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PARTIE 3 : DÉCIDER D'UNE POLITIQUE DE RECONNAISSANCE AU

B. Faire évoluer les pratiques des encadrants

Les attentes de reconnaissance des agents vis-à-vis de leur hiérarchie sont doubles : ils demandent de la confiance, qui passe par l'autonomie, et de l'écoute, qui prend du temps. Comment alors changer le fonctionnement de la bibliothèque pour répondre à ces attentes ?

Prendre du temps pour mieux en donner

Le temps est une problématique récurrente : les bibliothécaires déplorent l'indisponibilité de leur supérieurs, désirent être plus écoutés, tandis que nos propres propositions nécessitent souvent une implication chronophage des cadres. Ces derniers manquent de temps car les tâches et les missions ne cessent d'augmenter. Cela amène au surinvestissement et à un sentiment d'urgence, usant pour et les équipes et les cadres.

À cet égard Nicole Aubert explique que notre société « hypermoderne » se définit par un rapport au temps qui s'articule autour de pôles opposés, l’instantanéité et l'urgence : « la logique de l’instantanéité se traduit pour l’individu en une injonction d’immédiateté dans la production du résultat et cette exigence d’immédiateté entretient un cycle d’urgence qui tyrannise les individus en les contraignant à faire toujours plus de choses dans des délais toujours plus courts et en ne leur permettant plus de différencier ce qui est important de ce qui ne l’est pas, tout devant être traité « en urgence ». […] L'urgence s’impose [...], même si certains la vivent et la prennent comme

une amphétamine de l’action »175. C'est aussi la conclusion du philosophe Hartmut Rosa.

Il affirme que la société contemporaine place les individus dans des « cycles

173 ROMANO, Hélène, « Présentéisme », in ZAWIEJA, Philippe (dir), Dictionnaire de la fatigue, Librairie Droz, Genève, 2016,

858p., p.682-684, disponible sur : https://www.cairn.info/dictionnaire-de-la-fatigue--9782600047135-page-681.htm [consulté le 23 février 2020]

174 BIGI, Maëlezig, COUSIN, Olivier, MEDA, Dominique, et al., op. cit, p.124-125

175 AUBERT, Nicole, « Violence du temps et pathologies hypermodernes », Cliniques méditerranéennes, volume 2, numéro 78,

2008, p.23-38, p.26, disponible sur : https://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2008-2-page-23.htm [consulté le 23 février 2020]

d'accélération » qui les aliènent en les obligeant à rentabiliser leur temps et à vivre dans une accélération perpétuelle176.

Les réponses des encadrants à cette aliénation temporelle peuvent être de ne pas donner assez de temps à leurs N-1, en occasionnant ainsi de la non- reconnaissance177, ou de se surinvestir pour concilier les perpétuelles urgences avec

l'écoute de leurs N-1. C'est ce qu'explique une encadrante décrivant son management :

« C'est accorder du temps, accorder du temps que je cale dans mon agenda parce que, enfin, je veux dire c'est toi qui gère ton temps. Si tu vois pas les gens, si tu dis j'ai pas le temps de les voir, de caler des rendez-vous, c'est que tu as pas envie de les voir. […] D'être présente, d'écouter les personnes qui en ont besoin, de reformuler et de voir quelle est leur demande quoi, ça c'est ma priorité. […] Évidemment, quand tu as des trucs à finir ben tu les fais chez toi hein, voilà s'il y a des merdouilles pour moi je suis pas à un quart d'heure près, à une demi-heure près ou à une heure près. Ça fait partie du job. » (XQ)

Comment reconnaître les agents sans encourager le présentéisme et les RPS chez les encadrants ? Deux mesures répondraient à cette interrogation :

• Modifier l'organigramme et créer des équipes plus petites afin que les encadrants de proximité aient plus de temps à donner à moins de collègues. • Changer le fonctionnement de la bibliothèque en acceptant de mener moins

de projets, de réaliser moins de missions en parallèle, afin d'avoir assez de temps à consacrer à ses N-1.

Le temps gagné sur l'urgence pourra alors être mis à disposition des individus. Disposer de plus de temps permet aussi de faire évoluer son style de management.

Déléguer, faire participer : des formes de reconnaissance ?

Le management est divisé en plusieurs types :

– Le style directif : l'encadrant adopte une approche qui passe par des « consignes claires, simples et factuelles » centrées sur les tâches à réaliser. C'est un management impliquant beaucoup de contrôles et de vérification.

– Le style explicatif : centré les objectifs, ce type de management permet de renseigner, motiver et former les agents en conciliant un minimum de participation avec beaucoup d'explications.

– Le style participatif : dans cette approche le manager « invite le collaborateur à participer à la gestion des projets et l'encourage dans son désir de faire les choses à sa manière ». Le rôle de l'encadrant est alors de proposer un cadre et des objectifs finaux puis d'écouter, de dialoguer et enfin d'arbitrer.

176 ROSA, Hartmut, Aliénation et accélération : vers une théorie critique de la modernité tardive , La Découverte, Paris,

2012, 152p.

177 C'est une des hypothèses émises par Brun et Dugas : « des auteurs mettent en évidence le fait que c’est souvent par manque de temps, d’habiletés et de connaissances relatives à la mise en application des pratiques de reconnaissance que les gestionnaires ont peu recours à ces dernières ». BRUN, Jean-Pierre, DUGAS, Ninon, op. cit, p.84

Partie 3 : Décider d'une politique de reconnaissance au travail

– Le style délégatif : dans ce cadre, l'encadrant est plus effacé car il est là pour établir des objectifs finaux, sans donner de cadres, car ce qui importe dans la délégation ce sont les résultats. Dans cette situation, N+1 et N-1 « sont deux personnes qui discutent quasiment à égalité » car le manager lui délègue de vraies responsabilités178.

Ces quatre styles s'adaptent à différentes situations et aux divers buts que se fixe l'organisation. Or, deux des méthodes décrites ci-dessus s'appuient sur l'autonomie des individus : le management délégatif et participatif. Justement, la direction de la bibliothèque X est en train de faire évoluer le management de l'établissement en mettant en œuvre des dispositifs participatifs et en encourageant les encadrants à changer leur pratique. Une majorité des bibliothécaires interrogées sont satisfaites de ces évolutions, citons parmi beaucoup d'autre :

« C'est pas une direction qui dit je fais ça aujourd'hui, je fais ça la semaine pro - chaine, je fais ça le mois prochain. C'est on en parle ensemble, on a des demi jour - nées, on en discute, on choisit des solutions. Et ça, c'est quand même extraordi- naire. [...] On n'est pas mis de côté, on n'est pas négligé, on nous demande notre avis, nos opinions, nos choix. » (XD)

Quant à YH, cadre en BM, elle adopte un style de management délégatif apprécié de ses N-1 :

« Je leur demande d'avoir un vrai investissement dans les projets, c'est-à-dire que si elles souhaitent monter des projets, si elles souhaitent mettre en place des nou - velles actions, je les laisse complètement libres. Elles m'informent, et après je les accompagne si elles ont besoin, mais je ne surveille absolument pas ce qu'elles ont fait. C'est à dire qu'il y a des retours parce qu'on en parle entre nous, de façon très libre, mais j'ai pas un œil sur ce qu'elles font au quotidien. [...] Moi je pense qu'une responsable, elle est juste là un petit peu pour orienter, accompagner quand il y a besoin. » (YH)

Les managements délégatif et participatif sont des expressions de reconnaissance car, qu'importe le statut et la catégorie, ils misent sur l'intelligence collective et la capacité d'agir des agents. Néanmoins, ces deux styles ne sont pas sans défauts. Les encadrants interrogés indiquent clairement que la confiance a priori et l'autonomie fonctionnent tant que les objectifs sont atteints et que la qualité de service n'est pas dégradée. Une fois déçus, ils ont du mal à refaire confiance et à redonner une grande latitude à leur N-1 (XT, XS, YG).

L'autre limite du management participatif est qu'il peut être utilisé pour manipuler les équipes : l'encadrant a un projet bien précis à l'esprit et tente juste de persuader ses N-1 de s'approprier ses idées. C'est une crainte qui se dégage des entretiens :

« Des fois en fait ils prennent notre avis mais on a quand même l'impression qu'ils ont déjà leur idée et qu'ils essayent de l'imposer quand même » (XO)

Pour que l'autonomie soit vécue comme une « reconnaissance bien réelle des qualités du salarié », il faut donc qu'il y ait une « prise de risque pour l'entreprise ou le service »179. Sans lâcher-prise des cadres, le participatif et le délégatif peuvent produire

178 DE MIRIBEL, Marielle, « Chacun cherche son chef : adapter son mode de fonctionnement à celui de ses collaborateurs », in

DE MIRIBEL, Marielle, Diriger une bibliothèque. Un nouveau leadership, op. cit, p.139-143

179 BIGI, Maëlezig, COUSIN, Olivier, MEDA, Dominique, et al., op. cit, p.123

de la non-reconnaissance. Pourtant, s'ils sont sincèrement appliqués, si les actes sont en accord avec les discours, alors ils sont bel et bien des formes de reconnaissance ayant toute leur place dans une politique principielle.