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Les risques et difficultés des relations sexuées en entreprise

2. PROBLÉMATISATION

2.3 Les risques et difficultés des relations sexuées en entreprise

Les rapports humains sont naturellement sexués. « Nous ne cessons pas un instant de nous sentir un homme ou une femme » (Chiland, 1998, p. 32). La sexualité attribue aux êtres humains une identité sexuée. Celle-ci leur confère le sentiment d’appartenance à un sexe, masculin ou féminin, biologiquement déterminé et aussi culturellement défini par des normes sociales (Vouillot, 2002). La manifestation de l’identité sexuelle s’exprime sous des formes diverses telles que des émotions, la sensualité, l’affectivité, des pulsions parfois difficilement

contrôlées, la mise en œuvre de la sexualité sous sa forme génitale, celle-ci étant plus communément appelée relation sexuelle.

Inhérente aux rapports humains dans l’entreprise, l’analyse des relations sexuées et de ses impacts a été choisie pour en percevoir l’importance dans le cadre du respect de l’éthique. Sexualité et éthique sont ici mises en exergue pour servir d’analyseur de la gestion stratégique du DRH dans l’entreprise. L’analyse de la gestion représentationnelle des relations sexuées et de l’éthique dans l’organisation, particulièrement au regard de la manière dont les problèmes d’ordre sexuel sont gérés, est destinée à jauger le poids de la gestion ainsi que du pouvoir stratégique du DRH. Ce faisant pour Roche (1995), le management privilégie le principe productiviste de réalité, lequel supplante le principe de plaisir lié à la sexualité : « La logique de l’entreprise est la logique économique. C’est donc une logique centrée sur le profit » (Ibid., p. 63).

Pour Jaspard (2005) la sexualité s’est libérée apparemment du carcan religieux et culturel au XXIème siècle, mais elle reste l’objet du regard social. Sous son apparente volonté de protéger un mode de vie individualiste avec la promesse de liberté qui l’accompagne et dont elle se targue, la sexualité des hommes et des femmes n’échappe pas à la pression sociale. Malgré un dispositif de fonctionnement polymorphe, la mise en œuvre de la sexualité se réfère plus particulièrement à l’instinct et au plaisir, difficilement contrôlables, d’autant plus qu’ils paraissent dominer les hommes. « Nous sommes, nous, dans une société du “sexe” ou plutôt “ à sexualité ” : les mécanismes du pouvoir s’adressent au corps, à la vie, à ce qui la fait proliférer, à ce qui renforce l’espèce, sa vigueur, sa capacité de dominer, ou son aptitude à être utilisée » (Foucault, 1976, p. 194). En fait, la sexualité suscite le désir de la faire vivre et sa tendance est de s’opposer à toute contrainte. Les comportements sexuels voulus par la nature sont associés à un plaisir intense dont la force est toujours susceptible d’excès et de révolte (Foucault, 1984a). La vivacité, la force et l’attirance du plaisir s’exercent sur le désir qui suscite l’activité sexuelle, laquelle tend alors à déborder les limites qui lui sont fixées par la nature. « On est porté à aller au-delà de la satisfaction des besoins et à continuer à chercher le plaisir après même la restauration du corps (…) c’est la virtualité “stasiastique” de l’appétit sexuel ; tendance au dépassement, à l’excès, c’est sa virtualité “hyperbolique ” » (Ibid, p. 68). La sexualité est rendue dangereuse parce qu’elle privilégie l’indépendance et la liberté d’être. Elle risque d’emporter l’individu au-delà des nécessités de son organisme du fait de la prégnance du désir, du renforcement par les images internes et externes et de l’attachement au plaisir et aux sensations qui en sont issues (Foucault, 1984b). Même si l’objectif de Reich (1968) est d’éliminer l’inhibition sexuelle et le tabou qui lui est associé, il reconnait dans ce

cas, le risque de libérer les énergies végétatives, lesquelles provoquent une intensification des impulsions antisociales et perverses en mettant réellement en danger la vie sociale et entrepreneuriale.

Un pourcentage significatif de travailleurs masculins et féminins reconnait avoir dû faire face à des comportements sexuels inadéquats à leur égard. 20% de femmes françaises estiment avoir affronté une situation de harcèlement sexuel dans leur vie professionnelle (IFOP, 2014) ; 28% des femmes suisses et 10% des hommes suisses estiment avoir fait l’objet de harcèlement sexuel au travail (Confédération suisse, 2008). Sans qu’existent des statistiques spécifiques en la matière, une enquête réalisée en Belgique rapporte que les hommes aussi peuvent être victimes de harcèlement y compris par des femmes (Henrard, 2013), mais que le fait d’avoir subi du harcèlement sexuel est beaucoup plus souvent déclaré par les femmes. Il apparaît d’ailleurs que «les femmes, plus que les hommes, ont tendance à estimer que les faits de harcèlement sexuel auxquels elles ont été exposées, ont des conséquences sérieuses concernant leur santé physique et psychique (59,7 %) » (Garcia, Hacourt et Bara, 2005).

De ce fait, nombre d’Etats ont élaboré des règles et des lois en matière de contrôle de la sexualité en tenant compte des contraintes culturelles indispensables pour réguler la vie en société. Ces lois concernent la gestion et le contrôle des comportements sexuels y compris dans les entreprises.

A la demande de quelques sénateurs français, une note du sénat fait état d’une étude comparative réalisée en juin 2012 sur les réglementations mises en place dans 12 pays en matière de gestion sociétale des comportements sexuels.

Cette note présente le contenu des différentes définitions du harcèlement sexuel ou ses équivalents qui figurent explicitement dans des directives européennes et dans des lois en vigueur. (…) Sans prétendre recenser, pour chaque État, toutes les lois qui font référence à cette notion sans la définir, elle prend en compte la législation de douze pays dont neuf membres de l’Union européenne : Allemagne, Angleterre, Belgique, Espagne, Danemark, Italie, Pays-Bas, Portugal, Suède ainsi que celle du Canada, des États-Unis et de la Suisse (République Française, 2012).

Au regard de cette note, la notion de harcèlement sexuel prend une dimension plus globale en intégrant nombre de comportements sexuels inappropriés, dans le cadre de l’entreprise particulièrement, tels que : remarques et propos grivois, regards lubriques, courriels égrillards et scabreux, plaisanteries sexistes, exhibition de matériel pornographique, contacts physiques et attouchements déplaisants ou non désirés, invitations importunes,

tentatives de rapprochement accompagnées de promesses d’avantages économiques ou promotionnels voire de menaces de représailles sous forme de moqueries, d’humiliations, d’exigences de travail impossibles à satisfaire ou d’isolement, contacts sexuels sous la contrainte, agressions sexuelles, tentatives de viol ou viols. La distinction entre un harcèlement sexuel et un flirt ou une relation amoureuse consentie dépend du ressenti des personnes concernées (Ibid).

A titre d’exemple, dans la loi du 6 août 2012, la législation française à l’article 222-33 § I et II énonce les points suivants :

I― Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

II. ― Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers (Gouvernement Français, 2012).

De même, l’Assemblée confédérale de la Confédération suisse dans sa loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes du 24 mars 1995 stipule dans :

Section 2 : Egalité dans les rapports de travail,

Article 2 : Principe. Les dispositions de la présente section s'appliquent aux rapports de travail régis par le code des obligations et par le droit public fédéral, cantonal ou communal.

Article 4 : Harcèlement sexuel; discrimination. Par comportement discriminatoire, on entend tout comportement importun de caractère sexuel ou tout autre comportement fondé sur l'appartenance sexuelle, qui porte atteinte à la dignité de la personne sur son lieu de travail, en particulier le fait de proférer des menaces, de promettre des avantages, d'imposer des contraintes ou d'exercer des pressions de toute nature sur une personne en vue d'obtenir d'elle des faveurs de nature sexuelle.

De telles réglementations et législations manifestent bien que la gestion des comportements sexuels dans les entreprises présente des difficultés et des risques. L’enquête de l’IFOP (2014) fait état qu’il revient à 90% à l’employeur la responsabilité de réagir et donc à son représentant, le DRH. Celui-ci dans le cadre de la RSE, est chargé de veiller à la protection des hommes et des femmes, d’en assurer la gestion et la prise en compte dans le cadre de la gestion stratégique de l’entreprise. Les jurisprudences de tribunaux belges et français font d’ailleurs apparaître qu’indépendamment de la mise en cause de sa propre responsabilité dans l’acte délictueux de harcèlement sexuel, l’employeur peut être tenu

responsable du non- respect de ses obligations en matière de bien-être et de sécurité de ses salariés. Le DRH en tant que membre de la ligne hiérarchique est tenu de coopérer avec sa direction, il est par ailleurs responsable des services de prévention humaine en matière de santé des salariés et donc redevable de décisions judiciaires si des carences s’avèrent reconnues en la matière. Son comportement n’exonère cependant pas l’employeur principal de ses responsabilités.

Les auteurs des faits de harcèlement sexuel, outre le licenciement, sont susceptibles d’être condamnés à deux ans d’emprisonnement et 30.000 € d’amende. C’est au juge d’en décider en fonction de sa conviction acquise (Conférence du Jeune Barreau de Charleroi, 2005 ; Grandguillot, 2014 ; Laporte, 2012).