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Chapitre 2 : Les modèles de la Bible.

C. Patientia et lectio divina

IV. Retour sur les différents modèles

IV. Retour sur les différents modèles.

Nous avons constaté que l’Éloge d’Avit renferme un florilège de modèles proposés à Fuscine. Ces modèles incarnent des vertus chrétiennes. Ils se divisent en deux catégories : des exempla bibliques et un exemplum hagiographique.

Débora est une prophétesse israélienne. Barak, chef militaire qui combat l’armée du roi Jabin, n’est pourtant pas responsable de la victoire militaire. Au contraire, la victoire est associée à l’intervention de Débora, même si nous savons que ce n’est pas elle qui a commandé l’armée, mais bien Barak. C’est Avit qui est responsable de l’inversion des rôles occupés dans le Livre des Juges. Le recours à cette liberté par rapport au récit biblique a une visée particulière : transmettre à Fuscine les caractéristiques d’un héroïsme féminin. Ainsi, c’est l’image d’une guerrière qui combat pour la foi, avec force et bravoure qui doit être retenue.

Judith est une veuve béthulienne et son histoire s’insère dans la même atmosphère guerrière que la précédente, en ce sens où toutes les deux sont des femmes dites viriles. Cependant, par les actions déployées, le Livre de Judith représente les valeurs morales qu’une héroïne chrétienne doit incarner. Lorsque la Béthulie sera en danger face à l’armée d’Holopherne, Judith décide de prendre les armes différemment : c’est par la séduction qu’elle va triompher. Une militarisation du discours se poursuit et nous comprenons que l’usage des charmes séculiers représente pour Judith une façon de guerroyer. Au lieu du casque, de l’armure et du glaive, Judith se lave, se parfume, se coiffe, se dépouille des habits du veuvage et se pare de multiples bijoux. Sa beauté devient son arme et c’est bien grâce à elle qu’Holopherne relâche sa garde. Il meurt la tête tranchée et par les mains d’une femme.

Cette histoire symbolise trois éléments : les soins portés au corps et les parures servent à séduire et à tromper. La beauté et les parures sont des armes séculières, une femme peut donc causer la perte d’un homme. L’élément le plus éloquent est sans doute qu’après avoir vaincu Holopherne, Judith refuse tous les biens lui ayant appartenus pour les donner à son peuple. Sa réaction d’abandon témoigne qu’elle n’accorde pas de valeur

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aux richesses terrestres parce qu’elles sont associées à des armes. C’est la compréhension allégorique de Judith qu’Avit propose à Fuscine.

Suzanne est une jeune femme babylonienne fidèle à son mari. Dans le Livre de Daniel, elle est la victime de deux vieillards libidineux qui la diffament en l’accusant d’adultère, parce qu’elle s’est refusée à eux. Grâce à l’intervention de Daniel, sa chasteté est préservée, car elle incarne la vertu de la castitas et non de la virginitas. Nous avons aussi établi que le choix de cette femme dans l’Éloge allait servir à représenter deux types d’épouses : l’épouse terrestre et l’épouse spirituelle. Fuscine, en tant que sponsa spiritualis Christi, peut s’identifier à la deuxième catégorie.

Daniel et Joseph, les deux modèles masculins bibliques dont l’utilisation démontre un héritage paulinien, incarnent tous les deux la jeunesse et le courage. Pour Daniel, trois histoires sont mentionnées : l’histoire de Suzanne, celle des trois jeunes dans la fournaise et l’histoire de Daniel dans la fosse aux lions. Ces récits ont été choisis afin de montrer à Fuscine qu’il est possible d’incarner une jeunesse courageuse aussi bien qu’une figure d’autorité. Dans le cas de Joseph, l’histoire dégage un autre message. Diffamé par la femme de son maître par vengeance, il subit l’emprisonnement. Cependant, après deux années, le pharaon le libère et l’élève au statut de commandant. Pour Avit, le récit montre que l’honnêteté du chrétien est toujours récompensée. Joseph n’a en effet pas répondu aux avances de sa maîtresse et c’est pourquoi il passera respectivement de l’affliction à la distinction. De la même façon, Fuscine ne doit pas se décourager face à l’adversité, car la promesse d’une meilleure condition lui est offerte à travers un récit hagiographique.

Eugénie est une vierge-martyre de l’Antiquité tardive. Avit dresse une compréhension de son histoire en deux temps. Sa vita retrace ses aventures avant et après qu’elle découvre les épîtres pauliniennes. Sa passio témoigne des différentes épreuves qu’elle a subies : les tentations, la vengeance de Mélanthia et les souffrances physiques infligées au martyre. Eugénie est donc la seule représentation d’un idéal chrétien qui éprouve de la douleur physique. Elle est une héroïne courageuse, endurante et patiente. Sa détermination est inébranlable et sans limites : son travestissement traduit son besoin de fuir les obligations familiales attendues d’elle. De plus, sa position se distingue au rang de sainte par l’issue de sa mort, certes, mais aussi par une série de refus et de renonciations :

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conditions nécessaires à la perfection chrétienne.186 Nous avons analysé ces éléments à travers les plaisirs et les biens terrestres offerts par Mélanthia, l’allégorie de la tentation.

Dans une logique hagiographique, la compréhension d’une vita ou d’une passio passe par l’imitatio du Christ. Cependant, le devoir du croyant est de s’approcher du modèle à défaut de pouvoir le reproduire strictement. C’est pourquoi cette imitatio sancta équivaut plutôt à une tentative dans laquelle le croyant doit s’inspirer et s’identifier au système des valeurs promu par le saint.187

Cette identification devient possible par la lecture et nous savons qu’Eugénie est l’illustration parfaite d’une femme qui s’est transformée et qui s’est éduquée par la lectio divina. Ainsi, nous savons que ce sont les épîtres pauliniennes qui vont modeler une attitude particulière chez Eugénie. Dans le même ordre d’idées, la lectio de l’Éloge consolatoire doit aussi servir ce type d’objectif : transformer et éduquer.

Nous constatons donc qu’Avit a fourni un florilège d’exemples à Fuscine, de prophétesse, de guerrière, d’épouse, de veuve, de sainte, de martyre, de savante, de femme chaste ou de vierge. Tous les modèles sont reconnus par Avit comme étant dignes à enseigner, par leurs histoires respectives, des vertus comportementales et morales à Fuscine.

Dans la prochaine section, nous verrons que cet aspect pédagogique ne s’est pas limité à fournir seulement des christiana exempla. Au contraire : cet apprentissage se complexifie. Avit poursuit l’instruction donnée à Fuscine en puisant dans la tradition patristique, notamment de Tertullien, d’Ambroise, de Jérôme et d’Augustin qui constituent des sources d’inspiration à son argumentaire.

186 André Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen âge : d’après les procès de canonisation et les documents hagiographiques, Paris, Rome, École française de Rome, 1981, p. 224. 187 Gordon Blennemann, « Martyre et prédication : adaptations d’un modèle hagiographique dans les

sermons de Césaire d’Arles », dans Normes et hagiographie dans l’Occident latin (Vie-XVIe siècle), édités par Marie-Céline Isaïa et Thomas Granier, 4-6 octobre 2010, p. 256.