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Dissocier pour mieux comprendre

Par la désagrégation, à l’image d’une touffe de plante vivace qu’il faut diviser au bout de quelques années pour lui restituer sa vivacité, et sa longévité ! ou encore l’image, toujours empruntée à la botanique, des caïeux agglomérés d’une plante à bulbes. Ce processus de séparation ne saurait être assimilé à l’intention illusoire de mettre fin à une réalité bien concrète, mais à mettre en perspective son fonctionnement organique, au nom des interactions qu’elle produit.

Il s’agit de désappareiller les éléments constitutifs de la famille ou du groupe pour comprendre comment et pourquoi ils ont pu être retenus ou pas, mis en avant et jugés dignes de passer à la postérité, ou passés sous silence(s).

Comme on l’a déjà évoqué, Cornelius Castoriadis quand il se demande si l’identité exclue l’altérité, introduit dans ce débat une notion intéressante qui est celle du travestissement du discours (de l’autre à l’intérieur de soi) de ce qu’il appelle «l’étroit parental » et du combat nécessaire à l’individu pour affirmer sa propre parole dans son entourage proche.

Cela amène à prendre en compte des notions de dualité et d’altérité qui sont essentielles à la compréhension des représentations identitaires en cherchant à entendre les différentes versions d’une même réalité, pouvant être aussi pertinentes que contradictoires. Tenter de démonter l’assemblage des identités aussi bien familiales que professionnelles au fil des générations.

De l’analyse critique

Au risque de se répéter, mais pour se faire comprendre des lecteurs acteurs du territoire autant que des chercheurs, il faut insister ici sur ce qu’est une analyse critique, qui passe par la déconstruction, la séparation des éléments afin d’y voir clair, mais qui ne revient en aucun cas à dévaluer ou détruire l’objet en question. C’est une notion essentielle qui est souvent très mal comprise dans l’opinion publique parce que méconnue, et qui reflète les malentendus existants sur la démarche de la recherche scientifique, en l’associant trop vite aux usages assez caricaturaux en vigueur dans la critique de cinéma. Faire preuve de sens critique ne signifie en aucun cas qu’on doive déconsidérer son objet d’étude, mais plutôt qu’on cherche à comprendre comment et ce sur quoi il repose et il fonctionne. Cela suppose

cependant, dans un état de droit, et que l’on se situe dans la sphère privée ou publique, d’admettre que sous réserve de bonne foi et de rigueur morale, chacun puisse exercer un droit de regard sur ce qui relève de la communication ou qui est facteur de pouvoir, sur ce qui d’une manière ou d’une autre, va le concerner de près ou de loin, aussi bien en tant qu’administré, que professionnel, partenaire, client, consommateur ou lecteur, et dans tous les cas en tant que citoyen.

La quête du folklore patrimonial cherchant à témoigner de « comment c’était avant » participe légitimement de la volonté de transmettre les souvenirs. Elle éclaire le vécu des personnes en donnant toute sa place au facteur émotion mais pose pourtant quelques problèmes de lecture d’ensemble, comme un arbre qui cacherait la forêt. Si elle est riche de personnages attachants, la prise en compte de cette histoire affective doit résister à la tentation d’une nostalgie passéiste qui ne s’attacherait qu’à la seule logique commémorative et promotionnelle des villages, par le biais de monographies à l’étroit dans les limites communales parce que ne rendant compte des apports extérieurs que de manière anecdotique.

Le problème n’est pas tant de faire le choix du local que d’entériner le déni ou l’omission de tous les paramètres échappant à l’épicentre, de leur fonction et de l’importance de ces paramètres à chaque époque. La légitime préférence locale n’impose et ne devrait impliquer aucune omission de ce type, à l’instar de ce qui se produit de façon courante.

Car la nostalgie vis-à-vis de ce qui n’est plus, est justement le stigmate des mouvements de l’histoire, de parcours ou d’évènements chaotiques qui, à travers des paysages chamboulés tant sur le plan économique que celui de la géographie mentale, impliquent les personnes dans des choix signifiants qui doivent pouvoir être assumés pour que la transmission puisse avoir lieu au-delà d’elles-mêmes122.

Repositionnement des acteurs

À cette condition, dans une perspective d’amélioration de la connaissance mutuelle des acteurs et partenaires du territoire, cette méthode devient un réel facteur de renouvellement du regard et de compréhension de mécanismes plus complexes qu’il n’y parait.

Ici il faudrait convenir sans imposture méthodologique d’employer le terme entrepreneur dans le sens du mot acteur, au sens d’individu acteur de sa destinée avant même de l’entendre au sens qu’on lui donne en matière de développement durable des territoires contemporains.

Comme le suggèrent de nombreux chercheurs en sciences humaines cela suppose de transcender les catégories sociales car, au-delà des catégories sociales (paysan, paysan ouvrier) sur lesquelles une certaine vision du patrimoine voudrait curieusement s’appuyer et justifier ses choix tout en entérinant leur disparition, et cela avant même d’oser imaginer d’éventuelles reconstructions, c’est bien à travers les choix professionnels et familiaux mais singuliers de ces individus acteurs que se dessinent les changements locaux, quasiment au sein de toutes les familles rurales, à des occasions, des générations et donc des époques différentes.

Ainsi, quand la comparaison synchronique directe n’est pas possible, elle le devient parfois de façon diachronique.