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CHAPITRE 2 : RECENSION DES ÉCRITS

2.6. Les controverses autour de la transition sociale à l’enfance

2.6.4. Les risques associés à l’attente et la lutte contre les thérapies de conversion

Alors que les modèles d’intervention visant la modification ou l’empêchement du développement d’une identité trans semblent être une chose du passé, cette vision est toujours présente dans les travaux et pratiques de plusieurs chercheur·e·s et clinicien·ne·s dans le monde (Ehrensaft et al., 2018) et, dans le cas des thérapies de conversion, les interventions sont souvent offertes sous différentes appellations (Lev, 2019). Or, l’approche affirmative – voire transaffirmative (Pullen Sansfaçon, 2015) – est de plus en plus utilisée par divers·es spécialistes autour du globe (Keo- Meier et Ehrensaft, 2018; Medico et Pullen Sansfaçon, 2017; Pullen Sansfaçon et al., 2019a, 2019b, 2020; Riggs et al., 2020).

Le choix des praticien·ne·s de se diriger davantage vers des pratiques affirmatives est en partie motivé par la volonté de protéger les enfants des effets nocifs des approches préconisant l’attente ou l’empêchement d’une autoidentification trans. En effet, chez les enfants qui ont une conscience forte de leur identité de genre, les approches préconisant l’attente peuvent être très dommageables puisqu’elles refusent de reconnaître l’identité vécue et exprimée de l’enfant et retardent ainsi un

développement identitaire adéquat (Ehrensaft et al., 2018). Dans cette perspective, c’est plutôt le renforcement de rôles, d’intérêts et d’apparences alignés avec l’identité assignée à la naissance qui empêche la floraison de l’identité authentique de l’enfant :

We need to learn to live with the gender ambiguity and not pressure our children with our own need for gender bedrock. When we try to pin down our children’s evolving gender […], we may end up imprisoning them in a new bubble of surety and expectation that may actually prevent their true gender selves from coming out. (Ehrensaft, 2018, p. 26-27) De même, alors que le watchful waiting (de Vries et Cohen-Kettenis, 2012) est présenté comme un facteur de protection, ce modèle peut exposer un·e enfant qui manifeste une créativité sur le plan du genre à des dangers potentiels par le fait même de l’encourager à adopter une expression de genre « neutre » en attendant l’adolescence. En réalité, ce compromis peut s’avérer difficile dépendamment du contexte socioculturel et géographique de l’enfant étant donné les normes de genre binaires qui s’imposent dans toutes les sphères sociales de l’enfant, créant des environnements hostiles aux expressions qui transgressent la binarité des expressions de genre masculines et féminines (Ehrensaft et al., 2018; Edwards-Leeper et al., 2016).

Les approches réparatrices, quant à elles, sont considérées par plusieurs comme étant sans équivoque nocives pour le bien-être et le développement de l’enfant (Ehrensaft, 2018; Minter, 2012; Wallace et Russell, 2013). Un article (Wallace et Russell, 2013) présentant une comparaison théorique des thérapies empêchant les enfants trans d’exprimer leur identité de genre de manière authentique a soulevé qu’en voyant la variance de genre d’un·e enfant comme une cible de traitement, une thérapie réparatrice (ou de conversion) ne fait que renvoyer le message qu’il y a quelque chose de fondamentalement mal dans l’identité ou l’expression de genre de l’enfant. Par conséquent, « the child will experience shame as a global attribute of the self, as part of the identity, and will therefore be at elevated risk of depression » (Wallace et Russell, 2013, p. 119).

Similairement, intervenir auprès des parents en les percevant comme étant « responsables » de l’émergence d’une autoidentification trans chez leur enfant dépeint les enfants comme étant des « passive recipients of the parents’ conscious and unconscious socializing actions » et ne prend pas en compte les manières dont l’enfant construit et définit sa propre identité de genre (Hill et Menvielle, 2009, p. 267). De plus, ce type d’approche pose un risque de stigmatisation chez les

parents, ce qui peut engendrer des sentiments de honte et ainsi nuire à l’attachement entre les parents et leur enfant (Wallace et Russell, 2013).

Par ailleurs, une étude quantitative (Turban et al., 2020) menée en 2015 s’est penchée sur les effets de l’exposition aux thérapies de conversion à l’enfance ou à un autre moment dans la vie sur la santé mentale d’adultes trans. Les résultats de cette étude permettent de constater que l’exposition aux thérapies de conversion au courant de la vie est directement liée à une détresse psychologique sévère et à une probabilité plus élevée de tentatives de suicide, alors que l’exposition à ces thérapies spécifiquement avant l’âge de 10 ans augmentait significativement le risque de faire une tentative de suicide.

Les approches réparatrices ont ainsi été décrétées comme non éthiques par plusieurs (e.g. la WPATH) et sont aujourd’hui légalement interdites dans plusieurs régions dans le monde. La lutte contre les thérapies de conversion prend d’ailleurs de plus en plus d’ampleur à travers le monde, et plus particulièrement au Canada. En 2015, la province de l’Ontario est devenue la première à interdire les pratiques réparatrices à l’aide du projet de loi 77, et le Manitoba et la Nouvelle-Écosse ont suivi cette initiative. Or, ce n’est qu’en 2020 que le gouvernement fédéral canadien prend officiellement position contre les thérapies de conversion en déposant le projet de loi C-8 visant à rendre ces interventions illégales. S’appuyant sur le constat « que les thérapies de conversion causent des préjudices aux personnes qui y sont soumises, plus particulièrement les enfants », le gouvernement souhaite ajouter, entre autres, la prestation de thérapies de conversion à un·e enfant à la liste des infractions du Code criminel (Parlement du Canada, 2020, paragr. 1).

Parallèlement, plusieurs associations et ordres professionnels, tels que la Société canadienne de psychologie, la Société canadienne de pédiatrie, l’Association canadienne pour la formation en travail social et l’Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux, ainsi que l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec ont appuyé ces avancées légales et sociales dans les dernières années en émettant des énoncés officiels renforçant l’importance de travailler dans une optique affirmative.

Il importe cependant de nuancer en mentionnant que le fait de criminaliser une approche thérapeutique ne garantit pas sa disparition immédiate. Dans les faits, les enfants demeurent à risque d’être exposé·e·s à ce type de thérapie derrière des portes closes, et étant donné les relations de pouvoir qui s’installent dans un contexte de thérapie, certaines familles ne remettront pas nécessairement cette pratique en question ou ne seront pas forcément enclines à la dénoncer.