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CHAPITRE 5 : RÉSULTATS

5.2. La transition en dehors de la maison : un processus de négociation et d’accompagnement

5.2.2. Négociation du pouvoir décisionnel : laisser son enfant guider le processus de transition

Mettre l’enfant au cœur de son propre processus de transition était le résultat d’un processus de négociation du pouvoir décisionnel. Étant donné l’âge des enfants, toutes les décisions et les démarches entamées étaient conditionnelles à l’accord parental. Or, au moment de la collecte de données, le processus de transition de chacun·e des enfants s’inscrivait dans un contexte où les parents suivaient son rythme.

Parfois, adopter une apparence neutre dans le genre et même retarder le processus de transition à l’extérieur de la maison était une décision de l’enfant. Dans les faits, les parents ont rapporté que leur enfant avait peur de dévoiler son identité à son entourage (peur des réactions de la famille élargie, peur de la réaction des pair·e·s). Elisa, une fille de 10 ans, a pris la décision de maintenir une expression de genre neutre en dehors de la maison, tout en s’identifiant comme garçon dans ces sphères, en attendant d’être prête à affronter les réactions des gens :

Aussitôt qu’on a déménagé à [nom de la ville] on a commencé à acheter des vêtements, t’sais comme je n’aime pas toute l’affaire de « fille, garçon », mais un chandail turquoise et un, j’sais pas, un chandail saumon, t’sais? Plus entre les deux? Et les cheveux—c’était pas beau [rire], mais, oh mon dieu pauvre enfant, mais les cheveux poussaient et t’sais, il n’y avait aucune identité, quand elle était [prénom de naissance d’Elisa], les gens auraient pu dire : « Eh bien, c’est un garçon ou une fille? ». Ils n’étaient pas certains, t’sais? (Catherine, mère d’Elisa).

Elisa a également tenté de tâter le terrain au lieu de foncer à tête baissée dans un univers de réactions inconnues en se « déguisant en fille » devant certain·e·s ami·e·s et en demandant à sa mère de prétendre qu’elle est sa propre cousine. Suivant le rythme de son enfant, sa mère l’a ainsi soutenue dans cette démarche :

[…] à l’école elle était un petit garçon, et en arrivant à la maison elle courait vers sa chambre et se changeait, et, un jour, elle a invité une amie à venir à la maison et elle m’a dit : « Je vais mettre une perruque et je vais m’habiller comme [Elisa], pourrais-tu faire semblant que je suis la cousine de [Elisa]? ». Donc c’est ce qu’elle voulait que je fasse, donc j’ai dit, t’sais quoi, je le ferai pour elle parce que c’est comme ça qu’elle se sent, qu’elle veut—donc on l’a fait et son amie la regardait comme, tsais? (Catherine, mère d’Elisa)

[…] une fois, j’ai essayé de piéger mon amie. J’étais tout habillée en fille. Et là après je suis allée cogner sur sa porte pour demander où aller. […] Elle a dit : « Je sais que c’est toi [prénom de naissance d’Elisa] ». Et après j’ai dit : « De quoi tu parles? » Puis là après à l’école elle faisait juste parler et parler et me demander : « Est-ce que c’était toi? Est-ce que c’était toi? Est-ce que c’était toi? » et j’ai juste commencé à crier après elle en disant « Oui, c’était moi! Arrête! » […] elle a arrêté. Et puis elle m’a accepté en tant que fille. (Elisa, fille de 10 ans)

Ainsi, laisser son enfant guider son processus de transition voulait dire ellui laisser choisir le moment où son identité sera introduite au monde extérieur, et ce, indépendamment des sentiments des parents, ou de leur peur de l’incertitude :

[…] elle en parlait et y réfléchissait plus souvent et elle a dit : « Je veux aller à l’école en tant que fille », et j’ai dit : « OK, bien, que dirais-tu si on attendait les vacances, et après tu aurais l’été au complet pour t’y habituer, t’sais? Comme à tout ça. Et après on peut commencer la troisième année en tant que fille », et elle a dit : « OK ». Je pense que c’était comme une ou deux semaines plus tard, « Je ne veux pas attendre. Je veux le faire maintenant », donc j’ai dit : « Oh merde, OK » […]. Donc j’ai pris un rendez-vous avec la directrice et elle a dit : « OK! J’embarque ». (Maria, mère de Debbie)

[…] trois semaines, deux semaines avant que l’école commence, elle a décidé qu’elle voulait faire sa transition. Parce que je lui ai toujours dit « c’est toi, quand toi tu es prête, c’est là qu’on va le faire ». Donc deux ou trois semaines avant le début de l’école elle a dit : « Okay! Je transitionne! Mais je ne veux pas rester à la même école ». (Catherine, mère d’Elisa)

L’exemple d’Elisa soulève que parfois suivre le rythme de l’enfant signifiait lui offrir un nouveau départ. Devant la peur de la réaction de ses pair·e·s, Elisa ne voulait pas entamer un processus de transition dans une école où tout le monde a appris à la connaître sous l’identité qui lui avait été assignée à la naissance :

J’ai vendu ma maison et on a déménagé pour qu’elle puisse faire la transition parce qu’elle ne voulait pas commencer à la même école. […] C’était plus facile pour elle. Personnellement, je serai restée à la même place et j’aurais—et même [professionnel à la clinique] et [médecin à la clinique] ont dit que […] si elle avait besoin d’aide à cette école,

qu’ils seraient prêts à y aller pour l’expliquer à tout le monde et tout, mais [Elisa] ne voulait pas, donc j’ai respecté son choix et on a tout vendu et on est partis. […] Je me suis dit que c’est assez difficile pour elle de passer à travers ce qu’elle vit donc je ne vais pas l’imposer sur elle. (Catherine, mère d’Elisa)

Cette négociation du pouvoir nécessitait donc l’adoption d’une vision de l’enfant comme étant l’expert·e de son identité de genre et comme étant la personne la mieux placée pour nommer ce dont elle a besoin. Ceci signifiait que les parents devaient souvent s’ajuster pour mieux répondre aux besoins de leur enfant, que ce soit au niveau du type de soutien parental qui leur est nécessaire pour s’épanouir ou du type de ressources qui leur sont nécessaires à l’extérieur de la maison. Dans cet ordre d’idées, ce travail d’ajustement et de partage du pouvoir a permis à une enfant d’avoir l’occasion de choisir son nouveau prénom avec l’aide de ses parents :

C’était drôle, elle était couchée dans son lit, au coucher, parce que c’est ce qu’on fait [rire], et elle a dit : « Maman, je veux que toi et papa vous choisissiez mon prénom, comme vous avez choisi celui de [ma sœur] ». […] Donc, nous avons en fait trouvé [prénom suggéré par les parents] et elle était comme, elle a comme littéralement rit dans ma face. Elle était comme : « Maman, c’est tellement un vieux nom, un nom d’une vieille madame ». […] J’ai dit : « Euh, tu peux peut-être réfléchir à quelque chose par toi-même, c’est vraiment correct ». Et elle a trouvé [Katie]. (Kylie, mère de Katie)

Ainsi, apprendre à reconnaître et à respecter les besoins de son enfant a permis aux parents de délaisser une partie de leur pouvoir décisionnel et d’ainsi nourrir un environnement où leur enfant joue un rôle actif dans la prise de décisions qui lea concernent :

Ça n’a pas rapport avec moi, et ça n’a pas rapport avec [mon mari]. Qu’est-ce que [Kevin] veut? T’sais? Donc c’était ça la plus grande leçon que j’ai apprise grâce [aux professionnels de la clinique], [Kevin] nous montrera le chemin. C’était aidant. […] Je veux juste faire la bonne chose, t’sais? Je ne veux pas faire ce qui est bon pour moi, je veux faire ce qui est bon pour [Kevin] et parfois mon instinct est très mauvais. […] Ça me rappelle que ça ne tourne pas autour de moi et autour de ce que je ferai par rapport à [Kevin]. Il est sa propre personne. Ça, je crois, c’était la plus grande leçon que j’ai apprise en venant à [la clinique]. Et la plus importante, n’est-ce pas? (Alma, parent de Kevin)

Or, certaines décisions ne pouvaient pas être prises en tenant compte de la volonté de l’enfant. Par exemple, dans une situation où un·e membre de la famille élargie exprimait des propos transphobes, les parents ont pris la décision de cacher cette information à leur enfant et de simplement couper

les ponts avec cette partie de la famille, et ce, pour son bien-être. Dans ce contexte, l’enfant a été inconsciemment protégé de la violence par ses parents :

Donc, il va sans dire que c’est fini […]. On n’a pas le choix, t’sais? Mais comme, quand j’en parle à [médecin à la clinique] et à [professionnel à la clinique], ils sont comme : « Mais qu’est-ce que [Kevin] veut? ». Et c’est comme, euh, je ne peux pas vraiment dans ce cas- ci, [Kevin] ne le sait pas vraiment. […] Mais on peut pas. On peut pas être dans la même pièce qu’eux, donc t’sais. Mais c’est une grande perte pour nous, tu sais […] mais ça enverrait le mauvais message à notre enfant quand il le saura. Quand il est assez grand pour le savoir. (Alma, mère de Kevin)