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Politique et menaces monopolistiques : guerre de technologie nucléaire militaire

CHAPITRE 3 : LES GEOSTRATEGIES OCCIDENTALES ET LE PROBLEME IRANIEN

1- Politique et menaces monopolistiques : guerre de technologie nucléaire militaire

Les occidentaux accusent le gouvernement iranien de ne pas respecter les accords de Téhéran du 21 Octobre 2003 en vertu desquels il devait déclarer toutes ses activités nucléaires à l’AIEA. De son côté le gouvernement iranien accuse l’Europe de ne pas honorer ses engagements pris lors desdits accords.

Dans la nouvelle confrontation, il semble que l’Europe s’est davantage alignée sur les positions des Etats-Unis. Ce qui rend cette question difficile, ce n’est pas la confrontation entre deux ou plusieurs gouvernements, ce sont les fondements mêmes de cette question qui peuvent être à l’origine d’événements tragiques. Comme nous

venons de l’étudier, la politique du monopole des armes nucléaires remonte au XXe

siècle.

Progressivement elle s’est dénaturée sous le prétexte de la limitation et du contrôle des armes nucléaires et, à diverses étapes, a démontré ses insuffisances.

La disparition de la bipolarité et le progrès des techniques nucléaires dans les autres pays ayant abouti au club des pays détenteurs de la technique nucléaire, et donc à un enjeu de dissuasion nucléaire à visée économique et stratégique.

Si d’un côté l’enjeu économique est évident, de l’autre, aider l’Iran dans le secteur du nucléaire permet aux puissances voisines russe et chinoise d’avoir une monnaie d’échange dans leurs négociations avec les Etats-Unis. La Russie ne subit pas encore vraiment la pression de modifier sa position concernant l’Iran et semble pouvoir continuer à récolter des bénéfices économiques de sa coopération tant avec les États - Unis qu’avec l’Iran. La Russie elle-même un important pays exportateur de pétrole- ne peut être intimidée par les menaces iraniennes de réduction d’exportation de pétrole mais Téhéran conserve certains leviers de pression sur Moscou dans le domaine des relations commerciales.

Une troisième phase marque cette politique de monopolisation : la transformation de la politique du monopole en l’établissement d’une sorte de ségrégation entre les peuples et le partage du monde en pays amis et pays hostiles, ce qui, très facilement, devint un levier pour le renforcement des bases de l’ordre néo-colonial entre les mains des grandes puissances pour établir l’inégalité entre les peuples. La défense de la paix et la sécurité mondiale exige le rejet de ce levier. Cette phase se résume par la transmutation de la force de coercition qui n’est plus contrôlé par les États, l’expansion de la contrebande de la technologie nucléaire comme réaction au monopole, question essentielle dans le monde en ce début du XXIe siècle. Il est alors naturel que cela permette le transfert de la technologie nucléaire en dehors des limites de l’action des États. Le progrès scientifique a placé le monde face au danger de l’accès à cette technologie.

Si nous ne pouvons empêcher la propagation de la technologie, on peut cependant rechercher un système convenable permettant de bénéficier de cette technologie.

Ce qui, hier encore, sous le prétexte du danger de l’expansion d’utilisation des armes nucléaires, constituait le principal instrument utilisé par M. Bush pour agresser le Moyen-Orient et l’Asie centrale constitue la principale difficulté pour ces régions, constitue un danger dont le processus pourrait ne pas épargner l’Europe et l’Amérique.

Dans son rapport de juin 2003, el-Baradei soulève une question restée ouverte, à savoir l’usage que l’Iran entend faire de près de deux tonnes d’uranium acheté à la Chine en 1991122.

Depuis 2002, la divulgation d’un éventuel enrichissement de l’uranium par Téhéran, de grands enjeux sont apparus ainsi qu’une controverse sur la réalité du projet lui - même et son historique, qui rendent la communauté internationale, en particulier l’AIEA, confrontée à un dilemme juridique complexe, de par les composants et principes discriminatoires du TNP, et par les enjeux stratégiques et politiques régionaux du développement d’un Iran puissance nucléaire. L’Iran est un cas intéressant avec son ambition de technologie civile constitue un paradigme de la nouvelle politique internationale considérant la technologie nucléaire comme duale, en l’utilisant autant dans le domaine civil que militaire.

Aujourd’hui, l’Iran est pressé de toutes parts de signer le Protocole additionnel au TNP. Ce protocole avait été négocié à la suite de la découverte d’un programme nucléaire clandestin en Irak au début des années 1990.

À ce jour, 102 pays signataires du TNP, sur les 189, ont signé ce protocole, mais pas l’Iran123

. Le protocole additionnel procure à l’AIEA des pouvoirs étendus pour l’inspection de sites nucléaires, déclarés ou pas, comme la prise d’échantillons environnementaux ou la visite sans préavis de sites suspects. Sans de telles dispositions, l’AIEA affirme que sa capacité de fournir l’assurance d’une absence d’activités nucléaires non déclarées est limitée. Les tractations de la communauté internationale sont ambivalentes, de retour des Etats-Unis dans les négociations euro

122 Rapport du Directeur général de l’AIEA: “Implementation of the NPT Safeguards Agreement in the

Islamic Republic of Iran, Item 3(b) of the provisional agenda of the Board’s meetings commencing on 20 November 2003”.

123 Site de l’ONU consulté le 11/01/2012 :

iraniennes, menée par la troïka européenne puis par le groupe 5+ 1 sur ce dossier, constitue un revirement spectaculaire.

Il est certain que le droit de l’Iran à s’équiper et développer une technologie nucléaire civile est légitime et constitue un droit à toute partie du NP. La proposition du groupe des Six est largement inscrite dans le fonctionnement même de la dissuasion nucléaire où les concessions politique et économique se font par force de persuasion et de pression. La hiérarchie militaire des nations demeure un facteur politico - économique central de la négociation internationale. La relance de la négociation avec Téhéran et la participation américaine, ne serait-elle pas une dissuasion pédagogique ?

Le contenu des propositions n’a pas été rendu public, mais il apparaît évident que face à la prérogative de l’Iran signataire du TNP, il y aurait lieu d’avantager un changement affectant son programme nucléaire.

Ainsi serait développée une stratégie intégrant l’Iran par une forme de coopération nucléaire moins agressive. Il en résulterait un moindre poids sur la politiq ue américaine au Moyen-Orient et ferait connaître la politique monopolistique de la technologie nucléaire actuellement en gesticulation.

Le processus de montée aux extrêmes et puissances

La guerre par essence est un duel dans lequel chacun des adversaires tente de faire plier l’autre à sa volonté. Le bras de fer auquel on assiste depuis des années entre l’Iran et l’Occident conduit tout droit à la guerre. Il s’agit d’un processus bien connu dans la nature humaine. D’incident en incident, d’incompréhension en incompréhension, se tisse une trame qui débouche sur la guerre, impliquant le gouvernement, le peuple et le général commandant les armées, comme le souligne Clausewitz.

Dans le cas présent, l’incompréhension entre les deux camps est totale, les intérêts bien réels et la tension monte sensiblement mais régulièrement, avec une mesure certaine et un contrôle qui témoignent de la conscience des enjeux pour la paix.

L’arrivée de Barak Obama et sa réélection récente sont une occasion de rupture avec la politique précédente, même s’il ne faut pas croire aux miracles dans ce domaine.

Début février 2009, on a pu assister à un fait sans précédent depuis des années : chacun des présidents américain et iranien a tendu une main à l’autre camp, chacun demandant à l’autre, il est vrai, de passer aux actes pour changer d’attitude et prouver sa bonne volonté.

Dans un processus de montée aux extrêmes, comme le décrit René Girard dans « achever Clausewitz », il n’existe que deux issues. Soit c’est la guerre, soit l’un des deux camps en présence se retire.

Or, dans la situation actuelle, qui est par essence une montée aux extrêmes, seul l’Occident, voire même seuls les États-Unis peuvent se retirer de ce processus belliqueux.

En effet, l’Iran est absolument encerclé par des pays où sont implantées des forces américaines, à commencer par l’Irak et l’Afghanistan, et sans oublier la Vème

flotte américaine dont la puissance à elle seule force le respect.

Israël ne prendra pas le risque d’intervenir en Iran sans avoir le soutien des EU. C’est une idée contestable, mais appuyée sur des observations historiques et des partages d’intérêts communs. En outre, on n’attaque pas un pays s’il n’existe pas d’intérêt réel en cause. Un pays, et à fortiori encore moins une démocratie, ne sacrifie pas inutilement la vie de ses enfants.

L’absence de frontière commune entre les deux pays donne peu de crédit à une frappe unilatérale, quelle que soit la donne nucléaire. On ne peut en effet oublier que la détention de l’arme par Israël n’est un secret pour personne, sauf pour la diplomatie israélienne.

Le président américain a d’autres priorités que de mener son pays à une guerre de plus. Il doit sauver la puissance économique de son pays avant tout.

De son côté, le président iranien pourrait profiter d’un rebond dans l’opinion publique s’il obtenait enfin un résultat probant avec les États-Unis, qui lui permettrait de la sorte de justifier ainsi toute sa politique passée.

La Maison-Blanche n’a pas les moyens d’un conflit. Son armée connaît des difficultés en disponibilité de personnel et l’envoi régulier de réservistes de la Garde

nationale en Afghanistan, le prolongement des mandats des soldats en place en témoigne. Cela ne semble d’ailleurs pas à l’ordre du jour.

L’Iran ne peut pas se retirer de ce bras de fer. C’est une question de fierté nationale. C’est dur à admettre, et il est probable que nombre d’Occidentaux et d’Iraniens pensent que le président Ahmadinejad pourrait lever le doute sur les objectifs réels du programme nucléaire iranien. En fait il ne le peut sans doute pas. Son objectif final n’est pas de détenir ou non la technologie nucléaire ou l’arme atomique ; l’objectif stratégique de l’Iran dans cette montée aux extrêmes est la reconnaissance de sa puissance. La ligne stratégique « nucléaire militaire » n’est une ligne d’opérations, avec une part de risque de démonstration de force, une part de bluff.

Faut-il le rappeler ? Officiellement, et jusqu’à preuve du contraire, l’Iran n’a pas de programme nucléaire militaire.

L’Iran est une puissance nationale sur un territoire avec souveraineté nationale sur ce territoire. C’est un fait contesté, certes, mais impliquant d’autres réalités en ce XXIème

siècle : puissance démographique, puissance spatiale, puissance du fait de sa position géopolitique à un carrefour hautement stratégique du monde, puissance culturelle et identitaire, et enfin richesses prospectives des secondes réserves mondiales connues en pétrole et en gaz.

Le président Ahmadinejad l’a rappelé dans son discours début février, après avoi r énuméré les technologies détenues par l’Iran : « l’Iran est une grande puissance ». En fait, la situation actuelle est biaisée par rapport à ce que croyaient les Etats -Unis jusqu’ici. Ils pensaient pouvoir faire plier l’Iran par une démonstration de forc e, en les contraignant sur le plan économique par le biais d’un embargo qui s’avère limité, inefficace voire contre-productif, car renforçant le sentiment de victime des Iraniens.

L'Iran selon la stratégie américaine

Les États-Unis ont joué le rôle principal dans le changement du régime monarchique en Iran. Or, le régime qui lui succéda, réprimant l’idéologie occidentale qui, agissait à l’époque en Iran, se retourna lui-même contre cette idéologie en poursuivant les objectifs suivants :

1) épurer l’armée de l’influence extérieure (qui se trouvait sous contrôle américain pendant la monarchie) ;

2) épurer administration de l’influence étrangère ;

3) orienter la culture vers les sources religieuses ;

4) asseoir la direction religieuse à la place de la direction militaire.

Le nouveau régime a remplacé, durant plus de 30 ans, les lois civiles par des lois religieuses.

Le rôle clef de l’Iran dans la région, en particulier, sur les plans stratégiques, consiste à considérer que pour préserver leurs intérêts, les Etats-Unis et l’Occident, font qu’ils ne peuvent se passer facilement de ce pays, vu également qu’historiquement les relations très proches entre le régime monarchique et les États-Unis.

Les deux principaux obstacles dans l’entente entre les États-Unis et l’Iran, sont ceux qui déterminent les fondements de la diplomatie américaine dans la région : la reconnaissance d’Israël, et la charte des Droits de l’homme. Ces deux éléments constituent en réalité des lignes rouges dans la politique de la République isl amique.

Sans doute, les « droits de l’homme » parrainés aujourd’hui par les États-Unis, constituent un éventail trop large pour empêcher l’entente entre les deux pays, malgré son manque de concordance avec un régime théocratique. Dans les relations entre l’Occident avec la Chine et avec la Russie, cette question a plutôt pris aujourd’hui un aspect anecdotique. Le pragmatisme américain dispose de définitions différentes pour les droits de l’homme en Israël et les droits de l’homme en Syrie. Cependant, dans ses relations d’amitié avec Israël, les États-Unis ne sont prêts à aucune concession. Les relations entre Israël et la Chine ne peuvent laisser Washington indifférent de même que les relations entre Israël et Moscou. Or, Téhéran ne peut accepter une telle relation.

Dialogue Iran-Europe

Quiconque étudie les antécédents des relations politiques entre l’Iran et l’Europe est confronté, d’emblée, à l’ancienneté des rapports et à la profondeur historique d’une particularité sans précédent. En effet, les premières relations remontent à

l’apparition des civilisations humaines dans les deux régions, à savoir les Mèdes et l’empire achéménide sur le plateau des « pays des Aryens », et les citées grecques et l’empire romain dans le berceau de la culture hellénique. De fait, la Perse est présente dans l’imaginaire européen depuis des temps immémoriaux, ainsi que l’Europe dans la pensée culturelle et littéraire iranienne. Certes ces relations ont connu des vicissitudes avec des hauts et des bas, des qualités et des défauts , pourtant, elles se sont poursuivies pendant déjà trois millénaires. Les rapports tantôt amicaux tantôt hostiles, sur la voie diplomatique ou stratégique sont éternels.

La portée et la vitesse des évènements fondamentaux au sein du système mondial nécessitent une réévaluation continuelle des politiques internationales, afin de mettre en œuvre des formules adéquates à des changements inopinés. Depuis un demi -siècle, le processus de l’intégration au sein de l’Europe a pris un tel élan qu’il a donné naissance à une communauté d’Etats unis élargie au sein de l’Union européenne, désirant jouer un nouveau rôle prépondérant sur la scène internationale compte tenu de son nouveau poids politique et économique. Par ailleurs, depuis trois décennies, une République Islamique, unique en son genre, en supplantant la plus ancienne monarchie du monde, a donné un nouvel essor à l’Iran. Le nouveau régime, se basant sur la profondeur nationale et religieuse de l’Iran, désire échapper à la « contrainte systémique », en dénonçant le déterminisme absolu du système global. De ce fait, par le fameux slogan « ni l’Est, ni l’Ouest »124, l’Iran a souhaité donner naissance à de

nouvelles interactions au sein du système international.

Les deux entités politiques nouvellement crées sont donc enclines à donner suite à leurs relations historiques, bien qu’il existe un large écart entre leurs visions des relations internationales, ainsi qu’entre leurs objectifs politiques, sociaux et économiques.

Si à l’époque du Shah, un accord avait lié l’Iran à la Communauté Economique Européenne (CEE), depuis l’avènement de la République Islamique, l’Union européenne n’entretient pas de relations contractuelles avec l’Iran. En fait, en 1963, l’Iran avait été l’un des premiers pays à signer un Accord de Commerce et de

124 En fait, depuis la révolution de 1979, le peuple iranien a rejeté l’« impérialisme sauvage » aussi

bien que le « communisme athée » pour revenir aux glorieux principes religieux et nationaux d’antan. La dynamique politique de la révolution iranienne pourrait être considérée comme une perturbation inédite au sein du système dominant.

Coopération (TCA) avec la CEE. Cet accord permettait de supprimer une série de taxes sur des marchandises comme le caviar, les pistaches et les tapis. L’accord avait expiré en 1977, avant la révolution islamique d’Iran, sans pour autant être renouvelé.125

Au lendemain de la révolution iranienne, une période de crise a régné sur les relations bilatérales. Bien que des raisons politiques et économiques se trouvent à la base de l’intérêt réciproque de la République Islamique d’Iran et de l’Union européenne, une méfiance et une méconnaissance mutuelles ont fait obstacle à tout développement et institutionnalisation des relations.

Selon une classification générale, on peut résumer les trois décennies écoulées depuis la révolution iranienne en quatre phases distinctes.