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B. Rejet de la figure christique

2. Reventlow et la doctrine du Christ

Reventlow ne s‟attarde donc pas à déconstruire l‟historicité du Christ, mais se concentre plutôt sur le contenu intrinsèque de sa doctrine dans laquelle il tente de déceler des traces de « germanité » :

Il oppose dans un premier temps la doctrine de Jésus et « l‟esprit juif » : « Le juif n‟a pas changé au cours des siècles : c‟est un homme de l‟Ici-bas qui est fier d‟être celui qui profite au mieux de la vie derrière laquelle il n‟y a rien »143

peut on lire dans

Wo ist Gott ?. La pensée de Jésus possède selon lui une « germanité » typique de la

culture indo-aryenne, qu‟il décrit comme une sorte de « regard » vers l‟Au-delà, qui, dans la perspective antisémite qui est la sienne est l‟antithèse du « matérialisme juif » :

« L‟idée d‟une poursuite de la vie sans corporéité terrestre est étrangère au Juif et ne lui dit rien. Chez Jésus, tout tourne autour de cela (…) Pour Jésus, le royaume de Dieu est un niveau de l‟âme, une essence au-delà du temps et de l‟espace qui est là pour l‟Homme durant sa vie et après »144. Il en veut pour preuve le fait que les disciples du

Christ se soient détachés de l‟argent et du monde matériel pour mieux se consacrer au Christ : « Il est évident que suivre Jésus implique de se détacher de tout intérieurement et extérieurement »145.

Par le sacrifice de sa vie au nom du Divin, le Christ lui-même s‟inscrit selon Reventlow dans un processus de valorisation de l‟Au-Delà. La grandeur du Christ est perceptible selon lui dans cette mort souhaitée, ce sacrifice du corps au nom du Divin. Si le Christ et les disciples s‟étaient défendus avec les poings face aux soldats venus l'arrêter, cela aurait été grotesque selon lui :

« Cela aurait été une caricature et non pas l‟image de la dignité et de la sérénité que Jésus a donnée lors de son interrogatoire (…) Un Christ combattant avec son corps

142 Reventlow, Ernst: Wo ist Gott? p. 144 143 Reventlow, Ernst: Wo ist Gott? p. 157 144 Reventlow, Ernst: Wo ist Gott? p. 158 145 Reventlow, Ernst: Wo ist Gott? p. 161

aurait été grotesque »146. Il est donc pour lui tout à fait artificiel de transformer le Christ

en héros guerrier – comme le fait entre autres Friedrich Andersen - car il y a déjà dans son acceptation volontaire de la mort cet « héroïsme aryen» :

« Sacrifier sa vie volontairement pour une noble cause rend l‟homme immortel, s‟attacher au plaisir et à la vie animale enlève toute force à la personnalité seule capable d‟élever la vie au-dessus de l‟existence animale »147. Il trouve inutile la stylisation

artificielle du Christ en combattant germanique, comme celle que l‟on trouve chez Arthur Dinter, un de ses alliés politiques dans le Deutschvölkische Freiheitspartei :

« Dans quelques cercles chrétiens, on a mis de côté depuis quelques années l‟image douce du Christ car elle n‟était plus d‟actualité pour en faire un combattant aryen germanique plus adapté à la conception héroïque de notre époque »148. Dans ses 197 thèses, Dinter accuse le christianisme d‟avoir fait de la doctrine aryenne et héroïque du Christ une religion du renoncement portée par un personnage faible et sans envergure. Pour lui, le Christ est devenu un « objet d‟exaltation hystérique pour les vieilles femmes et les bigots des deux sexes », le peuple allemand quand à lui « un troupeau d‟efféminés et de poltrons »149. L‟Eglise judéo-chrétienne est accusée d‟avoir

affadi la vigueur germanique du Christ. Artur Dinter fait du Christ « le plus grand meneur d‟hommes qu‟il n‟ait jamais existé sur Terre. Il n‟a pas été le plus grand génie religieux mais aussi le plus grand génie politique de tous les temps. Il est le chef national-socialiste ! Lui seul est le vrai chef qui ne se trompe jamais dans les errements et les imbroglios politiques et sociaux »150. Reventlow ne suit pas Artur Dinter dans cette voie et déplore que « cette conception extrêmement tendancieuse culmine avec les images et les statuettes représentant Jésus un glaive à la main donnant l‟assaut »151

.

La dimension pacifique du message du Christ ne doit pas être interprétée

comme un signe de faiblesse : « On ne peut que constater en dehors de toute doctrine chrétienne que Jésus a affronté la mort volontairement »152. Reventlow voit en lui un

homme qui se sacrifie pour un idéal : « Nous laissons de côté la question de savoir s‟il s‟est sacrifié pour les Hommes puisque nous analysons ici non pas le Christ mais la personne de Jésus. Se sacrifier pour un idéal est ce qu‟un homme peut faire de plus

146 Reventlow, Ernst: Wo ist Gott? p. 169 - 170

147 Reventlow, Ernst: Wo ist Gott? p. 170

148 Reventlow, Ernst: Wo ist Gott? p. 167

149 Dinter, Arthur, thèse n° 120 , p. 136

150 Dinter, Arthur : « Jesus der Führer » dans : Deutsche Volkskirche, août 1934 p. 359-360 151 Reventlow, Ernst: Wo ist Gott? p. 167

sublime »153. Ce sacrifice est pour lui l'expression d'une germanité de l'esprit qui doit

être respectée, y compris dans les rangs « völkisch » :

« La majorité des non chrétiens a également une vision pleine de préjugés. Nous qui comptons parmi les non chrétiens nous demandons pourquoi cela est nécessaire. Un jugement partial et subjectif est dans tous les cas une preuve de faiblesse »154. Le respect face au Christ est tout à fait compatible selon lui avec la conception du monde völkisch : « Le respect de la personne de Jésus ne rend pas un Allemand moins allemand, ne le lie pas au christianisme »155. Pour Reventlow, le Christ incarne « de

grandes qualités humaines que nous appelons maladroitement morales, surtout le dépassement de l‟égoïsme, vaut autant quelle que soit la race où elle apparaît »156.

Reventlow fait preuve de circonspection. Il estime même que le message religieux du Christ peut être d‟un grand réconfort pour les Allemands dans des périodes troubles et difficiles. Reventlow ne néglige pas cet aspect dans la perspective nationale qui est la sienne :

« La souffrance (…) est partout où il y a des Hommes mais l‟Allemand porte tout particulièrement le sceau d‟une grande sensibilité à la souffrance »157

. Jésus peut être selon lui utile aux Allemands dans ce sens : il peut représenter pour les Allemands qui croient en lui un modèle de courage. Le spectacle de la souffrance de la personne de Jésus, telle que la rapportent les Evangiles peut rendre par comparaison les souffrances contemporaines des Allemands plus supportables : « L‟idée de la souffrance personnelle de Jésus peut d‟une certaine manière soulager la souffrance des chrétiens ou tout du moins la rendre plus supportable. C‟est un fait incontestable »158

.De même, il estime

que les premiers chrétiens qui sont morts en martyrs ont droit au plus grand respect : « Pour nous, l‟homme qui souffre surtout s‟il le fait volontairement pour une idée a droit au respect tout comme au cours des siècles les martyrs du christianisme ou tout autre martyr de ses convictions et de sa foi qui fut persécuté torturé et tué par l‟Eglise »159

.

Reventlow n‟opère donc pas de « germanisation » de la figure du Christ mais se contente de voir en lui un esprit « germanique », tourné vers l‟Au-delà, qu‟il oppose au

153 Reventlow, Ernst: Wo ist Gott? p. 173

154 Reventlow, Ernst: Wo ist Gott? p. 174

155 Reventlow, Ernst: Wo ist Gott? p. 174

156 Reventlow, Ernst: Wo ist Gott? p. 175 157 Reventlow, Ernst: Wo ist Gott? p. 176 158 Reventlow, Ernst: Wo ist Gott? p. 176 159 Reventlow, Ernst: Wo ist Gott? p. 177

« matérialisme juif ». A ses yeux, le message religieux du Christ recèle des qualités « germaniques » indéniables et dignes de respect : surtout celle de faire référence à un Au-delà.

Le seul aspect de la doctrine du Christ qu‟il attaque sans retenue est la qualité de seul intermédiaire possible entre les Hommes et Dieu : « Jésus serait la seule possibilité, le seul chemin ? Tous les innombrables hommes qui ont vécu à la surface de la Terre avant Jésus seraient donc tous perdus ou tout du moins n‟auraient pas accès à Dieu »160. Dans la perspective religieuse qui est la sienne, Reventlow n‟intègre pas de

« médiateur » - de quelque nature que ce soit - pour accéder au Divin : « L‟affirmation : « seulement à travers moi » ne trouve pas de résonnance en nous de par son exclusivité excessive, aussi vénérable que soit la personne du Christ »161. Pourquoi celui-ci serait-il

le seul moyen d‟atteindre Dieu ? Reventlow rejette l‟exclusivité christique et plaide en faveur du libre arbitre et de la conscience individuelle : « Nous nous insurgeons contre ceux qui veulent nous forcer à accepter le Christ dogmatique de l'Eglise qui serait la seule voie vers le Salut »162. Fondamentalement, il n'accorde donc aucune dimension divine au Christ :

« Pour nous, Jésus n‟est pas le guide de notre âme et celui vers qui notre esprit est attiré, il n‟est pas le Sauveur sans qui nous sommes perdus et damnés à jamais dans la mort »163. Reventlow invite les Allemands à trouver leur propre chemin religieux qui ne passe pas par le Christ.

La prise de position de Reventlow vis-à-vis de la doctrine du Christ est originale dans le camp « völkisch » dans la mesure où il ne s‟attarde pas sur la question de l‟origine raciale ou l'historicité du Christ. Il estime que Jésus ne doit pas être stylisé en héros germanique un glaive à la main car sa mort dans la sérénité a déjà quelque chose d‟héroïque et de respectable. Cette analyse diverge de celle des défenseurs d‟une « germanisation du christianisme » qui pensent qu‟un Christ aryen peut être le support d‟une nouvelle religion chrétienne allemande. Pour Reventlow, Jésus-Christ est important dans l‟histoire religieuse du monde mais religieusement inutile aux Allemands car chacun peut accéder au Divin sans intermédiaire. Reventlow concentre sa critique sur le rôle de médiateur que s'octroie le Christ : le fait que les Eglises

160 Reventlow, Ernst: Wo ist Gott? p. 166 161 Reventlow, Ernst: Wo ist Gott? p. 167

162 RW : "Offener Brief an den Reichsbischof" de novembre 1933 163 Reventlow, Ernst: Wo ist Gott? p. 184

revendiquent le monopole de l‟accès à Dieu est pour lui une aberration. En conséquence, Reventlow ne peut vraisemblablement pas être classé dans l'aile chrétienne allemande du mouvement « völkisch » car malgré la modération (ou l'ambiguïté) de certains de ses propos, il ne reconnaît pas le caractère divin du Christ.

Conclusion

Le reproche fondamental que formule Reventlow à l‟égard du judéo christianisme est d‟avoir déformé chez les Allemands l‟image du Divin, d‟avoir fait de la religion un « matérialisme éthique ». Reventlow évoque l‟appauvrissement du concept allemand du Divin (« Verflachung des deutschen Gottesbegriffs »)164 et plus généralement un appauvrissement spirituel de la germanité. Sa critique du Dieu de l‟Ancien Testament est indissociable de la critique du Nouveau Testament : indifféremment, il condamne la religion judéo-chrétienne car elle a déformé la seule vraie conception du Divin selon lui: un Divin « germanique » qu‟il pose comme entièrement « immatériel ». Nous avons ici un des fondements généraux de la pensée religieuse de Reventlow : le postulat de l‟existence d‟un pouvoir extérieur et supérieur à l‟Homme, d‟un Dieu non pas immanent au monde et à la nature mais totalement transcendant.

A ce stade, nous pouvons donc dire que la représentation intellectuelle que Reventlow se fait du Divin se rapproche davantage d‟un spiritualisme que d‟un théisme (qui reconnait l‟existence d‟un Dieu distinct du monde mais personnel).

164

Chapitre 2 : Définition du « Divin »

Nous avons constaté que la pensée religieuse de Reventlow accorde une place importante à la destruction du modèle judéo chrétien du Divin : elle s‟inscrit donc apparemment dans l‟aile « païenne » du mouvement religieux « völkisch ». Rappelons que les historiens distinguent deux grandes tendances dans le mouvement religieux völkisch : une aile majoritaire plaidant pour un « christianisme allemand » et une aile désignée comme païenne souhaitant rétablir la religion des anciens Germains165. Si Reventlow partage le rejet de l‟Ancien Testament avec l‟aile « chrétienne allemande », il rejette aussi la figure du Christ en tant que Dieu incarné. Le schéma judéo-chrétien du Divin semble lui servir de contre-modèle dans l‟élaboration de sa conception du Divin - qu‟il pose comme germanique - et que nous allons détailler ici.

Horst Boog – qui a écrit l‟ouvrage biographique le plus détaillé sur le Comte de Reventlow - estime que celui-ci était « un penseur aux connaissances encyclopédiques dans les domaines de la philosophie, de la culture, de l‟histoire, de la politique et dans le domaine militaire ; qu‟il était humaniste par son éducation ». Mais il souligne aussi que Reventlow n‟était « ni très clair ni très original »166

dans ses réflexions. A travers l‟analyse du « Divin » chez Reventlow, nous verrons quelles philosophies du passé Reventlow intègre dans ses réflexions religieuses et nous statuerons sur l‟originalité de sa conception du Divin dans le mouvement religieux « völkisch ».

A. Localisation du Divin

Où est Dieu ? Telle est la question qui obsède Reventlow et qui selon lui « ne s‟est

jamais posée de façon aussi sérieuse et pressante en Allemagne»167. Cette question - à laquelle de son aveu même « on ne peut répondre » - est importante surtout dans

165

Puschner, Uwe: „Weltanschauung und Religion – Religion und Weltanschauung“ introduction, dans : Zeitenblicke 5 (2006) Nr. 1

166

Boog, Horst : Graf Ernst zu Reventlow… p. 7

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