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LA REVOLUTION IRANIENNE DE 1979 ET SON IMPACT SUR LE PROGRAMME NUCLEAIRE IRANIEN

L’HISTOIRE DE LA COOPERATION NUCLEAIRE FRANCO-IRANIENNE

1.3. LA REVOLUTION IRANIENNE DE 1979 ET SON IMPACT SUR LE PROGRAMME NUCLEAIRE IRANIEN

Le Président Carter voulait bien d'un régime anti-américain, mais à aucun prix d'un régime pro-soviétique en Iran. Il avait donc privilégié les mollahs, dont il pou vait être à peu près certain que, pour des raisons idéologiques, ils ne pactiseraient pas avec l'Union soviétique. Ainsi, conformément aux prévisions de la commission des Affaires étrangères du Sénat, l'instauration à Téhéran d'un régime hostile à l'Amérique ne perturberait pas outre mesure les relations entre l'Iran et les Etats -Unis.

L'ayatollah Khomeiny, jugé responsable d'une tentative d'attentat contre le Shah en 1963, avait été expulsé d'Iran à cette époque. Il avait trouvé refuge en Irak, d'où il entretenait des liens étroits avec la frange la plus extrémiste du clergé iranien. Depuis l'entrée en scène des mollahs, celle-ci réclamait à sa demande une abolition de la monarchie289. La frange modérée du clergé estimait en revanche « le départ du Shah

286 Chapour Haghighat, Iran, la Révolution islamique, op. cit.

287 Mohammad Reza Pahlavi, op. cit. & Chapour Haghighat, Iran, la Révolution islamique, op. cit. 288 Alexandre Adler, op.cit.p

289

impossible et jugeait plus raisonnable de s'en tenir au strict respect de la Constitution »290.

Rapidement, les fanatiques l'emportèrent sur les modérés. Pendant le mois d'août 1978, qui était le mois du Ramadan, « l'euphorie révolutionnaire, stimulée par l'exaltation des cérémonies religieuses, poussa la foule en avant. Le 4 septembre, à l'occasion de l'Eid el-Fitr, jour de fête marquant la fin du jeûne, plusieurs centaines de milliers de personnes organisèrent des prières collectives dans les rues de Téhéran et réclamèrent le retour de Khomeiny... Le 7, la foule conspua le Shah, demanda la chute de la monarchie et plébiscita Khomeiny. Cette journée de rassemblement populaire réunit près d'un million de manifestants à Téhéran »291. Dans la nuit du 7 au 8 septembre, la loi martiale fut promulguée à Téhéran et dans onze autres villes. Toute manifestation et tout rassemblement étaient désormais interdits sur la voie publique292.

Le 8 septembre 1978 fut le Vendredi noir où près de deux mille personnes se rassemblèrent sur une place de Téhéran. L’armée tira sur la foule, faisant plusieurs dizaines de morts. Des émeutes se déclenchèrent alors dans la plupart des quartiers de la capitale : « Une bataille de rue s'engagea y où la population (affronta) les blindés. Des barricades rudimentaires furent élevées. Les insurgés brûlèrent des pneus, lancèrent des cocktails Molotov, des pierres, incendièrent des autobus. Ces combats tournèrent au carnage »293. Le bilan de cette dramatique journée fut, selon plusieurs sources, de cent à plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de victimes. Dix jours plus tard, le 18 septembre, les dirigeants égyptien et israélien signèrent les Accords de paix de Camp David, sous l'autorité du Président Carter294. L’automne 1978 vit alors « un conflit pathétique entre un Shah d'Iran prématurément rongé par la maladie (il était atteint d'un cancer) et un Président des Etats -Unis, Jimmy Carter, imbibé d'une volonté d'innocence non moins maladive », se souvient Yves Girard295. Cependant, il était temps pour les Américains de donner à l'ayatollah Khomeiny la stature d'un véritable révolutionnaire. Cela ne pouvait être fait en Irak, pour des 290 Ibid., p. 291 Ibid., p. 292 Ibid., p. 293 Ibid., p.

294 Voir Dominique Lorentz, Affaires atomiques, op. cit., chapitre 8 295

raisons à la fois politiques, pratiques et de marketing. L'Iran et l'Irak avaient conclu en 1975 - alors qu'il avait été décidé de les nucléariser tous les deux - un accord qui mettait fin à un vieux différend frontalier entre leurs pays296. Depuis lors, ils ne s'étaient plus battus. Mais ils demeuraient habités d'une profonde hostilité l'un envers l'autre. La Révolution islamique ne pourrait donc être lancée par Khomeiny depuis l'Irak sans fournir au Shah le prétexte d'une intervention armée chez son voisin. De même, celui qui allait devenir le plus célèbre opposant au régime du Shah ne pouvait être laissé sans risque dans les mains du principal ennemi régional de l'Iran, donc cela ne serait pas possible en Irak.

Par ailleurs, l'ayatollah Khomeiny, obscur personnage sans la moindre culture politique devrait être étroitement encadré, contrôlé et protégé297 par des alliés de l'Amérique durant la préparation de son retour en Iran298. Enfin, l'ayatollah Khomeiny avait besoin d'acquérir une forme de respectabilité. Ce dernier objectif ne pouvait être atteint que dans une grande démocratie occidentale. Les Américains portèrent naturellement leur choix sur la France, pays qui, du fait de ses liens très anciens avec l'Iran, abritait déjà les principaux opposants au régime du Shah. Bani Sadr, futur président de la République islamique, vivait en banlieue parisienne. Il fut donc décidé d'installer l'ayatollah Khomeiny à côté de chez lui, à Neauphle-le-Château299.

Le 6 octobre 1978, après que Saddam Hussein l’expulsa d’Irak, l'ayatollah Khomeiny atterrit à Paris et s'installa à Neauphle-le-Château300. Son domicile fut aussitôt placé sous la haute protection des forces de police françaises. Quelques jours plus tard, une interview de lui, recueillie par deux journalistes français dans les dernières minutes de son exil irakien, fut publiée par le quotidien le Monde301. Cette opération médiatique avait été préparée par Bani Sadr, le futur président de la République islamique qui s'était fait fournir par les journalistes la liste des questions qu'ils

296 Chapour Haghighat, Histoire de la crise du Golfe, Complexe, 1992.

297 Bani Sadr, ancien président d'Iran, Le complot des ayatollahs, Paris, la Découverte, 1989

298 L’ayatollah Khomeiny a vécu 20 ans d’asile politique sur au moins 2 continents l’Asie et l’Europe,

il devenait connu sur le plan international et dans l’actualité internationale alors que le Shah n’avait plus de popularité nationale ou internationale.

299 Bani Sadr, op. cit.

300 Eurorient n°3, septembre 1998- janvier 199. 301

souhaitaient poser à l'ayatollah. Il en avait lui-même écrit les réponses, puis il les avait adressées à l'ayatollah Khomeiny.302

À Neauphle-le-Château, Bani Sadr et un groupe d'opposants au Shah prirent les commandes de la révolution. Ces hommes agissaient en coulisses, tandis que l'ayatollah était poussé devant les caméras de télévision pour diffuser leur message révolutionnaire. Bani Sadr raconte :

«Nous avons rédigé une plate-forme politique en dix-neuf points et j'ai clairement expliqué à Khomeiny qu'il devait s’y tenir s'il voulait être crédible. Les outrances et les divagations pouvaient lui coûte sa réputation et son avenir. Il l’a compris et sa vie politique a donc commencé. (. . .) C'est ainsi que le discours de la révolution s'est élaboré. A Neauphle-le-Château, chaque jour, je lui rédigeais une analyse de la situation »303.

Toutefois, Bani Sadr s'abstint de publier dans ses mémoires les fameux dix-neuf points de sa plate-forme politique. Peut-être fut-il embarrassé pour le faire. L’ayatollah Khomeiny, interviewé plusieurs fois par semaine par les télévisions françaises - à l'occasion de chaque soubresaut en Iran - se contentait en effet de toujours répéter les mêmes mots. Sur fond de « Allah akbar (Dieu est grand) » montant du jardin, il réclamait d’une voix tremblotante le départ du Shah, encourageait la population iranienne à la violence, à la désobéissance et au martyr304. Son programme politique se résumait à ces revendications élémentaires.

Le Shah raconte : « Je n'ai pas demandé au gouvernement français de le condamner au silence. Il importait peu qu'il parlât de là ou d'ailleurs, puisqu'il n'était rien de plus qu'une marionnette dont se servaient ceux qui, de l'extérieur, avaient condamné mon régime.»305. Dans le même temps, des cassettes de propagande étaient enregistrées et dupliquées à des milliers d'exemplaires dans un studio spécialement aménagé dans le pavillon de Neauphle-le-Château. Elles étaient ensuite distribuées en Iran, où elles entretenaient le fanatisme des étudiants dont la pensée avait été réduite

302 Ibid., p.

303 Bani Sadr, op. cit.

304 Journaux télévisés français, durant tout le séjour de l'ayatollah Khomeiny à Neauphe -le-Château 305

à des préceptes moyenâgeux306. Les autorités françaises avaient également fait installer dans le pavillon de multiples lignes de téléphone et de télex, afin que le quartier général de la Révolution islamique basé près de Paris pût être en liaison constante avec ses relais iraniens307.

Ce dispositif donna une formidable accélération à l'effondrement du ré gime du Shah. En effet, des grèves furent déclenchées progressivement dans les administrations et les secteurs industriels et paralysèrent l'activité économique du pays. Au départ, elles affectèrent les transports publics, les banques, les douanes, la raff inerie de Téhéran, le complexe pétrochimique de Bandar-Chapour, l'aciérie d'Ispahan, l'usine de machines-outils de Tabriz, puis elles s'étendirent à toutes les branches de la production. Le 18 octobre 1978, la plus grande raffinerie d'Iran, celle d'Abadan cessa ses activités. Le gouvernement tenta, sans succès, d'éviter la catastrophe économique. En dépit de la loi martiale, les manifestations et les agitations dans la rue continuèrent. Les 28 et 29 octobre, des heurts eurent lieu dans plus de trente villes308. Le Shah tenta alors de protéger son trône en instaurant un gouvernement militaire dirigé par des fidèles et de lâcher du lest en faisant arrêter l'ancien chef de la Savak et des hauts fonctionnaires accusés de corruption. Parallèlement, il essaya de for mer un gouvernement de coalition avec ses opposants non-religieux309.

À lÀ fin du mois de novembre 1978, les Soviétiques annoncèrent par un communiqué publié dans la Pravda qu'ils s'opposaient à toute intervention étrangère en Iran :

« L'Union soviétique, qui entretient avec l'Iran des relations de bon voisinage, déclare résolument qu'elle est contre une ingérence dans les affaires intérieures de l'Iran de la part de qui que ce soit, sous quelque forme et prétexte que ce soit. Dans ce pays ont lieu des événe ments d'ordre purement intérieur et les problèmes qui y sont liés doivent être réglés par les Iraniens eux-mêmes. (...) Il doit être clair que toute intervention, a fortiori une intervention militaire, dans les affaires de

306 Eurorient n° 3, septembre 1998-janvier 1999 &TF1, journal de 20 heures, le 4 décembre 1978. 307 Eurorient n° 3, Ibid., p.

308 Chapour Haghighat, Iran, la Révolution islamique, op. cit. 309

l'Iran, Etat directement limitrophe de l'URSS, serait considérée comme une atteinte aux intérêts de sa propre sécurité »310.

En Iran, la violence redoubla. Le 3 décembre, au début du Moharram, le mois de deuil chiite, une nouvelle série de troubles s'amorça dans tout le pays. Peu avant, Khomeiny avait invité la population à verser son sang « pour protéger l'Islam et renverser le tyran ». Les processions religieuses se transformèrent en batailles de rue. Le soir, après le couvre-feu, les manifestants prirent place sur les toits et les terrass es des maisons en scandant « À bas le Shah », « Allah akbar (Dieu est grand) »311. Le lendemain, le 4 décembre 1978, un correspondant de la télévision française à Téhéran rapporta que « la nouvelle, venue de Paris, d'un retour imminent de l'ayatollah Khomeiny en Iran - du moins dès que le Shah serait parti » - avait fait la Une de tous les quotidiens. Le départ du Shah ne semblait plus être qu'une question de jours et la pression des Américains paraissait y être pour quelque chose »312. Le 7 décembre, la Maison Blanche fit officiellement savoir que « les Etats-Unis n'interviendraient d'aucune façon en Iran »313. Quelques jours plus tard, lors de la célébration de Tassouaet d'Achoura, jours de la commémoration rituelle de l'imam Hossein à Karbala, deux millions de personnes manifestèrent et demandèrent le départ du Shah»314. Par ailleurs, les grèves en chaîne continuaient à ébranler sérieusement l'économie nationale. Le 26 décembre, les exportations pétrolières furent interrompues et le régime fut mis au pied du mur315.

Le 31 décembre 1978, le Shah nomma Chapour Bakhtiar Premier ministre. Celui -ci dissout la Savak, supprima la censure de la presse et promit la levée progressive de la loi martiale316. Mais son gouvernement se solda par un échec. Comme le résume le Shah, « les dés étaient jetés »317 :

« À la fin du mois de décembre raconte-t-il encore, tous mes projets, tous ceux qui avaient été acceptés avec enthousiasme étaient jugés « impossibles » : impossible, le métro que devait construire à Téhéran la

310 Mohammad Reza Pahlavi, op. cit.

311 Chapour Haghighat, Iran, la Révolution islamique, op. cit. 312

TF1, Journal de 20 heures, le 4 décembre 1978

313 Mohammad Reza Pahlavi, op. cit.

314 Chapour Haghighat, Iran, la Révolution islamique, op. cit. 315 Ibid., p.

316

RATP française ; impossible l'électrification de notre réseau ferroviaire et le doublement de la plupart des voies ; impossible l'autoroute du sud ; impossibles les gazoducs nous permettant d'utiliser notre gaz - qui représente les trois quarts des réserves du Moyen-Orient »318.

Du 5 au 7 janvier 1979, Valéry Giscard d'Estaing, Jimmy Carter et le chancelier allemand Helmut Schmitt se retrouvèrent pour un sommet à la Guadeloupe. Dès la première séance, le Président américain confirma à ses alliés européens que sa décision de lâcher le Shah était irréversible. Il les rassura quant aux conséquences de ses actes en leur disant, en substance, que tout se passerait bien puisqu'il tenait l'armée iranienne319. À l'instant précis où il prononçait ces mots, le général américain Huyser arrivait à Téhéran. Le Shah raconte :

« Les événements des dernières semaines m'avaient appris à ne plus m'étonner de rien. Tout de même, le général Huyser, Commandant adjoint de l'OTAN, n'était pas un mince personnage. Il était venu à Téhéran à plusieurs reprises, précédée à chaque fois d'une demande d'audience. Il ne s'agissait pas de simples visites de courtoisie, mais de celles rendues nécessaires par le fait que j'étais le chef des armées… (…) Cette fois, rien, mystère total. Son arrivée avait été fort discrète. Les militaires américains allaient et venaient sur leurs propres avions et n'avaient naturellement pas à se soumettre aux formalités rituelles lorsqu'ils se posaient sur les bases militaires iraniennes. (…) Un homme assumant les responsabilités qui étaient celles du général Huyser ne jouait pas à cache-cache sans de sérieuses raisons. Dès que la nouvelle de sa présence fut ébruitée, la presse soviétique réagit : « Le général Huyser est à Téhéran pour fomenter un coup d'État militaire.

« (…) De Paris, le New York Herald Tribune se chargea de rassurer les chancelleries. Il n'eut qu'à remplacer le verbe « fomenter » par « empêcher ». C'était cela, la préoccupation des dirigeants américains :

317 Mohammad Reza Pahlavi, op. cit. 318

empêcher un coup d'Etat militaire en Iran. (… ) Je ne vis le général Huyser qu'une fois pendant son séjour. Il accompagnait l'ambassadeur américain Sullivan lors d'une des dernières entrevues que j'eus avec ce dernier. Ce qui les préoccupait l'un et l'autre, c'était de savoir quel jour et à quelle heure je partirais »320.

Pour verrouiller l'armée iranienne, le général Huyser s'entretint notamment avec son chef d'état-major, auquel il proposa de rencontrer Mehdi Bazarghan, l'homme dont l'ayatollah Khomeiny ferait son Premier ministre quelques jours après son retour en Iran321. Ensuite, il ne quitta pas Téhéran. Il resta sur place en attendant que le souverain eût quitté le pays322.

Le départ du Shah « pour quelques semaines de vacances » fut annoncé depuis Washington par le secrétaire d'Etat américain Cyrus Vance, le 11 janvier 1979.323 Le souverain partit le 16, avec son épouse. « Je ne puis ni ne désire exprimer les sentiments qui m'animaient lorsque je pris, avec l'Impératrice, le chemin de l'aéroport. (…) J'avais au cœur un sinistre pressentiment et trop d'expérience pour ne pas imaginer ce qui pouvait arriver. » Raconte-t-il324. Henry Kissinger, pour sa part, n'hésite pas à dénoncer l'attitude des dirigeants français et américains. « L'Amérique et ses alliés se sont déshonorés par leur attitude envers (le Shah) », écrit-il325 : « Ils ont abandonné un ami, non seulement dans le domaine des relations politiques - ce qui peut s'expliquer par les impératifs brutaux de l'intérêt national -, mais également sur le plan des rapports humains, lorsqu'il allait à la dérive, sans refuge, et appelait au secours. L'Histoire est écrite par les vainqueurs ; ceux-ci, en l'occurrence, se sont montrés cruels» 326. Puis il conclut : « L'exil consomma cruellement l'abandon du Shah par presque tous ceux qui avaient recherché ses faveurs durant quarant e ans »327.

319 Valéry Giscard d'Estaing, Le pouvoir et la vie, Compagnie douze, 1988 et 1991. 320 Mohammad Reza Pahlavi, op. cit.

321 Mohammad Reza Pahlavi, op. cit. & Chapour Haghighat, Iran, la Révolution islamique, op.cit. 322 Ibid., p.

323

Ibid., p.

324 Ibid., p.

325 Henry Kissinger, op. cit. 326 Ibid., p..

327

Dès le départ du Shah, l'ayatollah Khomeiny publia depuis Neauphle-le-Château des communiqués demandant l'instauration d'une République islamique328. Ceux-ci furent relayés en Iran par le clergé intégriste. « Les intellectuels progressistes, qui s'interrogeaient sur la nature de cette République et sur la place que Khomeiny entendait occuper dans la société, ne cachèrent pas leur inquiétude »329. Ils tentèrent d'ouvrir un débat sur ce que serait le prochain régime iranien. Les mollahs les accusèrent de soutenir un « complot communiste »330. Le 22 janvier 1979, les organisations de gauche prirent la tête d'un rassemblement de dix mille personnes. Les manifestants « furent attaqués par des bandes islamiques et des activistes musulmans aux cris de : « Il n'y a pas d'autre parti que le parti de Dieu ». Khomeiny lança alors un appel en demandant à toutes les formations politiques d'abandonner leur idéologie pour rejoindre l'Islam »331.

Le 1er février 1979, l'ayatollah Khomeiny quitta Paris pour Téhéran. À l'aérop ort, avant d'embarquer, il remercia les autorités françaises. « Au nom de Dieu, après quatre mois de résidence en France, je quitte ce pays pour servir mon pays. Je remercie le gouvernement et le peuple français qui a assuré ma sécurité et garanti ma liberté d'expression » déclara-t-il332. Puis il prit place à bord d'un Boeing d'Air France spécialement affrété pour l'occasion. Il était accompagné de Bani Sadr, d'une quarantaine de collaborateurs et d'une centaine de journalistes de la presse internationale. À Téhéran, il descendit de son avion au bras d'un steward d'Air France. Une foule galvanisée l'attendait. Fidèle à la « tactique des deuils » si chère aux islamistes, il se rendit dans un immense cimetière pour prononcer son premier discours. Sur le parcours qui le conduisit de l'aéroport à ce théâtre macabre, plusieurs millions de personnes étaient massées, tout le long de la route333. Au cimetière, juché sur une chaise haute, il commença par rendre hommage aux martyrs de la Révolution. Puis sa voix enfla « Je frapperai à la figure le gouvernement de Chapour Bakhtiar. Je

328 Chapour Haghighat, Iran, la Révolution islamique, op. cit. 329

Ibid., p.

330 Ibid., p. 331 Ibid., p.

332 TF l, Journal de 20 heures, le 1er février 1979 333

passerai tous ces gens devant des tribunaux que je formerai et c'est moi, désormais, qui vais nommer le gouvernement », promit-il334.

Le 5 février, l'ayatollah Khomeiny nomma Mehdi Bazargan Prem ier ministre. Chapour Bakhtiar s'effaça335. Dès lors, deux forces apparemment antagonistes semblèrent capables de se disputer le pouvoir : les religieux et l'armée. Mais, comme Jimmy Carter en avait donné l'assurance à Valéry Giscard d'Estaing et à Helmut Schmitt, les Américains avaient préparé le ralliement des généraux à la Révolution islamique336 :

« Bien qu'ils (s'opposassent) en public, les militaires et les religieux (étaient), dans les coulisses, à la recherche d'un terrain d'entente. Cette tentative de compromis avait été instamment conseillée par Washington, qui, durant tout le déroulement des événements, n'avait jamais perdu le contact avec le haut commandement militaire iranien »337.

William Sullivan, dernier ambassadeur des États-Unis à Téhéran, avait conclu dès le mois de janvier - pendant le séjour du général Huyser - un accord avec Khomeiny, ses