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REVUE DES LITTÉRATURES : ÉTAT DE LA RECHERCHE EN PSYCHANALYSE ET EN SCIENCES DE L'ÉDUCATION SUR L'ÉCRITURE

À la problématisation de mon objet de recherche, présentée ci-dessus, précéda un nécessaire état des lieux des travaux existant sur l’écriture, en psychanalyse, en sciences de l’éducation et en approche clinique d’orientation psychanalytique en sciences de l’éducation, dont je propose de rendre compte ici. L’état des lieux des recherches sur l’écriture des éducateurs spécialisés sera quant à lui présenté dans une partie suivante82.

État de la recherche clinique et psychanalytique sur l'écriture

Depuis S. Freud, la psychanalyse s'intéresse à l'écriture et aux écrits, tant au niveau de la pratique scripturale et des écrits produits (écriture et écrits littéraires, écriture des théories psychanalytiques, écriture de l'analyste et de l'analysé dans le cadre de la cure) qu’au niveau symbolique, relatif à l'inscription (dont l'inscription psychique) et à la mise en récit. C. Barré- de-Miniac83 (2000) soutient que « même si l'écriture n'est pas un thème central pour la psychanalyse, c'est sans doute dans ce champ qu'est abordée le plus directement cette question des liens entre rapport à l'écriture et rapport au monde »84.

S. Freud accorde un grand intérêt à l'écriture et aux écrits, à la fois en tant que lecteur, scripteur et psychanalyste. Son « amour sensuel du mot », sa « joie de donner forme »85 aux textes, seront notamment étudiés par W. Muschg86 (1930). Dans son discours « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud », J. Lacan87 rappelle que « Freud a

maintenu constamment et jusqu’à sa fin l’exigence première de cette qualification (littéraire) pour la formation des analystes, et qu’il a désigné dans l’universitas litterarum de toujours le lieu idéal pour son institution »88. Grand lecteur et écrivain prolifique, S. Freud se questionne à propos de son écriture, se demande notamment s'il réussit à travers elle (par son style et ses modes d'adresse) à transcrire et à transmettre la théorie psychanalytique au plus proche de ce qu'il souhaite en énoncer. Ainsi, dans une lettre à W. Fliess (1969)89, il écrit : « il y a, caché quelque part en moi, un certain sentiment de la forme, une appréciation de la beauté, c'est-à-

82

Cf. partie « Places et enjeux de l'écriture et des écrits dans les évolutions de la profession d'éducateur spécialisé », p. 94.

83 Professeu de s ie es de l’ du atio 84

Barré-de-Miniac, C. (2000). Le appo t à l’ itu e : aspe ts th o i ues et dida ti ues. Ville euve d’As : P esses universitaires du septentrion, p. 28.

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Muschg, W., Schotte, J. (1930). Freud écrivain. Paris : Hermann (2012).

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Historien de la littérature

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Psychiatre et psychanalyste

88 La a , J. . L’i sta e de la lett e da s l’i o s ie t ou la aiso depuis F eud. Da s Écrits (p. 490-526), Paris : Seuil

(1999).

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dire d'une sorte de perfection et les phrases entortillées qui, dans mon livre sur les rêves, s'étalent avec leurs circonlocutions mal ajustées à la pensée, ont gravement heurté l'un de mes idéaux ». Ces réflexions sur sa propre écriture occupent une place importante dans l'auto- analyse et dans les écrits de S. Freud. Il admire, envie parfois, en comparaison à sa propre écriture, l’œuvre d'écrivains, dont celle de S. Zweig. Dans les débuts de la psychanalyse, il soutient que les procédés littéraires, et notamment certaines figures de rhétorique telle que la métaphore, la métonymie, le déplacement, la déformation, sont tout indiqués pour l'écriture des théories psychanalytiques, avant de leur préférer ce qu'il nommera l’élaboration scientifique. Dans sa manière même de théoriser et d'écrire la psychanalyse, S. Freud aurait déplacé les cadres et les séparations existants entre élaboration et écriture scientifique et littéraire : « Freud invente une nouvelle manière de faire de la science. Il propose ce même grand écart que certains historiens revendiquent aujourd'hui : et la science et la littérature. »90 L'écriture des théories psychanalytiques participe de leur création, l'écriture du psychanalyste est déjà un acte d'analyse. S. Freud, inventant la psychanalyse, spécule, dit J. Derrida (1980)91, « mais cela se fait de, dans, l'écriture ». La spéculation « c'est aussi l'opération de son écriture, la scène de ce qu'il fait en écrivant ce qu'il écrit ». L’écriture est pour S. Freud un support à la pensée : « la rédaction de ses travaux ne constitue pas la dernière phase d'une recherche élaborée ailleurs, la mise au net finale, nécessaire pour communiquer ses résultats au public. C'est le cours de l'écriture avec ses méandres, ses barrages, ses crues soudaines, ses affluents multiples et ses deltas, qui engendre l’œuvre »92. Ainsi, l’écriture du psychanalyste

est « productrice d'analyse. Elle fabrique, elle est « factor » »93. Cette écriture nécessite, pour S. Freud, de travailler avec sa propre subjectivité de chercheur et d'écrivant. Ce constat l'aurait tout d'abord déstabilisé, lui médecin, habitué à l'objectivité de la pensée et de l'écriture scientifique, mais l'élaboration des théories psychanalytiques et leur écriture est à ce prix. Il explique ainsi que « pour communiquer mes propres rêves, il fallait me résigner à exposer aux yeux de tous beaucoup plus de ma vie privée qu'il ne me convenait et qu'on ne le demande à un auteur qui n'est point poète, mais homme de science »94.

90

Flem, L. (1998). Freud, poète de l'inconscient. Alliage, 37-38 [en ligne : https://www.tribunes.com/tribune/alliage/37- 38/flem.htm, consulté le 24/02/2016]

91

Derrida, J. (1980). La carte postale, de Socrate à Freud et au-delà. Paris : Flammarion (2005).

92

Flem, L., op. cit.

93

Derrida, J. (1980), op. cit.

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En parallèle aux réflexions sur l’écriture de la psychanalyse et du psychanalyste, la littérature devient, pour S. Freud, un objet d’investigation95, et le restera à sa suite pour de nombreux

psychanalystes96. Différents concepts psychanalytiques dérivent de l'étude de l'écriture littéraire, ou se retrouvent dans celle-ci. Parmi eux, les processus primaires, qui « visent à permettre aux contenus fantasmatiques inconscients de contourner la censure et de trouver une issue dans la vie représentative, celle du rêve en particulier mais aussi celle des productions artistiques »97, et les processus secondaires, qui « s’expriment dans les activités de la pensée vigile, [...] ceux qui président à la rationalité du travail de création » ; mais aussi la condensation (un personnage de fiction regroupe les caractéristiques de plusieurs personnes réelles), le déplacement (à la base de la métonymie), la symbolisation (à la base de la métaphore), l’identification et la projection (nécessaires à l'écrivain et au lecteur pour apprécier une œuvre), et la sublimation au travers du processus créatif, socialement valorisé. Dans une grande partie de l’œuvre freudienne98, le thème de l'écriture (réelle et symbolique)

restera présent. De plus, il envisage les rêves comme un système d'écriture, des rébus, des récits à prendre, comme le dira plus tard J. Lacan, « à la lettre » ; ceux-ci renvoient à une autre forme d'écriture (ou d’inscription), psychique cette fois. J. Lacan (1957), étudiant les travaux de S. Freud, insistera sur la présence dans le rêve et dans le récit de la « même structure littérante […] où s’articule et s’analyse le signifiant dans le discours »99.

Le langage et l'écriture (réelle ou symbolique) sont également étudiés dans le cadre de la cure analytique. Du côté du patient, l'inscription des traces mnésiques et leurs re-transcriptions, le refoulement, pensé comme « défaut de traduction ou de transcription de matériaux

95

Notamment Freud, S. (1907). Le délire et les rêves dans la « Gradiva » de W. Jensen. Dans Œuv es o pl tes. Psychanalyse (p. 39-134), VIII, 1906-1908. Paris : puf (2007).

96 S'agissa t des t avau t aita t de l' tude d'auteu s et d’œuv es de fi tio et de la pla e de l' itu e da s les œuv es de

fi tio , il a les ouv ages et a ti les ui tudie t des œuv es litt ai es pa le p is e de la ps ha al se ota e t eu de Chouvier, B. (2016), Decant, F. (2012), Enriquez, E. (2016), Rossignol, M. (2007)) ; ceux qui étayent des théories ps ha al ti ues su des auteu s ou œuv es de fi tio , is e positio de « as d' tude » ota e t eu de Chouvie , B. (2009), Grossman, E. (2014), Prieto, G. (2013)) ; et ceux qui tentent de faire des liens entre écriture psychanalytique et écriture de fiction (notamment ceux de André, S. (2015), Lebrun, J.-P. & Malinconi, N. (2015)). Parmi les revues de psychanalyse, Cahiers jungiens de psychanalyse n°67 (1990), « analyse et création » ; Le Coq-héron n°185 (2006), « Psychanalyse et littérature », Le Coq-héron n°202 (2010), « Arts et psychanalyse », Le Coq-héron n°219 (2014), « s'écrire » ; Imaginaire & Inconscient n°19 (2007), « Les figures du mal en littérature » ; Adolescence tome 26 n°2 (2008), « Arts et littérature » ; Psychanalyse n°19 (2010), « Joyce, le père et ses noms » ; Revue française de psychanalyse n°63 (2010), « Marcel Proust visiteur des psychanalystes » ; Quarto n°101- , « L’a t est u e hose a e » ; Topique n°118 (2012), « Le psychanalyste, lecteur de l'écrivain » ; Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe n°66 (2016), « Groupes et processus de création ».

97

Martin Kamieniak, I. (2010). Freud et la littérature. Mag philo, 25, [en ligne : http://www.cndp.fr/magphilo/index.php?id =21, consulté le 15/02/2016]

98

Notamment dans Psychopathologie de la vie quotidienne (1901, 1922), Le ot d’esp it et sa elatio à l’i o s ie t (1905, 1930), L’i ui ta te t a get et aut es essais (1908, 1985), Résultats, Idées, Problèmes (1911, 1984), L’Ave i d’u e illusio (1927, 1973), « Note sur le "Bloc-notes magique" » (1925, 1985), L'homme Moïse et la religion monothéiste (1939, 1993)

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psychiques »100. Du côté de l'analyste, le contre-transfert, qui traduit et transforme les projections, les identifications et les identifications projectives du patient.

Après S. Freud, nombre psychanalystes et chercheurs en sciences humaines ont étudié et continuent d’étudier l'écriture des théories psychanalytiques, la place du langage et de l'écriture dans la cure, les concepts psychanalytiques mis au jour dans l'écriture et les écrits. Certains traitent de l'écriture des théories psychanalytiques au travers de l'étude de l'écriture et des écrits de S. Freud. Ces études se consacrent, d'une part, aux relations épistolaires prolixes de S. Freud101. Ces correspondances, qui participèrent à l'invention des théories psychanalytiques et rendent compte de ses évolutions, ont pour la plupart été publiées, et sont citées dans la bibliographie de S. Freud de I. Meyer-Palmedo et G. Fichtner (1999)102. Ces études se consacrent, d'autre part, à l'écriture de S. Freud103, à son style, à la construction de ses textes, à ses procédés s'inspirant à la fois de l'écriture médicale et des cheminements de pensée de la psychanalyse avec, en toile de fond, son admiration pour l'écriture poétique et ses potentialités d'expression sensible. D’autres traitent de l'écriture des théories psychanalytiques au travers de l'étude de l'écriture de la psychanalyse et des psychanalystes au sens large104. Les revues de psychanalyse accordent également une place non négligeable à ce thème105. Des travaux de psychanalystes prennent pour objet la place du langage et de l'écriture dans la

100

Amati-Mehler, J. (2009). Inscription psychique et trace mnésique. Revue Française de psychanalyse, 73, p. 2.

101 Relatio s pistolai es u’il e t eti t, ota e t, ave des o f es W. Fliess, C. G. Ju g, M. Eiti go , K. A aha , S.

Ferenczi, E. Jones, L. Binswanger, O. Pfister, L. Andreas-Salomé), avec des écrivains (S. Zweig, A. Zweig), et avec des membres de sa famille, notamment sa fiancée M. Bernays et l'une de ses filles, A. Freud.

102

Fichtner, G., Meyer-Palmedo, I. (1999). Freud-Bibliographie mit Werkkonkordanz. Vienne: S. Fischer.

103

À propos de l'écriture de S. Freud, pour n'en citer que quelques-uns, les textes de Bonnat, J.-L. (1986), Derrida, J. (1967), Gomez Mango, E. & Pontalis, J.-B. (2012), Lacoste, P. (1981), Muschg, W. & Schotte, J. (1930), Roustang, F. (1980), Sauverzac, J.-F. (2007), Stein, C. (2011).

104

Parmi eux, les actes de deux colloques de Cerisy : « Écriture(s) et psychanalyse : quels récits ? » sous la direction de Abel, F. et Petit, M. (6-13/07/2011) ; et « L'écriture du psychanalyste » sous la direction de Chiantaretto, J.-F., Matha, C. et Neau, F. (2-9/07/2016) ; et quelques ouvrages et articles, notamment ceux de Alfandary, I. (2016), De Mijolla-Mellor, S. (2006), Gantheret, F. (2010), Harpman, J. (2011), Munari, F. (2004).

105

Parmi les numéros de revues de psychanalyse consacrés à l'écriture de la psychanalyse et des psychanalystes : Revue française de psychanalyse Vol. 74 (2010), « Écrire la psychanalyse » ; Essaim ° , « Ce ue l’o doit à lala gue », Essaim n°33 (2014), « La jungle de la littérature analytique » ; Nouvelle revue de psychanalyse n°16 (1977), « Écrire la psychanalyse » ; quelques articles de la revue Le carnet Psy, consacrés à l'écriture ; Adolescence tome 4, n°1 (1986) « Écrire » ; Le Coq-héron n°204 (2011), « Les psychanalystes et leurs écrivains : un maillage intime » ; et la revue Ornicar ?, qui consacrent plusieurs articles au thème de l'écriture.

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cure106, d’autres encore les concepts psychanalytiques mis au jour dans l'écriture et les écrits107.

Écriture, langue et langage occupent également une grande place dans les travaux de J. Lacan. Pour ce psychanalyste matérialiste, le langage est premier : la réalité ne peut être atteinte que par les mots, « c'est le monde des mots qui crée le monde des choses »108. Plusieurs de ses textes traitent de l'écriture, de ses pratiques et de ses fonctions109. La notion de « lettre » occupe une place centrale dans ses théories. Elle évolue au fil de son œuvre et est utilisée pour penser différents mécanismes : la nomination, sa fonction essentielle, mais aussi l'inscription des processus inconscients (J. Lacan dit que l'inconscient est « structuré comme un langage », dans le sens où il est l' « équivalent du refoulement », « le témoin du passé et prouve, par le mécanisme du retour dans le présent (retour du refoulé), les marques de ce qui reste ineffaçable »110). Ainsi, l'inconscient peut se lire, se déchiffrer. À propos du rêve, qui utiliserait « la langue de l’inconscient »111, J. Lacan (1957) évoque un « effet de signification

qui est de poésie ou de création »112, de type métaphorique (c'est-à-dire substituant un terme par un autre, plus imagé) et métonymique (c'est-à-dire désignant un tout par une partie, un contenu par un contenant). La métaphore et la métonymie, rencontrées dans le rêve, dans le lapsus, dans le symptôme, viendraient dire quelque chose du désir et du manque chez le sujet. Les éléments de langage se manifestent « comme l’envers dont les mécanismes de l’inconscient serait l’endroit, [...] ce sont les figures mêmes qui sont en acte dans la rhétorique du discours effectivement prononcé par l’analysé »113. L'inconscient peut également s'inscrire

différemment grâce à la cure analytique, qui procède, pour l'analysé, d'une opération d’écriture. La cure est ainsi ordonnée « en fonction du chiffrage (qui est de l'ordre d'une

106

Parmi eux, ceux de Altounian, J. (2012), Askofare, S. & Pellion, F. (2011), Guiffes, M. (2011), Llopis-Salvan, N. (2010). Parmi les revues de psychanalyse, le n°22 de la revue Psychanalyse (2011), « L'interprétation - Le père et ses noms » ; le n°62 de la Revue française de psychanalyse (2010), « Le narratif » ; le n°189 de la revue Le Coq-héron (2007), « L'expérience analytique en tant qu'expérience poétique » ; et le n°108 de la revue Topique (2009), « Histoires de patients », regroupent plusieurs articles prenant pour thème l'écriture.

107

Parmi eux, ceux de Altounian, J. (2003), Amati-Mehler, J. (2009), Cadoux, B. (1999), Clancier, A. (1992). Parmi les revues de psychanalyse : Revue française de psychanalyse n°58 (2010), « Compulsions du vide, compulsions de création » ; Libres cahiers pour la psychanalyse n° 27 (2013), « En deçà des mots ».

108

Lacan, J. (1956). Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse. Dans Écrits, Paris : Seuil (1999), p. 276.

109

Notamment Le Séminaire II, Le moi dans la théorie de Freud (1954-1955) ; « La lettre volée » (1955, 1966) ; « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse » (1956, 1966) ; Le S i ai e IV, La elatio d’o jet (1956-1957) ; « L'instance de la lettre dans l'inconscient selon Freud » (1957, 1966) ; Le Séminaire XI , les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse (1964) ; Lituraterre (1971) ; Le Séminaire XIX, ... ou pire (1971-1972) ; L'étourdit (1972) ; Le Séminaire XX, Encore (1972-1975) ; Conférence « La troisième » (1974).

110

Izcovitch, L. (2010). Lettre et nomination. Figures de la psychanalyse, 19, p. 83.

111

Le Bellec, V., Susi , P. . « La fo tio de la lett e hez le po te et l’e fa t e diffi ult : u Coup de Dés dans la p dagogie de l’ it », La ouvelle evue de l’adaptatio et de la s ola isatio , 54, 67-80.

112

Lacan, J. (1957), op. cit.

113

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écriture) et du déchiffrage de l’inconscient »114. Dans certains travaux de J. Lacan115, la

« lettre » est pensée en tant que pur signifiant, soit « l’unité de base du langage »116. Le

« signifiant » est alors entendu dans une acception très large : il regroupe les éléments de la langue, mais aussi « tout ce qui est susceptible d'entrer dans un système clos et de s'y comporter différentiellement [...] : « objet, relation, actes symptomatiques », ainsi que « toute représentation » »117. Plus tard, dans d’autres travaux118, la « lettre » est abordée dans son

rapport à la jouissance, à l'objet a, qui est l'objet correspondant au désir. J. Lacan s'intéresse également à l'écriture littéraire. Il pose certains usages littéraires du langage comme symptôme – en 1975, il crée le terme « sinthome », pour désigner un symptôme qui permet au sujet de créer des liaisons psychiques. Enfin, il utilise différents types d'écriture, certains se rapprochant de l'écriture mathématique : les graphes (schémas représentant des fonctionnements psychiques) et les mathèmes (formalisations algébriques des concepts psychanalytiques).

C. Gustav Jung119 s'intéresse lui aussi à l'écriture, de son rapport à la conscience et à la libido. Dans Sur l’interprétation des rêves (1998), ouvrage de synthèse qui rassemble ses notes de

séminaire de 1936 à 1941, on peut lire que « la naissance de l’écriture marque aussi la naissance d’une conscience réflexive »120. La psychologie analytique de C. Gustav Jung

trouva des applications dans la graphologie, science qui permettrait selon lui de distinguer des « types psychologiques » par l'observation des écritures, où s'exprimerait la libido.

L’œuvre de D. Anzieu121 compte plusieurs ouvrages et articles traitant du processus créateur

chez les artistes, dont le processus d'écriture122, et de la fonction de sublimation. Il étudie notamment l’œuvre de S. Beckett.

La thématique du langage et de l'écriture, dans l'acception la plus large de ces thèmes, est centrale dans les travaux de plusieurs psychanalystes contemporains.

Parmi eux J. Attié123, qui, dans ses ouvrages et articles sur l'écriture124, propose une relecture des théories de J. Lacan et de J.-A. Miller. Il s’intéresse à ce que l'écriture vient dire d'une

114

Izcovitch, L., op. cit., p. 83

115

Notamment dans Lacan, J. (1955). Le séminaire sur « la Lettre volée ». Dans Écrits (p. 11-64). Paris : Seuil (1999).

116

Lacan, J. (1956-1957). Le S i ai e IV : La elatio d’o jet. Paris : Seuil (1994).

117

Ibid., p. 289.

118

Lacan J. (1971). Lituraterre. Dans Autres écrits (p. 11-22). Paris : Seuil (2001).

119

Psychiatre et psychologue, fondateur de la psychologie analytique

120

Jung, C. G. (1998). Su l’i te p tatio des ves. Paris : Albin Michel, p. 205.

121

Psychanalyste

122

Notamment Le o ps de l'œuv e, essais psychanalytiques sur le travail créateur (1981) ; Beckett and Bion (1989) ; Beckett et le psychanalyste (1992) ; et La Sublimation, les sentiers de la création (1997).

123

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recherche des origines, et à la sublimation, notamment au travers de l'étude d’œuvres littéraires, principalement celles de S. Mallarmé, de L. Aragon, de M. Leiris et de P. Quignard. Il s’intéresse également à la parole, faisant fonction d'écriture dans le cadre de la cure analytique.

G. Pommier125 consacre des ouvrages126 et articles127 à l'écriture. Il étudie les liens entre parlé et pulsion128 orale, la nomination, la fonction du nom propre, et, dans la continuité des théories freudiennes sur l'ontogenèse et la phylogenèse, l'invention et l’évolution de l'écriture dans les sociétés humaines, en proposant un parallèle entre histoire collective et vécus subjectifs. Il postule d'une « poussée vers l’écriture »129, d'un « désir d’écrire en quelque sorte

primitif […] (qui) répond à la contrainte de répétition, […] (qui) explicite l’écriture de l’inconscient elle-même […] au titre d’un retour du refoulé »130 et d’une « jouissance de

l’écriture »131, plus ou moins présente ou inhibée chez les sujets, allant du plaisir d'écrire aux

troubles de l'écriture. À ce titre, il propose des réflexions sur le symptôme dyslexique.

Parmi les travaux de J.-P. Lebrun132 se retrouvent des articles133 et un ouvrage134 traitant du langage et de l'écriture, et particulièrement de la nomination.

J.-F. Chiantaretto135 étudie, dès sa thèse de doctorat de psychologie136, les fonctions de l'écriture – dont l'écriture autobiographique – dans l'élaboration et la résolution de traumatismes psychiques, l'interlocution interne et la fonction de l'autre dans le récit de soi, le statut du langage et de la parole dans la construction du « Je ». Il rend compte de ces théorisations dans de nombreux ouvrages et articles137.

124

« Le DIT/L'ÉCRIT » (1977), « Ce jeu insensé d'écrire » (1999), « Écriture et réel » (2012), Entre le dit et l'écrit. Psychanalyse et écriture poétique (2015).

125

Psychiatre et psychanalyste

126

Naissance et renaissance de l'écriture (1993) et Le nom propre. Fonctions logiques et inconscientes (2013).

127 Notamment Peut-o pa le d’u d si d’ i e « p i itif » ?

; « Donner, recevoir, rendre »... le Nom Propre (2011a) ; R ip o it du do du o et u ive salit de l’appellatio « Ma a » et « Papa » 1b) ; La course contre la montre du lapsus (2012) ; La po tuatio « œdipie e » des ph ases No de Dieu ! Putai ! Me de .

128« P o essus d a i ue o sista t da s u e pouss e … , ui fait te d e l'o ga is e ve s u ut ». Lapla he, J.,

Pontalis, J.-B., op. cit., p. 359.

129 Pommier, G. (2010). Peut-o pa le d’u d si d’ i e « p i itif » ? Essaim, 24, p. 87. 130 Ibid., p. 88. 131 Ibid., p. 87. 132 Psychiatre et psychanalyste 133

« Malaise dans la subjectivation ou « Nommer à » équivaut-il à une virtualisation du Nom-du-Père ? » (2001) ; « Changer de nom : manquer à perdre » (2004).

134

Lebrun, J.-P., Malinconi, N. (2015). L'altérité est dans la langue, psychanalyse et écriture. Toulouse : érès.

135

Psychologue, psychanalyste et Professeur de psychologie

136

Chiantaretto, J.-F. (1993). Psychanalyse et écriture : la question de l'autobiographie. Thèse de Doctorat de psychologie. Université Paris 7.

137

Notamment De l'acte autobiographique. Le psychanalyste et l'écriture autobiographique (1995) ; Écriture de soi et narcissisme (2002); Le témoin interne. Trouver en soi la force de résister (2005) ; « La confiance dans les mots : la parole da s l’ itu e de soi, l’ oute de soi da s la pa ole » (2010); Trouver en soi la force d'exister. Clinique et écriture (2011) ; Blanchard-Laville, C., Dubois, A. (2010). Entretien avec Jean-François Chiantaretto. Cliopsy, 10, 141-155.

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État de la recherche en sciences de l'éducation sur l'écriture

Les recherches menées en sciences de l'éducation sur l'écriture et les écrits traitent principalement de huit thématiques. Premièrement, l'apprentissage de l'écriture par l'enfant (graphie, orthographe et grammaire138, didactiques139, rédaction de types d'écrits scolaires particuliers140, liens entre lecture et écriture141) et plus rarement par l'adulte142. Des ouvrages et articles rendent compte à ce propos de travaux de chercheurs en sciences de l’éducation143,

de linguistes et sociolinguistes144, de didacticiens, de psychologues et psychanalystes145, et de professeurs de littérature146. Deuxièmement, l'enseignement de l'écriture, ses modalités et ses cadres. Parmi ces travaux, ceux de chercheurs en sciences de l'éducation147, mais aussi de didacticiens148, de sociologues149, et de professionnels de l’éducation150. Des numéros de