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Chapitre I: Les transferts sédimentaires et dépôts associés

A. Les transferts sédimentaires et leurs dépôts

2. Les écoulements gravitaires

2.3. Les écoulements turbulents

2.3.2. Classification des écoulements turbulents, en fonction de leur origine

Un écoulement turbulent peut être généré suite à une déstabilisation de pente ou bien être le prolongement en mer de l'écoulement turbide d'un fleuve (courant hyperpycnal) (Normark et Piper, 1991).

• Les écoulements turbulents générés par une déstabilisation de pente :

Selon le type de particules déplacées, la concentration et la durée de l'écoulement, la nature et le volume du dépôt résultant du passage d'un écoulement turbulent peuvent varier.

- Une bouffée turbide est un écoulement à durée de vie très courte (quelques heures à quelques jours) et de faible volume. L'injection de matériel est instantanée, il n'y a pas d'alimentation par l'arrière (Ravenne et Beghin, 1983). La bouffée turbide ne développe qu'un corps réduit (Middleton, 1966).

- Un courant de turbidité est caractérisé par une alimentation prolongée par l'arrière. L'écoulement est par conséquent composé d'une tête, d'un corps allongé, et d'une queue diluée. Il dure quelques heures à quelques semaines.

Les dépôts associés à un écoulement turbulent, ou « turbidite » sont décrits dans la célèbre « séquence de Bouma » (Bouma, 1962) (Figure I-3). La séquence est constituée d'une succession verticale de faciès génétiquement liés présentant un granoclassement normal de la base au sommet qui matérialise la diminution d'énergie du courant en un point donné au cours du temps.

Figure I-3: La séquence de Bouma (1962)

Le terme inférieur de la séquence, Ta, est le plus grossier (sable) et correspond à un dépôt d’écoulement concentré, contrairement aux termes sus-jacents qui correspondent aux dépôts d’écoulements turbulents (Mulder et Alexander, 2001). Des laminations planes sont observées au sein du terme Tb, et le terme Tc, constitué de sables très fins ou de silts, présente lui des stratifications obliques et/ou des convolutes. Le terme Td est formé par l’alternance de lamines silteuses et argileuses. Enfin, le terme Te correspond à des argiles très finement laminées ou sans structure. Il est très difficilement différenciable de la reprise de la sédimentation hémipélagique.

En réalité, cette séquence est rarement observée dans sa totalité. De plus, sa formation se limite à des particules avec une granularité silto-sableuse. Dans le cadre d'un écoulement turbulent concentré transportant des sédiments grossiers, les faciès déposés sont décrits en détail par la séquence de Lowe (Lowe, 1982). Les écoulements concentrés sont constitués d'une partie basale laminaire surmontée d'une partie supérieure turbulente (Mulder et al., 1997a). Au sein de la partie laminaire, le transport des sédiments s'effectue par traction ("traction carpet") (Figure I-3 ; Lowe, 1982) et génère la présence d'un granoclassement inverse.

(Stow et Shanmugam, 1980) ont complété le modèle de Bouma pour les turbidites argilo-silteuses (fine-grained turbidites). Les turbidites argilo-argilo-silteuses présentent le même type de faciès de dépôt que la séquence de Bouma, mais avec des tailles de grains beaucoup plus fines (Figure I-4). Cependant, en terme d'hydrodynamique, ce type de dépôt est considéré comme généré par des écoulements avec une concentration en particules beaucoup plus faible, une vitesse de déplacement réduite et une extension spatiale assez large (Stow et Bowen, 1980).

Figure I-4: Corrélations entre la séquence de Bouma (1962) les turbidites grossières composées de graviers et sables (Lowe, 1982) et les turbidites argilo-silteuses (Stow et

Shanmugam, 1980), (Shanmugam, 2000)

• Les courants hyperpycnaux :

Le concept d'écoulement hyperpycnal est donné en 1953 par Bates (Bates, 1953), même si l'hypothèse de leur existence avait déjà été formulée avant (Bell, 1942). Un courant hyperpycnal est une masse d'eau chargée de sédiments en suspension, dont la densité est supérieure à l'eau ambiante (Normark et Piper, 1991; Mulder et Syvitski, 1995). Par contraste de densité, ce mélange d'eau et de sédiment plonge et peut générer un écoulement de turbidité (Figure I-5 et I-6). Par extension, ce type de courant de turbidité est appelé courant hyperpycnal.

A. Les transferts sédimentaires et leurs dépôts

Figure I-5: écoulement hyperpycnal. La densité de l'écoulement (ρf) est supérieure à la densité de l'eau ambiante (ρw).

Le premier cas de plongement hyperpycnal a été reporté par Forel (1885; 1892) dans le lac Léman. Un écoulement hyperpycnal se forme plus facilement dans un lac d'eau douce qu'en mer, à cause du fort contraste de densité qui existe entre le panache turbide et l'eau douce. Ce phénomène a été par la suite étudié partout dans le monde, par exemple dans des lacs américains (en Colombie-Britannique: Gilbert, 1973; Carmack et al., 1979; Weirich, 1986), dans les lacs alpins (lac Walensee: Lambert et al., 1976), en Nouvelle Zélande (Lac Wakatipu: Pickrill et Irwin, 1982) ou au Japon (lac de rétention d'eau d'Hokkaido: Chikita, 1990).

La communauté scientifique a longtemps douté de l'existence des courants hyperpycnaux en milieu marin, puisque leur formation nécessite a priori une concentration très forte en sédiment, de manière à ce que cette eau turbide devienne plus dense que l'eau de mer, salée. Il était admis que cela pouvait arriver lors d'épisodes catastrophiques et inhabituels, quand une grande quantité d'eau douce et de sédiments est relâchée en très peu de temps. Ces crues catastrophiques peuvent par exemple être provoquées par des érosions de barrages naturels (e.g. Fjord du Saguenay: Syvitski et Schafer, 1996) ou des pluies torrentielles en milieu aride (Oued Al-Batha: Bourget et al., in press). Des crues catastrophiques, générées par des ruptures de barrages artificiels (Malpasset: Bellier, 1967) ou naturels (Vatnajökull: Gudmundsson et al., 1997) peuvent également provoquer des courants hyperpycnaux. Mais lors de ces évènements cités, le transport des particules se fait par charriage et la continuité en mer de l'écoulement s'apparente alors à un écoulement hyperconcentré (Mulder et al., 2009).

Figure I-6: Photographie aérienne de la formation d'un courant hyperpycnal au large de Skeidararsandur (Islande) en 1996, prise par Magnús Tumi Gumundsson et Finnur Pálsson,

(Mulder et al., 2003)

Mulder et Syvitski (1995) ont estimé qu'une concentration en sédiment de l'ordre de 36 à 43

kg.m-3 était nécessaire pour qu'une eau douce turbide puisse générer un écoulement

hyperpycnal en milieu marin. Ce seuil varie en fonction de la salinité et de la température de l'eau de mer à proximité de l'embouchure. Une revue statistique détaillée de 147 fleuves dans le monde a alors permis de mettre en avant que 71% des rivières étudiées étaient théoriquement capables de produire un courant hyperpycnal (Mulder et Syvitski, 1995).

Des travaux récents ont révélé la possibilité de former un courant hyperpycnal en milieu marin à partir d'un panache turbide très faiblement chargé en particules. Maxworthy (1999) a constaté qu'un panache d'eau douce turbide, avec une concentration particulaire à peine supérieure à 1 kg.m-3, se révélait instable lorsqu'il était injecté à la surface d'un bassin d'eau salée. Ce processus a également été observé en milieu naturel, dans le canyon de Monterey, instrumenté depuis 12 ans. Johnson et al. (2001) y ont observé des courants hyperpycnaux caractérisés par des salinités plus faibles, une température plus élevée que l'eau ambiante et une concentration particulaire élevée. Le processus de reconcentration qui résulte de ces instabilités gravitationnelles est nommé sédimentation convective. Elle prend la forme de digitations chargées en sédiments qui chutent depuis la base du panache et qui peuvent atteindre le fond et générer un courant hyperpycnal (Figure I-7). Ce phénomène de reconcentration peut être localement accru à l'interface entre le panache et l'eau ambiante. La turbulence qui y règne pousse les particules entre les vortex turbulents, et augmente ainsi leur concentration et donc, la vitesse de chute du panache (Maxey, 1987).

A. Les transferts sédimentaires et leurs dépôts

Figure I-7: photographies de l'évolution d'une sédimentation convective. L'écoulement hyperpycnal est généré au temps (e) (Maxworthy, 1999)

A partir d'une concentration de 5 kg.m-3, la sédimentation convective est suffisamment

vigoureuse pour permettre la reconcentration et pour maintenir la chute des digitations, même au travers d'eaux stratifiées (Parsons et al., 2001). Ce phénomène serait à l'origine des dépôts terrigènes fins reliés à l'augmentation des débits du fleuve Nil associée aux périodes climatiques pluvieuses du Quaternaire (Ducassou et al., 2008).

En sachant que le seuil de concentration nécessaire pour générer un écoulement hyperpycnal peut être baissé de 42 à 5 kg.m-3, et en reprenant la même analyse statistique que Mulder et Syvitski (1995), il apparaît que 84% des rivières précédemment recensées peuvent produire des écoulements hyperpycnaux en milieu marin, avec une périodicité inférieure au siècle (Mulder et al., 2003). De nombreux travaux démontrent l'existence de courants hyperpycnaux en milieu marin, par exemple au niveau des fjords et anciens deltas marins glaciaires (Zeng et al., 1991; Carlson et al., 1992; Plink-Björklund et Steel, 2004), ou en milieu marin plus ouvert, par exemple au large du fleuve Jaune (Wright et Friedrichs, 2006; Wang et al., 2007), au large des rivières sud-californiennes (Warrick et Milliman, 2003), à Taiwan (Dadson et al., 2004; Milliman et al., 2007; Chiang et Yu, 2008) ou encore en Mer Centrale du Japon (Nakajima, 2006).

Un écoulement hyperpycnal est un courant de turbidité, mais quelques particularités rendent son comportement hydrodynamique différent de celui d'un courant de turbidité généré par un glissement. En règle générale, un écoulement hyperpycnal est moins concentré qu'un écoulement turbulent généré par une déstabilisation de pente, et le gradient vertical de concentration en particules y est moins marqué (Mulder et Alexander, 2001). La vitesse d'un écoulement dépend de de la pente, mais aussi de son épaisseur et de sa densité (Brown et al., 1989). En ce sens, un écoulement hyperpycnal, moins dense, sera plus lent qu'une bouffée turbide, comme le confirme des expériences en laboratoire menées par Alexander et Mulder (2002). L'évolution temporelle des vitesses de l'écoulement hyperpycnal est dépendante de l'hydrogramme de crue.

La séquence de dépôt d'un écoulement hyperpycnal, ou "hyperpycnite" (Mulder et al., 2002) traduit l'évolution de l'hydrogramme de crue. Lors de la montée en charge de la crue, la vitesse de l'écoulement augmente avec le temps. La granulométrie des dépôts associés

augmente proportionnellement et l'écoulement déposera une unité basale granocroissante (Ha). Lors de la décrue, la vitesse de l'écoulement diminue avec le temps. La granulométrie des dépôts associés décroît proportionnellement et l'écoulement déposera une unité sommitale granodécroissante (Hb). Le terme Ha est généralement moins développé que le terme Hb, puisque l'augmentation de la vitesse de l'écoulement diminue la vitesse de chute des particules (Kneller et McCaffrey, 1995). La transition entre ces deux unités correspond à la taille de grain maximale et marque approximativement le pic de crue. Selon l'amplitude de la crue, la transition entre les deux unités peut être progressive (courbe 2 dans la figure I-8), nette (courbe 3) ou même érosive (courbe 4). Lors d'une crue de forte amplitude, l'érosion générée au moment du débit maximum peut être suffisamment forte pour effacer le terme Ha de l'archive sédimentaire (Mulder et al., 2003). Dans ce cas, la séquence hyperpycnale se confond avec le dépôt résultant d'un courant de turbidité généré par une instabilité (séquence de Bouma). En fonction des variations de débit pendant la crue du fleuve, l'écoulement hyperpycnal induit peut présenter des variations de vitesse qui vont générer le développement inégal des différents termes de la séquence, et même de petites surfaces d'érosion intraséquentielles (Duringer et al., 1991). Finalement, au même titre que pour la séquence de Bouma, une séquence hyperpycnale typique et complète reste une exception en milieu naturel.

Figure I-8: faciès et séquences déposés en fonction de l'amplitude de la crue du fleuve. (1) Crue de très faible amplitude. Le débit maximal n'atteint pas le seuil critique pour générer un écoulement hyperpycnal. Le sédiment se dépose par décantation et pourra être remobilisé par la suite dans une bouffée turbide. (2) Crue de faible amplitude. Le pic de débit dépasse le seuil critique et un écoulement hyperpycnal est généré. La transition entre le terme granocroissant (Ha) et granodécroissant (Hb) est progressif. (3) Crue de moyenne amplitude. La séquence est identique à la 2, mais plus épaisse et plus grossière. (4) Crue de forte amplitude. Le débit au pic est si élevé que l'écoulement hyperpycnal peut devenir érosif entre Ha et Hb (Mulder et al., 2001a).

A. Les transferts sédimentaires et leurs dépôts

Comme une turbidite classique, une hyperpycnite peut être formée de tailles granulométriques variées. La plupart des hyperpycnites décrites sont composées de sédiments allant du silt au sable moyen (Brunner et al., 1999; Mulder et al., 2001a; Plink-Björklund et Steel, 2004; St-Onge et Lajeunesse, 2007; Bourget et al., in press). Les hyperpycnites argilo-silteuses existent également, mais leur reconnaissance est très délicate et elles sont peu recensées (Nakajima, 2006; Soyinka et Slatt, 2008). La séquence de dépôt se compose toujours des termes Ha et Hb, mais sur des épaisseurs réduites allant de quelques millimètres à centimètres (Figure I-9).

Figure I-9: Exemple d'une hyperpycnite argilo-silteuse observée dans le complexe deltaïque ancien (Crétacé Supérieur) du Wyoming USA (Soyinka et Slatt, 2008).

B. La variabilité spatiale des dépôts sédimentaires – influence de la morphologie sur