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En juillet 1829, Mauroy et Ségur-Dupeyron fondent un périodique mensuel : Revue

des Deux Mondes, Recueil de la politique, de l’administration et des mœurs. Aussitôt, la

Bibliographie de la France annonce sa parution :

Revue des Deux Mondes, recueil de la politique, de l’administration et des mœurs. (Prospectus.) In-8° d’un quart de feuille. Imp. de Duverger, à Paris. – À Paris, rue du Doyenné, n. 8, et chez Mesnier.

On promet tous les mois une livraison de 7 à 8 feuilles. Prix annuel pour Paris. 40-0256.

À peine fondé, le périodique est sur le point d’être dissous en raison des événements de Juillet 1830 et des complications inévitables. C’est François Buloz, fin et habile connaisseur de l’édition, qui décide de prendre les rênes. La Bibliographie de la France signale sa nouvelle parution :

Revue des Deux Mondes, journal des voyages, de l’histoire, de la philosophie, de

la littérature, des sciences et des arts chez les différents peuples du monde. Par une société

de savants, de voyageurs et de littérateurs français et étrangers. Deuxième série. Octobre— novembre 1830. In-8° de 18 feuilles ¾. Imp. d’Auffray, à Paris. – À Paris, rue des Beaux-Arts, n. 6.

On promet un numéro par mois, pour l’année, à Paris257.

Le succès de la Revue des Deux Mondes se perpétuera tout au long du XIXe siècle. Le périodique connaîtra une longévité exceptionnelle. Il continue son existence même de nos jours et, non sans raison, il est considéré comme le titre le plus vivace dans l’histoire de la presse française. Les spécialistes de la littérature française et de l’information s’y sont déjà intéressés258 et nous y revenons pour tracer le cadre nécessaire à notre analyse de l’ensemble. Or, la Revue des Deux Mondes prétend au sérieux de l’information.

256

La Bibliographie de la France, XVIIIe année, 1829, N° 26, 27 juin 1829, p. 454.

257

La Bibliographie de la France, XXe année, 1831, N° 9, 26 février 1831, p. 131.

258

Voir Gabriel de Broglie, Histoire politique de la Revue des Deux Mondes de 1829 à 1979, Librairie Académique Perrin, 1979, 380 p. ; Nelly Furman, La Revue des Deux Mondes et le romantisme (1831-1848), Genève, Droz, 1975, 148 p. ; La Revue des Deux Mondes par elle-même. Préface de Michel Crépu, édition établie et annotée par Thomas Louvé, Mercure de France, 2009, 356 p. ; J. Pommier, « François Buloz et sa Revue des Deux Mondes », Les Annales. Conferencia, septembre 1959, pp. 5-20 ; repris in Dialogues avec le passé, Nizet, 1967, pp. 354-375 ; Zdraveva Blanche V., Les Origines de la Revue des Deux Mondes et les littératures européennes /1831-1842/. Thèse de doctorat : Lettres : Fribourg, Suisse, 1930, 390 p. ; Régnier

Orientation

Le périodique se veut encyclopédique. Il se donne comme objet de rendre compte de l’actualité culturelle, en outre, de la publication des actes et documents publics, du compte rendu des questions de politique intérieure et extérieure, de l’état de l’administration et de la parution d’avis et annonces diverses.

Fondateurs et Collaborateurs

Fondée en juillet 1829 par Mauroy et Ségur-Dupeyron, la Revue des Deux Mondes avait pour objet l’étude comparée des systèmes politique et administratif. Elle avait pour sous-titre : Recueil de la politique, de l’administration et des mœurs. Bien qu’elle publiât d’intéressants documents semi-officiels, la Revue a été menacée d’être supprimée pour des raisons politiques. Après avoir, quelques mois plus tard, absorbé le Journal des Voyages, elle a publié des reportages géographiques et quelques comptes rendus littéraires et dramatiques. Cela n’a pourtant pas amélioré sa situation à la veille de la révolution de Juillet car, en 1830, elle a cessé de paraître.

En février 1831, l’ancien correcteur d’imprimerie le Savoyard François Buloz prend la direction de la Revue des Deux Mondes – Journal des Voyages. Il s’est déjà exercé au métier de journaliste en écrivant quelques articles anonymes dans cette même revue. Buloz demeure à la direction de la Revue jusqu’à sa mort, en 1877. Il n’a pas la tâche facile, car il est confronté à bien des bouleversements, tant dans le domaine de la politique que dans celui de la littérature. Pour pouvoir conserver ses abonnés et ses lecteurs, il lui faut quelquefois infléchir ses opinions. Même si à l’origine la Revue des Deux Mondes n’a pas été créée par François Buloz, ce dernier en a fait un périodique très prestigieux. Comme l’a dit Émile Zola, en parlant de Buloz : « La Revue des Deux Mondes a été faite de son sang et de sa chair »259.

Philippe, « Littérature nationale, littérature étrangère au XIXe siècle. La fonction de la Revue des Deux Mondes entre 1829 et 1870 », Phlilologiques III. Qu’est-ce qu’une littérature nationale ? Approches pour une théorie interculturelle du champ littéraire, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1994, pp. 289-314.

259

Blanche Vassileva Zdraveva, Les origines de la Revue des Deux Mondes et les littératures européennes (1831-1842), Suisse, 1930, p. 368.

L’activité de la Revue des Deux Mondes porte bientôt ses fruits. En 1831 elle compte 350 abonnés qui atteignent le millier en 1834 et 2000 en 1843.

Tout au long de son histoire éditoriale, l’organe de Buloz compte énormément de collaborateurs permanents et passagers. Les premières années font surgir les noms de George Sand, de Vigny, de Musset, de Mérimée, d’Alfred de Vigny, de Victor Hugo, de Balzac et tant d’autres. Au début, la Revue des Deux Mondes s’intéresse aux romantiques surtout avec Victor Hugo. Cependant, elle entreprend de « réconcilier l’imagination et la critique »260, en invitant Sainte-Beuve et Gustave Planche. Ceux-ci y dénonceront plus tard les excès du romantisme.

En outre, la chronique de la quinzaine a pour rédacteurs Loève-Veimars, Rossi, Saint-Marc Girardin, Alexandre Thomas et Eugène Forçade.

Parmi les collaborateurs qui traitent régulièrement du domaine russe figurent Loève-Veimars, Xavier Marmier, Cyprien Robert, Hippolyte Delaveau, Saint-René Taillandier, plus tard Alfred Rambaud, Anatole Leroy-Beaulieu.

Alexandre Jauffret, Charles Baudier, Sainte-Beuve, Charles de Saint-Julien signent les articles relatifs à la littérature russe dont la parution correspond pleinement à notre période. Tous ces auteurs ont déjà fait l’objet d’une présentation détaillée chez Michel Cadot261. Nous tenons à donner des détails nouveaux sur les modes de sociabilité de ces auteurs.

Nous avons retrouvé une lettre d’Alexandre Jauffret à l’amiral Chichkov, correspondant de haut statut. Cette lettre datant du 20 février 1829 montre, dans un style plein de révérence, une admiration qui sans doute n’est pas seulement polie :

Monsieur l’amiral,

Me justifier de ma négligence auprès de vous est une chose presqu’impossible ; aussi n’adressé-je cette lettre à votre Excellence que pour lui demander de très humbles excuses pour le retard que j’ai apporté à vous remettre votre intéressant ouvrage, dont des circonstances particulières m’ont empêché et m’empêchent encore de m’occuper.

Veuillez, Monsieur, l’amiral me pardonner mon inexactitude en faveur du désir que j’avais de connaître votre ingénieux système d’étymologie et croire aux sentiments du profond respect avec lequel je suis,

Monsieur l’amiral,

de Votre Excellence,

Le très humble et très obéissant serviteur,

Saint-Pétersbourg, le 20 février 1829 A. de Jauffret

260

Ibid., p. II.

261

À Mr l’amiral de Schichkof262

Charles de Saint-Julien (1802-1869), alors collaborateur du journal francophone russe Le Furet, séjourne en Russie entre 1831 et 1846. Il travaille en tant que lecteur de littérature française à l’Université de Saint-Pétersbourg de 1831 jusqu’en 1836, ensuite, comme bibliothécaire au Musée Roumiantsov jusqu’en 1846263.

Rappelons qu’à la suite d’une rencontre avec Gogol dès son retour en France et par amitié pour Viardot, traducteur des Nouvelles de Saint-Pétersbourg, Sainte-Beuve produit un article sur l’écrivain russe.

Nous voulons enfin prêter attention à François-Adolphe Loève-Veimars (1801-1854) sur le profil duquel Michel Cadot et Charles Corbet fournissent des informations des plus amples264.

Loève-Veimars, alors collaborateur de la Revue des Deux Mondes, obtient de la part de Thiers une mission pour Saint-Péterbourg265. Loève-Veimars arrive à Saint-Pétersbourg au début de juin 1836 en compagnie du prince Élim Mechtcherski. Viazemski l’annonce à Alexandre Tourgueniev :

Леве-Веймар и Элим Мещерский едут скоро в Москву. Много народа к Вам собирается. Прощай266

!

[Loève-Veimars et Elim Mechtcherski vont aussitôt à Moscou. Il y aura beaucoup de monde chez vous. Salut !]

En Russie, Loève-Veimars réussit à faire la connaissance de Pouchkine par Viazemski : le poète lui traduisit onze chants populaires russes en français. Il a visité

262

Lettre d’Alexandre Jauffret à Alexandre Chichkov datant du 20 février 1829, RGALI, fonds 195, inventaire 1, n° 6091, fol. 33.

263

Voir В. Нечаева, « Полемика вокруг имени Пушкина во французской печати первой половины XIX

века », Литературное наследство [V. Netchaeva, « La Polémique autour du nom de Pouchkine dans la presse

française de la première moitié du XIXe siècle, l’Héritage littéraire], 1952, t. 58, p. 331.

264

Voir Michel Cadot, op. cit., p. 82 ; Charles Corbet, op. cit., p. 182.

265

Voir Faucher Jean-André et Jacquemart, Le quatrième pouvoir. La presse française de 1830 à 1960. Paris, N° hors série de L’Écho de la Presse et de la Publicité, 1968, p. 26.

266

763. Князь Вяземский Тургеневу. 7-го июля 1836. Петербург. Остафьевский архив князей Вяземских.

Переписка П.А. Вяземского с А.И. Тургеневым [763. Le prince Viazemski à Tourgueniev. 7 juillet 1836.

Saint-Pétersbourg. Les Archives d’Ostafievo des princes Viazemski. La Correspondance de P.A. Viazemski avec A.I. Tourgueniev]. Recueillie et annotée par V.I. Saïtov, Saint-Pétersbourg, édition du comte S.D. Cheremetiev, imprimerie de M.M. Stasjulevitch, île de Vassiliev, 1899, t. 3, p. 322.

également Nijni-Novgorod et Kazan, ensuite a séjourné à Moscou jusqu’à la fin d’octobre. Le 11 octobre il épousa Olga Vikentievna Galynskaïa, petite-fille du général Arséniev, ancien gouverneur de l’empereur Nicolas.

Dans sa lettre du 30 juin 1836 adressée à l’ambassadeur français à Saint-Pétersbourg Prosper de Barante, Thiers formule des recommandations pour Loève-Veimars. Cette lettre marquée par l’élégance et un certain humour montre l’intérêt que Thiers attache au talent double de ce dernier dont les services pourraient être utiles à la diplomatie française :

Vous avez à Pétersbourg. M. Loève-Veimars. Sachez bien qu’il n’a pas de mission. Ne dites pas qu’il en a et ne le laissez pas dire à Paris. Il a mission d’un entrepreneur de politique littéraire. C’est un attaché fort spirituel, fort capable de bien écrire, et qu’il est bon de maintenir dans la meilleure voie. Je vous prie de le bien traiter, de lui dire que vous avez cette mission, mais en déployant une grande prudence dans vos rapports avec lui. Nous lui envoyons une croix, dont vous lui remettrez le brevet267.

D’après les rapports faits par Iakov Tolstoï à la Troisième section, l’agent d’influence russe cherchait en France des contacts élevés et notamment celui de Thiers. Il n’est pas impossible, étant donné les relations de Thiers et Loève-Veimars, que l’agent d’influence russe ait inspiré l’idée de cette mission.

En 1838, le même Iakov Tolstoï informe Benckendorff de la publication des articles attendus parmi lesquels figurent ceux parus dans la Revue des Deux Mondes :

Deux articles remarquables ont paru dans deux recueils périodiques d’opinions diamétralement opposés : la Revue des deux Mondes et France et Europe, ils se rapportent spécialement à la Russie. Le premier article est d’un Monsieur Lefevre et le second de M. Nettement. L’auteur de celui de la Revue des deux Mondes, énumère longuement la politique suivie par la Russie en Orient, discute tour à tour le préjudice qu’elle porte aux intérêts de l’Angleterre et le peu d’avantage qu’il résulterait pour la France d’empêcher la Russie de poursuivre ses projets, et il n’hésite pas de prédire les plus grands succès à toutes les entreprises de la Russie. Il termine enfin son article par cette phrase « l’orgueil national, les intérêts de la civilisation générale, l’amour du grand porte au système russe. La France pourra choisir »268.

267

Lettre de Thiers à Barante du 30 juin 1836. Citée d’après la thèse de Tatiana Gontcharova, La Russie vue par les diplomates français (1814-1848). Thèse : Histoire : Paris, 2003, p. 216.

268

Lettre d’Iakov Tolstoï à Benckendorff datant du 23 août/3 septembre 1838, GARF, fonds 109, inventaire 4a, n° 188, fol. 178 r°.

Contenu des numéros

C’est en 1834 que la table des matières du recueil bimensuel est définitivement établie. Elle contient alors les rubriques « Sciences et Variétés », « Variétés et Nouvelles », « Variétés et Mélanges », « Essais et Notices », « Revue littéraire », « la Quinzaine », « Étude sur les travaux publics ».

La direction de la Revue des Deux Mondes s’aperçoit que « la littérature, la critique, la politique doivent acquérir en France une publicité analogue et au moins égale à celle que les revues anglaises, notamment la Revue d’Édimbourg, offraient depuis longtemps »269 à ses compatriotes. La Revue des Deux Mondes explore largement les domaines de l’histoire, de l’art, de la philosophie et de la science. Les études d’archéologie, les recherches scientifiques et surtout de nombreux récits de voyages trouvent leur place dans ses livraisons. Un intérêt accru des Français vers l’économie l’entraîne à aborder les questions industrielles et financières. La chronique de la quinzaine expose les grandes questions internationales, mais aussi les événements intérieurs dans les divers pays.

Le domaine russe

Dès le début de la parution de la Revue des Deux Mondes, la Russie fait l’objet d’études très diverses : histoire, commerce intérieur et extérieur du pays, géographie, chemins de fer, population, administration, voyages, enseignement, panslavisme, religion.

C’est en 1831 que la revue de Buloz publie le premier article littéraire signé par Alexandre Jauffret : « De la littérature russe »270. En 1837, on voit apparaître une recension de Charles Baudier sous le titre « Poètes et romanciers du Nord – II – Pouchkin »271. Sainte-Beuve272 rend compte, en 1845, des Nouvelles russes de Nicolas Gogol. L’année suivante paraît un compte rendu anonyme273 de l’article de Louis-Antoine Léouzon Le Duc : « Une saison aux bains du Caucase, traduit de Lermontoff ». Une étude substantielle de Charles de Saint-Julien, « Pouchkine et le mouvement littéraire en Russie depuis 40

269

Table générale 1831-1874, Bureau de la Revue des Deux Mondes, 1875, p. VI.

270

1831, volume 2, pp. 99-115.

271

1837, volume 3, pp. 345-372.

272

« Nouvelles russes, de N. Gogol », 1845, vol. 4, le 1er décembre, pp. 883-889.

273

ans »274, sort en 1847. Enfin, Prosper Mérimée275 fait publier sa traduction de La Dame de

pique de Pouchkine en 1849.

En 1830, sous la rubrique « Variétés et Nouvelles », on voit apparaître les titres suivants « Saint-Pétersbourg. Création d’un institut oriental », et sous la rubrique « Variétés et Mélanges » : « Commerce de la Russie avec la Chine » ainsi que l’« Accroissement du territoire et de la population russes, depuis 1476 »), enfin, « Voyage dans la Russie asiatique et aux frontières de la Chine». En 1831, le périodique publie, dans la rubrique Sciences et Variétés, l’article le « Coup d’œil statistique sur l’empire russe » et « Un Passeport pour la Russie » de J.-B. May. En 1832, paraît « Fragments d’un voyage en Sibérie » d’A. Erman.

En 1837, on voit apparaître « La France avec les grands et les petits états de l’Europe. De la Russie, 1re partie » de Loève-Veimars.

Comme à cette époque on voyageait beaucoup, on trouve de nombreux récits de voyage tels que : en 1845 « L’Altaï, son histoire naturelle, ses mines, ses habitants et le gouvernement russe. (Voyage dans l’Altaï oriental et les parties adjacentes de la frontière de Chine, de M. Tchihatcheff) » d’A. de Quatrefages. En 1847, dans la rubrique « Revue littéraire », Henri Mérimée fait publier « Une Année en Russie, Lettres à M. Saint-Marc Girardin ». En 1855, apparaît « L’Asie-Mineure d’après un voyageur russe » d’E. Dulaurier, ainsi qu’en 1874, deux articles d’Alfred Rambaud : « Sébastopol et la Chersonèse, souvenirs de voyage », « Kief et le Congrès archéologique, souvenirs de voyage » et l’article de Jules Patenotre « Un voyage d’hiver au Caucase. — De la Mer-Noire à la mer Caspienne ». L’apparition du chemin de fer facilita les voyages et fut à l’origine des deux publications : « La Russie et ses Chemins de Fer » d’E. Barrault, en 1857, et « Les chemins de fer en Russie » de H. Blerzy, en 1873, dans la rubrique « Études sur les travaux publics ».

En 1842, puis de 1844 à 1846, sous la plume de Cyprien Robert une série d’études économico-politiques sur « le monde gréco-slave ». Il y étudie « le mouvement unitaire de l’Europe orientale », « le système constitutionnel et le Régime despotique dans l’Europe orientale », « l’enseignement des littératures slaves » et la question du panslavisme et de la « situation des peuples slaves vis-à-vis de la Russie ».

Les différentes régions de la Russie et leurs climats ont été étudiés : « La Russie du Midi et la Russie du Nord » par X. Marmier (1841). En 1842 une série de quatre articles

274

1847, volume 4, p. 42-79.

275

intitulée « La Russie en 1842 » fut écrite par Xavier Marmier : « Finlande, Saint-Pétersbourg, la Société russe », « Moscou », « Le Couvent de Troïtza, le Clergé russe», « Varsovie et la Pologne sous le régime russe… ».

Dans le domaine de l’administration et de la société russe on relève: « Des établissements russes dans l’Asie occidentale, guerres de Perse et de Turquie », de E. De Cazalès (1838). On parle aussi de la religion au travers des articles : « Moscou ; le Clergé russe », de X. Marmier (1843). La politique étrangère a comme représentant pour l’Angleterre John Lemoinne « Les Anglais et les Russes dans le Caboul » (1842).

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’équipe du célèbre périodique continuera à implanter et à populariser les œuvres russes auprès de son lectorat français. Dès la fin des années 1850 et au début des années 1870, Ivan Tourgueniev collaborera activement à la

Revue des Deux Mondes et y fera publier ses œuvres : Moumounia (1856), Anouchka, souvenirs des bords du Rhin (1858), Les Trois Rencontres, souvenirs de chasse et de voyage (1859), Apparitions (1866), L’aventure du lieutenant Yergounov (1868), Étrange Histoire (1870) et Le Roi Lear de la steppe (1872). En 1886, la Revue des Deux Mondes

publiera une série d’études littéraires d’Eugène-Melchior de Vogüé intitulée « Le roman russe ». Comme le remarque Claude De Grève, « il a marqué jusqu’à nos jours une bonne partie de la réception de la littérature russe en France »276.

Nous revenons aux articles de Jauffret (1831), Baudier (1837) et Saint-Julien (1847) parus à des dates différentes. À travers leurs études, nous aperceverons la diversité de regards sur la littérature russe proposée par la Revue des Deux Mondes.

L’article de Jauffret qui ouvre la « campagne russe » de la Revue des Deux Mondes s’efforce d’être panoramique. Dans un style métaphorique et souvent mondain, Jauffret se montre bienveillant pour la Russie, qu’il range dans la sphère du « Nord ». Il établit le parallèle entre le « Nord » et l’Occident non sans une certaine suffisance et avec une légère indulgence pour le progrès culturel de la Moscovie. Même si Jauffret ne s’engage pas nettement sur le plan idéologique, il est très proche du monarchisme de la Restauration, en conférant aux empereurs une fonction essentielle dans le développement intellectuel en

276

Claude De Grève, « Problèmes spécifiques de la réception de la littérature russe en France », Revista de Filologia Francesa, 7. Servicio de Publicaciones. Univ. Complutense, Madrid, 1995, p. 121.

Russie. Cette approche s’exprime à la fois avec sérénité et modération et nous renvoie au tout début de la Monarchie de Juillet.

Dans l’émergence du mouvement littéraire russe d’après Pierre le Grand, il voit la contribution dominante de la littérature classique et particulièrement française ; cette dernière étant explicitement considérée comme une sorte de norme universelle. Quant à la qualité de son information, Jauffret utilise des connaissances de deuxième main : en jugeant la plupart des écrivains russes, il emploie l’expression « se faire connaître » (à propos de Kapnist et Karamzine) ou fréquemment le pronom « on » ; il dresse aussi un riche répertoire des œuvres et traductions mineures parfois inédites au moment de la parution de son article. Jauffret semble traiter la littérature en général comme un art d’agrément.

L’étude de Charles Baudier (1837), postérieure de six ans à l’article de Jauffret (1831) propose un point de vue radicalement différent. Conçue à l’occasion de la mort de Pouchkine, elle embrasse rapidement le mouvement littéraire russe qui conduit à l’œuvre de celui-ci. Baudier introduit, non sans finesse, une vive critique politique touchant le « despotisme » tsariste ; ce concept apparaîtra comme leitmotiv obsédant dans l’article de la Revue Indépendante fait par Chopin. En faisant de l’œuvre posthume de Pouchkine l’objet principal de son article, Baudier jette un coup d’œil rétrospectif sur le mouvement