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PARTIE 2 : L'EXPÉRIENCE VÉCUE : UN RESSENTI DE NON-

C. L’absentéisme

Bien qu'il n'y ait pas de définition faisant consensus, l'Anact définit l’absentéisme dans le monde du travail comme « toute absence qui aurait pu être évitée par une prévention suffisamment précoce des facteurs de dégradation des conditions de travail entendus au sens large ». C'est-à-dire que certaines absences ne constituent pas de l’absentéisme, citons entre autres les congés payés, les congés parentaux, les départs en formation : elles sont prévues, s’appuient sur des droits et ne perturbent pas le collectif de travail. À l'inverse, les manifestations de l' absentéisme que sont les arrêts maladies, les accidents de travail et les absences injustifiées ont un impact désorganisateur important. L'Anact attire l'attention sur les multiples causes de l’absentéisme : au delà de causes directes tels que les accidents de travail, l'agence distingue des causes indirectes comme les « carences dans la valorisation et la reconnaissance professionnelles ». Ce sont ces causes indirectes qui provoquent un « absentéisme comportemental », difficile à évaluer et qui se manifeste par des arrêts courts et répétés104.

Un rapport remis au gouvernement en 2019 indique que « plus d’un agent sur trois de la fonction publique – 34 % dans fonction publique de l’État, 37 % dans la fonction publique territoriale et 38 % dans la fonction publique hospitalière – a eu au moins un arrêt maladie dans l’année contre 30 % des salariés du secteur privé »105.

L’absentéisme semble donc plus prégnant dans la fonction publique que dans le secteur privé. Une bibliothécaire, YF, aborde justement cette problématique :

« [L’absentéisme] c'est une des choses les plus horripilantes de la fonction pu- blique, c'est d'endurer et de pallier aux carences pas forcément justifiées d'absents professionnels on va dire. […] Après ce sont des gens inaptes au travail du fait de leur état de santé, par exemple l'alcoolisme et qu'après... ben dans le privé ce serait des gens qui seraient légitimement, on va dire, renvoyés. Et dans la fonction pu - blique c'est pas le cas et ça retombe sur nous. […] [Mais] j'étais pas exemplaire à

102 Même anonymisées, nous ne mentionnerons pas nos interlocutrices.

103 BESSIN, Marc, FERRARESE, Estelle, MURARD, Numa, et al., « Le motif de tout conflit est une attente de reconnaissance.

Entretien avec Axel Honneth », Mouvements, volume 1, numéro 49, p.145-152, p.148, disponible sur : https://www.cairn.info/revue-mouvements-2007-1-page-145.htm [consulté le 16 février 2020]

104 10 questions sur l’absentéisme, Anact-Aract, Lyon, 2015, 18p., p.3-4, disponible sur : https://www.anact.fr/10-questions-sur-

labsenteisme [consulté le 16 février]

105 LECOCQ, Charlotte, COTON, Pascale, VERDIER, Jean-François, Santé, sécurité, qualité de vie au travail dans la fonction publique : un devoir, une urgence, une chance, 18 septembre 2019, disponible sur :

https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2019/10/

rapport_version_definitive_sante_au_travail_dans_la_fonction_publique_231019.pdf [consulté le 16 février 2020]

ce niveau là. Ben par exemple mes dix premières années j'ai dû avoir 5 ou 6 jours d'arrêt maladie et là ça fait trois ans que je tourne à un mois, un mois et demi d'arrêt maladie dans l'année. »

Interrogée sur les raisons de cet absentéisme, YF répond :

« Le stress, une forme, je suis très consciencieuse, le fait de pas pouvoir me- ner à bien mes missions par exemple. Cette année il y avait beaucoup de mois où j'ai pas pu mettre de nouvelles acquisitions parce que j'étais tout le temps en service public [...] donc ça m'a mis un coup au moral et puis voilà quoi. Moi ça se ressent après, je peux être plus susceptible de tomber malade, ou d'être démotivée, d'aller voir le médecin et de voilà... »

Cet exemple illustre le cercle vicieux dans lequel était installée la bibliothèque Y : la démotivation, le stress, provoqués par la non-reconnaissance de la tutelle et de la hiérarchie, ont engendré des RPS qui ont, à leur tour, abouti à de « l’absentéisme comportemental » et à des arrêts maladie de longue durée.

Une autre conséquence de ce cercle vicieux est le sentiment d'injustice ressenti par les bibliothécaires allant, eux, travailler. L'iniquité est d'autant plus puissante que ces agents qui restent à leur poste en dépit des difficultés et de leur fatigue, ne sont pas reconnues pour cela par leur hiérarchie. Ainsi, deux bibliothécaires expérimentées ont manifesté le désir d'être reconnues pour leur présence continuelle à la bibliothèque (XA, YC). Interrogée sur ses attentes, XA répond que sa hiérarchie devrait reconnaître ses compétences mais aussi :

« Que je sois là tous les jours et pas en arrêt de travail tout le temps. Ça on l'a jamais ça non plus, parce que t'en as qui sont en arrêt de travail. Bon qu'ont des maladies évidemment, d'autres pas grand chose, qui sont jamais là. Non mais c'est vrai il y a de l'abus aussi... Mais ça, moi en [**] ans, j'ai pas été ar - rêtée beaucoup quoi, mais ça on me l'a jamais dit. Mais maintenant si j'arrive en retard, je m'en fous. On sait toujours quand t’arrive en retard, mais on te dit jamais quand t’arrive à l'heure c'est bien ».

Conséquence inattendue de l’absentéisme, des agents peuvent vivre des dénis de reconnaissance du fait d'un manque de considération pour leur présence continue au travail.

Ce panorama de la reconnaissance au travail en bibliothèque décrit une situation, certes grave, mais qui ne répond pas en soi à la question que les discours managériaux et les sciences de gestion ne se posent pas : faut-il encourager la reconnaissance au travail ?

PARTIE 3 : DÉCIDER D'UNE POLITIQUE DE