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Les difficultés du positionnement éthique dans l’entreprise

2. PROBLÉMATISATION

2.2 Les difficultés du positionnement éthique dans l’entreprise

Membre du comité de direction, soucieux du respect d’une politique générale de la société et de la responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE), le DRH est amené à prendre des décisions dans lesquelles il engage sa responsabilité et celle de son employeur. Parmi ces décisions, il lui revient d’en prendre afin de veiller à la diffusion et au respect de l’éthique et des valeurs de l’entreprise telles que promulguées par la charte d’éthique ou de management de l’entreprise, validée par le comité de direction et officiellement diffusée (Haegel, 2010).

Dans ce type de charte, l’entreprise officialise ses ambitions, ses valeurs, ses croyances et principes dans le but de sauvegarder l’équilibre et l’équité entre toutes les parties prenantes. « Le bon positionnement de l’affichage des valeurs et des principes vise à répondre aux attentes des parties prenantes, dans un environnement qui accorde un rôle croissant à la responsabilité sociale de l’entreprise » (Bensebaa et Autissier, 2011, p. 47).

Ces parties prenantes sont les actionnaires qui souhaitent garantir le retour d’investissement, les salariés qui espèrent le respect de leurs attentes, les fournisseurs dont l’entreprise entend soutenir et garantir la production, les clients dont elle veut satisfaire les besoins et les désirs de qualité et enfin les organismes publics, parapublics ou privés, devant lesquels l’entreprise a une responsabilité sociétale du fait de sa connexion avec eux (Cardot, 2006).

La charte d’entreprise est un référentiel en matière d’éthique. Pour lui donner tout son sens et même lui conférer une valeur stratégique, la charte est normalement le fruit d’un échange, d’une discussion, d’un dialogue entre toutes les parties prenantes. Pour Boidin, Postel et Rousseau (2009), les entreprises entrent dans une nouvelle ère du dialogue social où l’éthique apparaît comme une loi essentielle codifiée sous le nom de charte d’entreprise ou

charte éthique selon les cas. En fait, ces codes ou chartes éthiques, proviennent de démarches volontaires de la part des responsables d’entreprises, ne fut-ce que pour prévenir une réglementation plus rigoureuse que leur imposerait les pouvoirs publics. Ils restent fondamentalement très diversifiés du fait que chaque code se construit dans le contexte propre à chaque entreprise avec ses spécificités sociales, financières et environnementales.

Quoi qu’il en soit, la charte et son contenu impactent l’ensemble des parties prenantes au niveau des comportements et de la confiance. « Une prise en compte des valeurs et de l’humain est également au centre des modèles de management issus de la responsabilité sociale de l’entreprise » (Bensebaa et Autissier, 2011, p. 35). Le management, par les valeurs prônées par la charte, constitue un outil efficace de la formalisation de l’éthique dans l’entreprise. « Il fédère l’ensemble des parties prenantes en cherchant à constituer une collectivité soudée, différenciée et efficace » (Benbrahim, 2006, p. 50). Se préoccuper aujourd’hui des valeurs constitue un minimum indispensable en matière de management et d’éthique de l’entreprise. C’est pourquoi le référentiel éthique s’inscrit dans la logique de la stratégie de l’entreprise et prend place dans le cadre d’une orientation de sa politique générale. Son contenu représente une valeur impérieuse au moins morale (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2010 ; Le Borgne-Larivière et al., 2009). La charte peut cependant présenter des risques ou des déviances.

2.2.1 Effet de mode de l’éthique d’entreprise

Les chartes éthiques participent à l’image de l’entreprise, elles acquièrent une valeur symbolique pour en défendre la réputation. Elles tendent ainsi à vendre la légitimité de l’entreprise, sa rigueur, son honnêteté à destination des parties prenantes. Faisant un emprunt au marketing, la charte éthique devient « un instrument publicitaire et de communication visant à donner une bonne image de l’entreprise » (Postel et Sobel, 2013, p. 49). Elles font vendre et si ce n’est pas le cas, elles peuvent au minimum ternir l’image publique de l’entreprise. Certains estiment qu’il est de toute façon préférable d’en produire une, fut-ce à ne pas s’y plier, à n’être qu’une façade, un respect d’une mode sociale (Bibard, 2005 ; Mercier, 2004). Circonvenir à ses engagements conduit cependant l’entreprise à se décrédibiliser sur ses enjeux, sur ses perspectives stratégiques, sur le climat social et sur ses repères. En conséquence, existe le risque de ne pas satisfaire les exigences de ses parties prenantes. « L’entreprise peut craindre de s’exposer à la critique sur un terrain où sa légitimité

et la véridicité de son discours apparaissent souvent contestables » (Postel et Sobel, 2013, p. 58).

2.2.2 Utilitarisme de l’éthique d’entreprise

Comme les chartes éthiques s’inscrivent dans le cadre d’un projet global d’entreprise construit par ses dirigeants, le but poursuivi est la réussite et la pérennité de l’organisation. « L’éthique de l’entreprise contribue à sa consolidation et à la pérennité de son image » (Boiry, 2003, p. 141). Au service de cet objectif se développe tout un discours sur l’éthique en parlant de valeurs, de principes, du sens des responsabilités, de l’implication et de la motivation des hommes. Or les notions de valeurs et de principes n’ont pas le même sens dans leur mise en application, elles cachent souvent des conflits d’intérêts (Renouard, 2009). « Des discours éthiques, pleins de bons sentiments apparaissent le plus souvent décalés par rapport aux préoccupations des salariés et déconnectés des réalités économiques et sociales dominées par le conflit et la compétition » (Le Goff, 2008, p. 331). Les valeurs, les principes peuvent servir à mobiliser, réguler et contrôler les salariés mais ils ne s’ancrent pas toujours dans l’organisation du travail. Ils ne sont pas toujours le fruit d’un travail collectif mais plus souvent celui d’une décision hiérarchique. Cela crée une suspicion de la part du personnel. La charte peut dans ce cas n’apparaître que comme un leurre, une chimère, une utopie pour masquer le fait que les moyens économiques ne se rapportent plus à des finalités sociales (Salmon, 2009). Certains ne craignent pas de les appeler ironiquement une « charte à la crème » (Ballot, 2004, p. 56). Sans le dire, l’éthique est ainsi dédiée à la réussite économique de l’entreprise. Celle-ci s’aligne en fait sur une conception libérale de sa responsabilité sociétale qui est d’accroître ses profits, condition indispensable pour pérenniser sa présence sur le marché. De telles thèses libérales rejettent, en quelque sorte, toute forme d’obligations et de contraintes autres qu’économiques. Le risque est même pour l’entreprise de ne s’engager dans des comportements éthiques que lorsqu’elle est certaine du retour sur investissement. Pour le reste, l’application de la loi apparaît suffisante. Pour Marzano (2008a), peut-on encore parler dans ce cas de démarche éthique parce que sous couvert d’éthique on vise en réalité à exploiter les individus et à imposer à la société une vision utilitariste du monde. Il s’agit de ne pas faire de l’éthique avec une vision essentiellement économique (Ballot, 2004). L’éthique dans ce cas devient un outil de manipulation des équipes visant uniquement la défense d’enjeux économiques cachés. Par cette manière de faire, l’éthique s’exerce comme une contrainte sur les esprits, une contrainte qui utilise l’autonomie pour la convertir en auto-

asservissement. Le risque de la manipulation est patent si la charte d’éthique n’est pas le fruit d’une élaboration interrelationnelle. Or l’éthique professionnelle développe sa spécificité dans la construction du rapport à l’autre (Castillo, 2011).

2.2.3 Les risques de l’alerte éthique

« Le dispositif d’alerte éthique invite en fait les salariés à participer aux côtés des directions à la protection de l’entreprise dans le but avoué d’améliorer ses performances » (Amblard, 2010, p. 247). L’alerte éthique offre la possibilité à toute personne membre d’une entreprise de révéler l’existence de pratiques illégales et immorales en son sein lorsqu’elles présentent des risques financiers, juridiques et autres, y compris pour sa réputation ou pour son image (Charreire Petit et Surply, 2008). Il en va de même lorsque les comportements de l’entreprise contredisent les engagements de sa charte d’entreprise : « Cela obligerait donc tout collaborateur à participer activement à la défense de cette charte éthique » (Amblard, 2010, p. 247). Le champ d’application de l’alerte éthique est limité en France par la Commission Nationale Informatique et Liberté (CNIL) pour « des faits graves de nature comptable et financière, de lutte contre la corruption ou encore relatifs à des manquements au droit de la concurrence » (CNIL, 2001). Le dispositif ne doit pas avoir une portée générale. En matière de relations humaines, il s’agit de réorienter l’alerte vers le DRH (Ibid.).

La mise en œuvre de ce système de contrôle et d’évaluation de la pratique éthique n’a été possible que de manière partielle en France et ce pour plusieurs raisons :

-Cette pratique modifie les relations de pouvoir dans l’entreprise. En effet, le conseil d’administration, le management et le personnel de l’entreprise sont impliqués ensemble dans la mise en œuvre d’un processus de contrôle et d’alerte éthique. L’irruption d’un tel dispositif bouleverse ainsi potentiellement les schémas de fonctionnement des parties prenantes et les rôles qu’elles exercent dans l’entreprise. Il existe alors un risque de perte de confiance dans les relations entre toutes les parties prenantes du fait de la redistribution des pouvoirs dans l’entreprise, chacun se sachant contrôleur et contrôlé. (Daoud, Dinh, et Ferrari, 2011). La légitimité de l’application de l’alerte éthique peut être discutable, particulièrement lorsque celle-ci se réfère à la norme sociale. Celle-ci ne s’inscrit pas dans le champ du droit législatif mais dans un champ idéologique. L’alerte éthique ne peut être un pastiche, paraphrase sociale de la norme légale. Le risque existe de voir une privatisation du droit dans la reconnaissance légale de la norme sociale, laquelle logiquement devrait être validée par des compétences nationales ou internationales (Renouard, 2009).

-Cette démarche avive la crainte du personnel de s’engager dans un processus délateur, un système organisé de délation professionnelle, avec le risque d’opprobre et de représailles en retour, sans compter le souci de la protection de la vie privée (Amblard, 2010). La mise à jour de dysfonctionnements dans l’entreprise est susceptible de provoquer des conflits et des perturbations difficilement contrôlables (Even-Granboulan, 2004). Le système protecteur utilisé est alors culturellement celui de la loi du silence « Les salariés français n’ont pas encore […] la volonté de s’opposer à des faits délictueux en les dénonçant quel que soit le prix à payer » (Amblard, 2010, p. 248).

-Ce comportement entraine la mise en question du positionnement du dispositif alerte éthique au regard des autres organismes existants dans l’entreprise, tels que l’audit, le contrôle de gestion, les organisations syndicales.

Un tel mode d’action implique la mise en place du dispositif, négocié avec toutes les parties prenantes pour en déterminer les modalités d’application (Durand, Djerbi et Selmer, 2013). Les conditions d’application permettraient d’apporter aux parties prenantes une garantie du respect de la justice et de la notification d’une sanction pour ceux qui transgressent la charte éthique. « Il ne sert à rien d’avoir un programme d’éthique si les mesures adéquates pour sa mise en application ne sont pas prises et si un système de “sanction” n’est pas organisé » (Rouers, 2008, p. 154).

2.2.4 Difficulté de la mesure du résultat de l’éthique d’entreprise

Au regard des résultats financiers de l’entreprise, il paraît difficile de comptabiliser les effets du respect de l’éthique et leur influence sur son climat et ses résultats socio- économiques. Des organismes s’efforcent d’en mesurer l’impact à travers l’analyse et la mesure du rendement des investissements du capital immatériel et plus particulièrement du capital humain à l’intérieur duquel ils positionnent l’éthique (Fustec et Marois, 2006). Or à ce propos, peut-on vraiment parler d’investissement économique lorsqu’il s’agit d’éthique même si gérer les hommes à leur satisfaction et dans le respect de leur personnalité produit leur engagement dans la poursuite de résultats financiers du fait de la productivité et de la qualité de leur travail (Orlitsky et al., 2003). Mesurer le retour d’investissement que représente une politique de gestion éthique des ressources humaines à la fois vertueuse et généreuse n’offre que peu de garanties de son bien-fondé économique : « L’éthique a un coût mais les organisations savent mal le chiffrer et savent mal le comptabiliser (investissement); elles savent encore plus difficilement estimer et mesurer le retour sur investissement dans une

perspective financière de rentabilité » (Fabre, Sépari, Solle et Charrier, 2011, p. 268). En effet, la démarche méthodologique reste aléatoire et l’efficacité de l’engagement éthique n’est pas la préoccupation essentielle de l’entreprise même si les gestionnaires des ressources humaines restent convaincus que sans éthique on peut gagner à court terme, mais qu’on perd à long terme (Mercier, 2004).

Quoi qu’il en soit, la charte d’éthique est supposée circonscrire la gestion de l’entreprise. « L’éthique pour les entreprises les oblige à mettre en place une gestion de l’éthique, comme une nouvelle variable de gestion » (Fabre et al., 2011, p. 268). Bien au-delà de l’entreprise, le souci de l’éthique se trouve même généralisé au groupe professionnel auquel elle se réfère, sous la forme de règles déontologiques qui constituent un aspect de l’éthique de la profession : « La déontologie professionnelle constitue une réponse au besoin de clarifier une éthique commune et de s’en servir pour guider les interventions des membres de ce groupe professionnel » (Desaulniers et Jutras, 2012, p. 26). Y contrevenir par des manquements divers tels que le harcèlement sexuel, l’absence d’une politique sociale respectueuse de la loi, des licenciements abusifs, la corruption de politiques, la concussion de fonctionnaires et d’autres, fussent-ils faits sous la chape silencieuse du tabou ou de la nécessaire efficacité, relève d’un manque d’éthique et bien souvent aussi de sanctions juridiques (Daoud et al, 2011). Face à ces manquements se posent diverses questions essentielles au DRH, quelle position prendre, quel rôle assumer, quel comportement préventif étayer, sinon, en quoi la fonction garde-t-elle du sens, si son pouvoir d’agir est escamoté sous le couvert de l’ignorance cauteleuse. Sous le couvert d’impératifs économiques ou techniques, le DRH se trouve confronté dans bien des cas à des négations de son rôle éthique, lesquelles rejaillissent sur sa capacité à intervenir dans le cadre de décisions stratégiques pour l’entreprise.