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Chapitre VII: Synthèse et dicussion

C. Peut-on retracer l'activité du fleuve Var dans l'archive sédimentaire?

C. Peut-on retracer l'activité du fleuve Var dans l'archive sédimentaire?

Les dépôts provenant de courants hyperpycnaux sont des enregistrements directs de l'activité des fleuves et par extension de l'activité climatique continentale. Ils peuvent constituer un outil essentiel pour la paléoclimatologie. Il serait donc intéressant d'estimer dans quelle mesure les crues du fleuve Var peuvent s'enregistrer dans les dépôts marins.

De toutes les zones étudiées au cours de ce travail, la terrasse C, située sur la rive droite de la vallée supérieure présente le plus fort taux de sédimentation et est le site le mieux adapté pour retracer l'enregistrement turbiditique à l'échelle des cinquante dernières années. Cette approche réalisée par (Mulder et al., 2001b) sur la terrasse C4 au même niveau que IENV2-16 (Mas et al., soumis), a permis corréler le nombre de séquences hyperpycnales avec le nombre de crues dont le débit dépassait le seuil critique de 1227 m3.s-1 entre 1972 et 1994.

Pour estimer le nombre de courants de turbidité hyperpycnaux susceptibles d'avoir été générés, nous avons utilisé la courbe des débits instantanés maximaux relevés chaque mois (Figure VI-1). Le seuil de débit minimal nécessaire pour produire un courant de turbidité hyperpycnal est établi à 1227 m3.s-1 pour un plongement hyperpycnal direct (Mulder et al.,

1997b) et à 306 m3.s-1 pour un plongement par sédimentation convective (chapitre V). Les

mesures de débits entre 1973 et 2007, incomplètes, permettent de mettre en évidence que le débit instantané a franchi au moins 7 fois le seuil de 1227 m3.s-1 et au moins 44 fois le seuil de 306 m3.s-1 (Figure 13).

Figure VII-2: Compilations des débits instantanés maximaux enregistrés chaque mois à l'embouchure du fleuve Var entre 1973 et 2007. Les données entre 1973 et 1984 proviennent de (Mulder et al., 2001b), pour lesquelles les petites valeurs ont été supprimées. Les autres données proviennent du SCHAPI. La ligne rouge représente le seuil de débit critique nécessaire pour générer un courant de turbidité hyperpycnal tel qu'il a été estimé par (Mulder et al., 1997b). La ligne verte correspond au débit critique pour générer un courant de turbidité hyperpycnal par sédimentation convective.

L'activité du 137Cs est détectée à la base de toutes nos carottes. Afin de mieux contraindre la stratigraphie, nous avons postulé que la turbidite grossière décrite à partir de la côte 61 cm dans IENV2-15 et à partir de la côte 38 cm dans IENV2-16 (D50 >500µm contre en moyenne 25µm pour les autres séquences ; cf. Figure 12 dans Mas et al., soumis), correspond au dépôt du courant de turbidité de haute densité généré par l'effondrement de l'aéroport de Nice en 1979 (Gennesseaux et al., 1980; Malinverno et al., 1988; Piper et Savoye, 1993; Mulder et al., 2001b).

Au dessus de la turbidite de 1979, on recense entre 11 et plus de 23 séquences sédimentaires selon les carottes. Dans IENV2-16 (sub-terrasse C4), on recense 5 séquences ayant la signature d'une hyperpycnite, sur la base d'un terme granocroissant Ha surmonté d'un terme granodécroissant Hb (Mulder et al., 2001a). Dans IENV2-15 (C3), on recense 8 hyperpycnites. Dans les carottes de la sub-terrasse C2, on en recense au moins 8. Depuis 1979, le débit du fleuve a au moins dépassé 6 fois le seuil de 1227 m3.s-1 et 31 fois le seuil de 306 m3.s-1 (Figure VI-1). La corrélation des carottes nous a appris qu'un même courant de turbidité hyperpycnal peut déposer plusieurs types de séquences sédimentaires. Ainsi, il peut déposer une hyperpycnite complète (composée du terme Ha et Hb, cf séquence 4), ou seulement le terme Hb, (séquence 3), ou encore une séquence 5 (Mas et al., soumis). En corrélant toutes les séquences entre elles, au moins 11 événements sont avec certitude des courants de turbidité hyperpycnaux, dans la mesure où ils ont déposé une hyperpycnite complète dans au moins une carotte. Le nombre moyen d'hyperpycnites déposées, toujours supérieur au nombre de courants estimé par (Mulder et al., 2001b), confirme dans un premier temps que le seuil de débit utilisé par ces auteurs est trop haut (chapitre IV). Malgré tout, même si l'on considérait que toutes les séquences déposées puissent être des hyperpycnites, leur nombre reste inférieur au nombre de crues ayant un débit supérieur à 306 m3.s-1.

Deux hypothèses peuvent être avancées pour expliquer cela: (i) soit le seuil de déclenchement d’un courant de turbidité hyperpycnal est sous estimé, (ii) soit ces courants ne déposent pas de dépôt à chaque fois.

- (i): D'après les résultats présentés dans le chapitre V, nous savons que l'utilisation du débit liquide à l'embouchure ne peut suffire pour expliquer le déclenchement d'un courant de turbidité hyperpycnal, puisque d'une part la relation entre charge solide et débit liquide pourrait être mal calibrée et d'autre part un fort débit liquide n'est pas toujours associé à une forte charge sédimentaire. En ce sens, depuis 1979, certaines des 33 crues dont le débit liquide a dépassé le seuil de 306 m3.s-1 peuvent n'avoir pas suffisamment érodé le bassin versant pour générer une charge solide nécessaire à ce déclenchement. L'absence de mesures de débit sur les stations amont empêche d'affiner le nombre potentiel de courant hyperpycnaux générés. - (ii): La variabilité des dépôts, observée dans les carottes (chapitre VI), révèle qu'un événement peut ne pas déposer de séquence sédimentaire sur chaque terrasse et peut donc n'en déposer sur aucune terrasse. Cela est démontré par la comparaison des données de mouillages et des nouveaux dépôts (chapitre V), qui révèle que seulement quatre des six courants de turbidité hyperpycnaux ayant transité dans le chenal ont laissé une séquence sédimentaire. Si l'on ne considère que l'hypothèse (ii), le rapport entre le nombre de courants de turbidité hyperpycnaux potentiellement générés et le nombre d'hyperpycnites complètes enregistrées indique que 16% des courants pourraient déborder sur la sub-terrasse C4 et déposer une séquence capable d'être préservée à l'échelle décennale à centennale, contre 25% sur C3 et C2. Si l'on considère que toute les séquences pourraient être des hyperpycnites tronquées, le rapport passe à 35% sur C4, 64% sur C3 et peut être plus de 74% sur C2. La diminution du nombre de séquences observée depuis la sub-terrasse C2 jusqu'à la sub-terrasse C4 s'explique soit par l'augmentation de la distance à l'embouchure, qui diminuerait le nombre de courants

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capables d'atteindre les zones plus éloignées et d'y déposer du sédiment, soit par la diminution de la hauteur respective de ces sub-terrasses, ce qui favoriserait l'érosion et donc la non préservation des dépôts dans le temps.

Dans tous les cas, nos résultats indiquent qu'il est délicat voire impossible de retracer avec exactitude l'activité du fleuve à partir de l'archive sédimentaire, même sur une zone de dépôt préférentielle. De plus, il est impossible d'attribuer un dépôt à une crue particulière du fleuve car:

- Le nombre de séquences déposées, inférieure au nombre de crues ayant un débit supérieur à 306 m3.s-1 empêche une corrélation "pic à pic".

- Le nombre de séquences déposées change d'une carotte à l'autre ce qui ne permet pas de calibrer un éventuel nouveau seuil de déclenchement.

- Un même événement peut déposer des séquences de granulométrie, épaisseur, et faciès différents selon l'endroit. Cette variabilité latérale des dépôts ne permet pas d'estimer qu'une crue ayant un débit supérieur à une autre génèrera une hyperpycnite plus grossière et plus épaisse.

Si cette étude haute résolution de l'archive sédimentaire révèle qu'il est impossible de retracer l'activité annuelle exacte du fleuve Var, elle peut toutefois permettre d'appréhender les tendances de l'activité climatique continentale. En effet, en prenant du recul, nos résultats indiquent que la terrasse C a enregistré en moyenne 5 à 8 séquences hyperpycnales complètes sur 25 ans, soit l'enregistrement d'une crue tous les 3 à 5 ans. Cette partie du système turbiditique peut être vidangée par des événements de grande amplitude et les dépôts qui y sont préservés pourront permettre de retracer l'activité du fleuve à moyen terme, i.e. à l'échelle centennale (Tableau VII-1). Sur la partie occidentale de la Ride Sédimentaire du Var, on compte 5 à 7 séquences déposées sur les deniers 50 ans (Tableau VI-4). Si l'on considère que sur cette période de temps, les dépôts résultent en majorité du passage de courants de turbidité hyperpycnaux, on retrouve l'enregistrement d'une crue tous les 7 à 10 ans. Cet enregistrement de l'activité du fleuve peut potentiellement être remaniée par les courant de fond et la bioturbation, puisqu'elle est matérialisée par des dépôts de faible épaisseur et de faible granulométrie. Cependant, on peut estimer que ces dépôts auront peu de chances d'être totalement effacés de l'archive sédimentaire, car cette partie de la levée, haute, est peu soumise à l'érosion par les courants gravitaires. En ce sens, une partie de l'activité décennale à centennale du fleuve Var semble pouvoir être préservée dans l'archive millénaire à plurimillénaire de la Ride Sédimentaire du Var.