, les collègues qui te disent merci quand tu leur apportes des gâteaux, qui sont contents. Et dernièrement, le dernier truc de grande reconnaissance qui m'a vraiment touchée c'est quand [N+1] m'a dit, avec [N+2], [...] qu'ils me soutenaient. » (XJ)

XR reprend, elle aussi, une typologie peu ou prou similaire :

« C'est la reconnaissance de mon travail dans le cadre professionnel, la per - ception de la qualité de mon travail par les autres, ou par la tutelle, par les collègues, la tutelle, mon supérieur hiérarchique »

En résumé, la reconnaissance se définit d'abord par la multiplicité de ses « sources » dont certaines font consensus : la hiérarchie, les collègues/pairs, la tutelle, le public et l’État. Chacun de ces acteurs peut donc à la fois fournir de la reconnaissance mais aussi de la non-reconnaissance. Il faut également noter que plusieurs agents ont répondu à cette question en évoquant d'autres fournisseurs de reconnaissance au travail : soi-même (XP, XS), la famille (XR, XN) ou les partenaires professionnels et associatifs de la bibliothèque (YI, YB).

La reconnaissance est discursive et matérielle

Ces différentes « sources » manifestent des formes de reconnaissance très différentes. Sans les décrire en détail, nous pouvons observer que la reconnaissance adopte deux registres : un registre discursif (elle est verbalisée, écrite) et un registre matériel (elle est concrètement matérialisée par des primes, des fonctions, des gestes).

XT, cadre en BU, souligne que pour elle : « la reconnaissance au travail c'est que le travail effectif, ou effectué [...] existe en tant que tel, c'est à dire soit énoncé par quelqu'un d'autre ». Ici le discours est performatif : en étant énoncé, le travail existe, alors qu'à l'inverse, sans verbalisation, il est nié. Dans le même ordre d'idées, YC indique que :

« La reconnaissance ben c'est déjà de dire aux gens : quand c'est bien, c'est bien ; et quand c'est mal, c'est mal ; de pouvoir le prononcer, le dire. Parce qu'en fin de compte, j'ai l'impression que les gens, ils ont du mal à dire ça, c'est malheureux mais c'est comme ça. »

À l'inverse, pour d'autres agents, la reconnaissance est d'abord et avant tout matérielle. En fait le registre discursif et matériel s'entremêlent continuellement, ce n'est au final qu'une question de priorité :

« La reconnaissance, elle passe forcément par une reconnaissance aussi fi- nancière, je trouve que c'est du pipeau de dire qu'on se satisfait de... voilà, on peut avoir plein de formes de reconnaissance mais je pense qu'à un moment donné […] quand on a les salaires d'un agent, quand on voit les grilles de la FPT, cette reconnaissance elle passe aussi par ça et par des petits avantages qui peuvent permettre de valoriser au moins le poste. » (YH)

Les petits avantages auxquels fait référence YH sont la gratuité des services municipaux pour les agents de la commune Y (piscine, sport, bibliothèque). Plus

largement, on peut penser aux décorations honorifiques que sont les palmes académiques

qui honorent « les mérites des personnels » de l’Éducation nationale et de l'ESR76.

La reconnaissance est située

Et enfin, les discours sur la reconnaissance sont toujours situés : ils n'émanent pas de narrateurs éthérés mais d'individus pris dans des relations de pouvoir, qui peuvent parfois l'exercer, souvent le subir. Les définitions opératoires de la reconnaissance au travail découlent donc de la position des acteurs sur l'échiquier du pouvoir de la fonction publique et du monde du travail (grade, fonction, rémunération, place marginale ou centrale dans une équipe, etc). Nous avons ainsi noté une forte préoccupation des agents de catégorie C pour la reconnaissance de l'individu en tant qu'individu :

« Pour moi, la reconnaissance au travail c'est pas « oh merci merci, grâce à vous... », oui ça peut être merci, mais c'est regarder l'autre, l'écouter, tenir compte de ce qu'il dit. [...] Tout le monde, la femme de ménage, le rondier, tout le monde, tout le monde. » (XF)

D'autres agents de catégorie C soulignent explicitement que leur conception de la reconnaissance est modelée par leur situation professionnelle. Il en est ainsi de XB, agent de catégorie C, qui définit la reconnaissance comme le fait de « reconnaître qu'on a besoin de tout le monde pour faire un tout, et pas seulement des têtes pensantes. Je pense que vous comme nous, on a besoin de tout le monde ». Un discours qu'on peut retrouver chez XG :

« La reconnaissance... Ben c'est de se sentir utile ; utile et puis que la direction en prenne conscience, que si on n'est pas là, s'il y a pas d'accueil, si on n'est pas là, ben ça peut pas tourner quoi. Je pense que l'équipe entière, il faut une équipe de di - rection pour penser et organiser, mais il faut aussi des exécutants. »

Notre mémoire prend en compte les différentes dimensions de cette définition opératoire car pour comprendre l'expérience vécue par les bibliothécaires, nous prendrons notamment en compte trois facteurs : les différentes « sources » de la reconnaissance, les attentes de reconnaissance, et enfin l'impact de sa position dans la fonction publique.

76 Si cette distinction peut être importante pour certains agents, attachés à la reconnaissance institutionnelle et au cérémonielle de

la remise des palmes. Aucune des bibliothécaires que nous avons interrogées n'a fait mention des palmes académiques ou d'autres distinctions honorifiques. Voir : Livre IX, titre I, chapitre 1er, section 8 du Code de l'éducation, disponible sur : https://www.legifrance.gouv.fr [consulté le 9 janvier 2020]

PARTIE 2 : L'EXPÉRIENCE VÉCUE : UN RESSENTI DE