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CHAPITRE II : LE CORPUS DEHONIEN Ŕ Œuvres Spirituelles de type dévotionnel

I. 3.1- La retraite du Sacré-Cœur

Si nous ouvrons les premières pages des Œuvres Spirituelles de Dehon dont la Retraite du Sacré-Cœur136 fait partie, nous trouvons que l’esprit de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus s’exprime immédiatement. Effectivement, dès le premier volume de ses œuvres spirituelles Ŕ 7 volumes au total Ŕ, les lecteurs trouvent fortement cet esprit dévotionnel à l’amour et sont ainsi appelés à revivre et surtout à réactualiser ce qui était si célèbre et populaire au XIXe siècle, la dévotion au Sacré-Cœur comme nous essayons de le faire tout au long de ce travail. Dès la préface de cet ouvrage, Dehon s’adonne à cet esprit et établit un autre chemin de la vie chrétienne que celui proposé par les Exercices d’Ignace. Le chemin que propose Dehon commence par une retraite qui ne parlera pas comme le fait Ignace de Loyola dans son exercice de conscience, en premier lieu de la création et du péché, mais bien de l’amour de Dieu Ŕ symbolisé par le Cœur de Jésus Ŕ et tout ce qui suit sera articulé en fonction de cet amour. Car, pour Dehon, le fondement de la vie spirituelle est l’amour. Il faut voir l’amour pour comprendre le dessein de Dieu sur la vie humaine et pour y répondre.

Effectivement, comme Dehon a été formé à Rome par des jésuites, il connaît bien les particularités spirituelles de cet Ordre Ŕ la Compagnie de Jésus. Cependant, il n’y a pas trouvé une Retraite du Sacré-Cœur. C’est pourquoi il se consacre à une œuvre pareille.

136 Cet ouvrage publié en 1896 par la maison d’édition Casterman à Paris, Leipzig et Tournai contient 209 pages. Révisé et réédité par le centre d’études de Rome, il se place dans le premier volume des Œuvres Spirituelles et est numéroté des pages du 27 à 236.

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Cette retraite se considère comme une retraite spirituelle qui a comme sujet dominant le Cœur de Jésus Ŕ celui qui exprime l’amour de Dieu pour l’homme. Nous pouvons compter l’utilisation du mot « Cœur » : il apparaît en total 425 fois ; en moyenne donc plus de dix fois dans chaque méditation. Les quarante méditations de cette Retraite font toutes appel à l’amour, à la bonté, à la miséricorde et conduisent le retraitant sur le chemin d’une vie spirituelle qui imprègne les âmes de l’amour du Seigneur pour s’unir à Lui.

Dans cet ouvrage, La retraite du Sacré-Cœur, chacune des quarante méditations est le fruit d’une méditation évangélique de Dehon. Sur un ton familier, ces méditations ont la forme de dialogue autour des thèmes principaux de l’amour et de la miséricorde entre le disciple Ŕ celui qui médite Ŕ et le sauveur Ŕ le Christ dont l’amour se présente par le Cœur de Jésus. Chaque méditation se divise en trois points et le rappel du vécu de la dévotion au Sacré-Cœur de sainte Marguerite-Marie Alacoque est assez fréquent. Son nom apparaît en fait 28 fois. Cette répétition semble évidente puisque la piété dévotionnelle de cette époque ne peut se passe de citer cette grande figure, messagère du Sacré-Cœur.

Toutefois, si Dehon cite le nom de cette messagère et ses idées, il veut rappeler ainsi l’importance de cette sainte pour la dévotion au Sacré-Cœur. Il emprunte ainsi les écrits de la sainte pour exprimer sa propre dévotion, pour approfondir et souligner l’importance de cette dévotion qu’il faut vivre au quotidien. Pour illustrer cela, prenons par exemple la 39ème méditation :

« Mon Cœur [le Cœur du Seigneur] sacré est encore le temple du divin amour. C’est dans ce temple que mon Père reçoit des adorations et des louanges dignes de sa grandeur infinie….

Et ce Cœur vous appartient, c’est votre trésor et votre demeure. Offrez-le donc souvent à la sainte Trinité. Offrez tous les sacrifices qu’il offre pour vous; offrez-vous vous-mêmes et priez-le de vous accepter et de vous offrir en victimes d’amour….

Imitez en cela les âmes qui ont le plus aimé mon cœur: Gertrude, Mechtilde, Catherine de Sienne, Marguerite-Marie. J’avais enseigné à ces âmes à offrir sans cesse à mon Père les louanges, l’amour et les sacrifices de mon cœur pour suppléer à ce qui manquait à leurs propres offrandes.

Je [le Seigneur] disais à Marguerite-Marie: "Tu me présenteras à mon Père comme une victime d’amour immolée et offerte pour les péchés de tout le monde. Tu lui offriras les

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ardeurs de mon Cœur pour réparer la tiédeur de tant d’âmes et même de mon peuple choisi. Tu lui offriras la parfaite soumission de ma volonté à la sienne pour obtenir par mes mérites la consommation de toutes ses grâces et l’accomplissement de toutes ses volontés". »137

Cette méditation parle du règne du Sacré-Cœur de Jésus en l’homme. Elle invite les lecteurs à connaître Jésus, symbolisé par le Sacré-Cœur, et s’offrir à Lui afin d’adorer et de louer le Père dignement. Le dernier paragraphe du texte de la citation dit clairement que Marguerite-Marie s’est demandé comment réaliser le message reçu du Seigneur. Ce message est centré sur la réparation en devenant une victime d’amour parce que l’âme humaine est froide ou tiède au feu d’amour de Dieu pour elle. Alors, par cette citation, Dehon démontre d’abord sa propre dévotion en imitant ce que faisait la sainte messagère du Sacré-Cœur. D’ailleurs, il ne s’arrête pas là. Il cite ce texte en voulant en plus appeler ceux qui connaissent et aiment le Sacré-Cœur, ceux qui veulent s’unir au Sacré-Cœur pour louer dignement son Père et pour payer la dette de leurs péchés, à ainsi être victimes d’amour.

Et comment être cette victime et mettre en œuvre la demande de Jésus à la sainte messagère du Sacré-Cœur ? Dehon poursuit sa méditation pour le montrer :

« Mon Cœur [le Cœur du Seigneur] est encore pour vous [les hommes] la règle et le modèle des vertus. Il est le modèle spécial de l’humilité et sa charité surpasse tout. Méditez donc les mystères et la vie intime de mon cœur. Le matin rappelez-vous les mystères de ma vie cachée: mon incarnation, ma naissance, ma vie de Nazareth. Ces mystères vous enseigneront l’humilité, la pureté, le détachement des choses de la terre, l’esprit de prière, le zèle et le labeur constant et pieux.

L’après-midi, quand le poids du jour, la fatigue et les épreuves vous pèsent, pensez à ma passion et à ma mort, portez la croix avec moi et apprenez de moi la patience, le sacrifice, l’immolation.

Le soir, arrêtez-vous un instant au jardin de l’agonie et là déplorez avec moi les péchés des hommes et offrez mes larmes à mon Père pour réparer vos fautes.

Mon cœur est aussi votre refuge. Recourez à lui dans tous vos besoins. Il est un trône de grâces et un trésor inépuisable. Rappelez-vous ma promesse: «Venez à moi vous tous qui souffrez et je vous soulagerai » (Mt 11,28).

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Mon cœur sera aussi le lieu de votre repos, si vous le laissez bien régner en vous par la vie intérieure. Vous goûterez les joies surnaturelles qui ont enivré les saints. Vous vous reposerez comme saint Jean sur ma poitrine. Vous boirez à la coupe suave des grâces de mon cœur: « Haurietis aquas in gaudio » (Is 12,3). Votre vie intérieure sera un festin ininterrompu. Je souperai avec vous et vous avec moi (cf. Ap. 3,20). »138

Dans cette citation, Dehon décrit comment connaître Jésus, présenté par "mon Cœur" afin d’être victime d’amour. De plus, nous y voyons également les influences spirituelles de l’Ecole Française dans la pensée de Dehon quand celui-ci évoque l’appel de méditation sur l’Incarnation du Verbe Incarné, sur ses mystères et sur la vie intérieure.

Enfin, dans La retraite du Sacré-Cœur, nous remarquons aussi une caractéristique propre à la dévotion de Dehon, c’est-à-dire une mise en pratique de la méditation dans la vie de tous les jours. Il la présente à la fin de la méditation quarante de cette retraite. Citons ces lignes :

« Que votre règne arrive, Seigneur ! Que votre divin cœur règne parmi nous ! Je le désire ardemment et j’y veux travailler. Et je veux tout d’abord vous donner mon cœur ! Venez, vivez et régnez en moi. Donnez-moi votre esprit, faites-moi connaître votre volonté, dirigez et réglez toute ma vie. Faites aussi de moi l’apôtre ardent et zélé du règne de votre divin cœur dans la société. »139

En effet, il y a une nouveauté dans ces méditations : Dehon développe une idée sortie de l’esprit de la dévotion individuelle. Il a, en fait, donné une perspective qui s’exprime par une dimension sociale pour pouvoir avancer à la fois dans la spiritualité et dans la société de l’époque. A ses yeux, le culte au Cœur de Jésus ne consiste pas seulement en un exercice de piété ou à une simple dévotion mais en une véritable rénovation de toute vie chrétienne : Seigneur, « Faites aussi de moi l’apôtre ardent et zélé du règne de votre divin Cœur dans la société ». Il y a donc chez Dehon, un lien indissociable entre la spiritualité du Cœur de Jésus et un apostolat qui sait inventer les moyens correspondant à l’attente des hommes. Ce qui montre bien que, pour lui, la spiritualité est en soi un apostolat spécifique. Il appelle cette synthèse « le règne social du Sacré-Cœur » comme nous le verrons plus loin dans ce travail.

138 Ibid., p. 228.

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