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PRISE DE CONTACT ET DÉROULEMENT DE L’ENTRETIEN Prise de contact

DES ENTRETIENS CLINIQUES DE RECHERCHE

2.1.1 PRISE DE CONTACT ET DÉROULEMENT DE L’ENTRETIEN Prise de contact

J'entre en contact avec Fanny par le biais d'Aline, ancienne collègue d'ateliers d'écriture à qui j’ai parlé de ma recherche d’éducateurs à interviewer. Elle suit une formation universitaire en management associatif, où elle a rencontré Fanny. Aline me présente Fanny en ces termes : « je t’ai trouvé une éduc très sympa », puis nous envoie un mail groupé : « Céline fait sa thèse et a besoin d'interviewer des éducs, Fanny a l'esprit associatif donc est ok pour se laisser interroger. Bonne rencontre à vous deux ! ». Par mail, je me présente à Fanny en tant qu’ « étudiante en 1ère année de doctorat en sciences de l'éducation à l'université René Descartes », réalisant une thèse « qui porte sur le travail social ». La réponse de Fanny arrive le lendemain, et commence par : « je suis contente de rencontrer une doctorante en sciences de l'éducation d'une autre université car je finis un master 2 dans le même domaine mais à l'université Paris 8 ». À ce moment-là, je ne me demande pas si Fanny est en poste d’éducatrice – ce qui est un de mes critères de sélection des personnes à interviewer – le fait qu’Aline me l’ait présentée comme « une éduc » me suffit. Toutefois, les propos de Fanny m’interrogent sur ses attentes quant à notre rencontre : elle semble rechercher un échange sur nos parcours d’études en sciences de l’éducation, ce qui déborderait du cadre d’un entretien clinique de recherche. À la fin de son mail, Fanny demande : « est-ce que vous pouvez m'en dire un peu plus sur votre sujet de recherche et sur le type d'entretien que vous menez ? » Je réponds travailler « d'une manière générale sur les évolutions des professions du travail social » et mener « des entretiens thématiques non directifs ». Fanny ne pose pas plus de questions. J'accepte la date et l’horaire d'entretien qu’elle me propose, elle opte pour que nous nous retrouvions à l’université, où je lui ai indiqué pouvoir disposer d’un bureau. L’entretien a lieu trois jours après cet échange de mails, le mercredi 13 février 2013, à 15h.

Déroulement de l’entretien

J’attends Fanny devant l’université. Ma première pensée en la voyant arriver porte sur sa tenue vestimentaire : « elle est habillée comme une éduc », et ce n’est pas une pensée flatteuse à son égard. Au moment de l’analyse, j’émets l’hypothèse que cette pensée fait écho à mon

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désir de ne pas trouver, comme Fanny elle-même semble le désirer, de point de rapprochement entre nous (notamment au niveau de nos actuelles études en sciences de l’éducation), mais plutôt de me différencier d’elle. De plus, cette pensée (« elle ressemble à une éduc ») me permettrait de la resituer à la place qu’elle occupe pour moi dans cet entretien : celle d’une éducatrice, et non d’une étudiante à l’université. Par ce jugement sur son style vestimentaire, il me semble que je juge plus largement le style – vestimentaire mais aussi de pensée, les manières d’agir – des éducateurs en général. Tout se passe comme si ce style reflétait, à mes yeux, un manque d’organisation, de soin, de cadre, qui me déplaisait chez les travailleurs sociaux lorsque j’étais éducatrice. Fanny arrive à ma hauteur, nous nous saluons, je la trouve joviale et souriante, aimable, sentiment que je garderai d’elle tout au long de notre entrevue.

L’entretien se déroule dans l’un des bureaux mutualisés que l’université met à disposition des enseignants, et que les doctorants peuvent occuper. Il s’agit d’une très petite pièce meublée d’un grand bureau et deux chaises. J’ai disposé les sièges de manière à ce que Fanny et moi soyons face à face sans être séparées par l'imposant bureau. Fanny semble à l'aise, je le suis. Son discours m'intéresse grandement, je le trouve très riche. Au cours de cet entretien, les silences – que je ressens comme étant réflexifs – ne me semblent pas pesants, ni pour elle ni pour moi. S'installe entre nous un jeu de regards qui fait pour moi la partition entre les silences réflexifs, à la suite desquels elle va reprendre d’elle-même la parole, et les silences suite auxquels elle désirerait ou attendrait que je fasse une relance. À la fin de l'entretien je la raccompagne aux portes de l'université, nous parlons de choses sans importance (des locaux de l’université, de la météo clémente). Elle ne pose pas de question sur la suite de ma recherche, nous nous séparons cordialement.

Interventions et relances durant l’entretien

Durant cet entretien, j’interviens verbalement à 23 reprises, dont 19 interventions que je qualifie de « relances » (les 4 autres étant des acquiescements aux propos de Fanny, une phrase récapitulative de ses propos précédents, et une formule de politesse).

Au moment de l’analyse, je prête particulièrement attention à certaines de mes relances, qui viennent en écho aux propos de Fanny sur son parcours d’études. Elles appellent par moments des éclaircissements sur ce parcours : « et vous pouvez un peu m’parler peut être de votre

parcours euh / / scolaire et d’formation / / / avant » l.303, « et actuellement / donc vous dites

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maintenir le discours sur le thème des pratiques d’écritures et sur la manière dont elles prennent place dans le parcours scolaire, étudiant et professionnel de Fanny : « et / vous disiez

/ dans une formation / j’sais plus laquelle / qu’vous deviez écrire des / des espèces d’études de cas c’est ça » l.391. Après-coup, cette dernière relance me semble venir attaquer ou dénigrer

cette reprise d’études, par l’utilisation des expressions « j’sais plus laquelle » et « des espèces

d’études de cas ». Le caractère haché du parcours d’études et d’emplois de Fanny fait écho au

mien, et je me demande si, en attaquant ou dénigrant ces revirements de son parcours, ce n’est pas le mien que j’attaque ou dénigre. Mon lien à Fanny me semble ambivalent : y alternent des désirs de me différencier d’elle (ou du moins de ne pas répondre à son potentiel désir de trouver entre nous des points de similitude, de rapprochement), mais aussi des reconnaissances de comparaisons – et donc de rapprochement – possibles. Fanny fût éducatrice et est maintenant étudiante à l’université, je l’interviewe en tant qu’éducatrice, sa reprise d’études est pour moi à la fois attaquante (nous sommes comparables) et valeureuse (elle a choisi, comme moi, de quitter le milieu du travail social).

Hormis deux relances qui portent sur son parcours scolaire, universitaire et professionnel, toutes les autres sont axées sur ses pratiques d’écriture, sur ses expériences vis-à-vis de l’écriture et des écrits. La plupart visent à lui faire déplier, expliciter des expériences dont elle me parle, et à l’amener à centrer ses propos sur ses expériences propres (j’utilise notamment les expressions « ça s’passait comment pour vous » l.102, « vous en pensez quoi vous » l.435). Mes interventions prennent la forme de questions ouvertes (à 8 reprises), de questions avec énoncé d’hypothèses (à 6 reprises), de demandes de précisions à propos d’énoncés précédents (à 4 reprises), et de simple reformulation.