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Chapitre 2 : Les modèles de la Bible.

B. Judith, la bellatrix

Le deuxième exemple de l’Ancien Testament se retrouve dans le Livre de Judith. Ce dernier contient dans son déroulement des similitudes événementielles et comportementales avec le premier modèle. Ce récit biblique évolue également dans une atmosphère guerrière dans laquelle le courage féminin est glorifié.

L’histoire débute par l’appel du roi d’Assyrie, Nabuchodonosor, à Holopherne, chef de son armée, afin d’assouvir sa soif d’expansion territoriale. Ce général a pour mission d’aller conquérir en son nom le royaume d’Israël. Sur son passage, il sème la terreur, le massacre et brûle les récoltes.

La Béthulie est alors en danger face à l’armée du roi. Achior, prophète du royaume d’Israël, est abandonné aux mains des béthuliens par le général. Ce dernier étant pacifiste, recommande d’être patient et de prier, afin d’obtenir une victoire sans armes. Cependant, après plusieurs jours d’attentes, le peuple finit par s’agiter, par se demander où peut bien être Dieu. C’est là qu’entre en scène Judith.

Veuve de Manassès depuis trente ans, elle vit dans une chambre retirée de sa maison, accompagnée de ses servantes. Elle jeûnait souvent et pratiquait la mortification de son corps avec un cilice ceint autour de ses reins. Cette réalité rappelle les premières formes de l’ascétisme féminin en Orient et pendant le christianisme primitif : la domestica ecclesia.124

124 Patrick Laurence, Jérôme et le nouveau modèle féminin : la conversion à la “vie parfaite”, Paris, Institut

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Elle va réprimander l’impatience du peuple en clamant : « […] Qui donc êtes-vous pour tenter Dieu en ce jour et pour vous dresser au-dessus de lui parmi les enfants des hommes? Et maintenant vous mettez le Seigneur Tout-puissant à l’épreuve! »125 Elle va leur parler des tourments et des épreuves d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et de Moïse. Tout ce qu’elle dit est reconnu par le peuple comme étant dicté par Dieu : ce qu’elle dit est vrai. C’est pourquoi elle clame devant eux de lui donner cinq jours et de prier pour la réussite de son plan, afin de sauver la Béthulie.

Avant de partir vers le camp ennemi, elle entre dans un oratoire pour prier en demandant la perdition d’Holopherne : « […] envoie ta colère sur leurs têtes, donne à ma main de veuve la vaillance escomptée. Par la ruse de mes lèvres, frappe l’esclave avec le chef et le chef avec son serviteur. Brise leur arrogance par la main d’une femme. […] Donne-moi un langage séducteur, pour blesser et pour meurtrir […] ».126 Le plan de Judith consiste donc à précipiter la fin d’Holopherne en le séduisant.

Le soir même, elle se prépare à guerroyer : elle se lave, se parfume, se coiffe, elle se départit de l’habit de veuve, elle s’ornemente avec des bracelets, des colliers, des boucles d’oreilles et des anneaux. Le Seigneur augmente l’éclat de sa beauté et la rend incomparable « parce que tout cet ajustement avait son principe, non dans la volupté, mais dans la vertu ». Accompagnée par sa servante, elle arrive au poste des Assyriens et use de sa beauté : annonçant faussement la défaite des Hébreux, elle aurait pris la fuite pour livrer au général une stratégie qui ne lui fera perdre aucun soldat.

Holopherne est immédiatement séduit par Judith. Sa beauté, ses belles paroles et ses ornements l’affaiblissent. Elle le séduit et toutes ses requêtes sont alors acceptées. Le quatrième jour, un banquet est organisé durant lequel le chef espère la voir céder à ses désirs. Cependant, la guerrière va profiter de l’occasion et exécuter son plan meurtrier lorsqu’ils se retrouveront seuls sous la tente d’Holopherne, alors qu’il est endormi,

125 La Bible, 8 ; 12-13, p. 714. 126 La Bible, 9 ; 9-10 et 9 ; 13, p. 716.

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vulnérable et ivre. Par l’épée du général, elle lui tranche la tête. À ce moment précis, Judith « […] frapp[e] pour Dieu […] [et] sauv[e] Béthulie. »127

À la lumière de ce qui précède, Avit a su résumer sa péripétie en mettant de l’avant le pouvoir séducteur et trompeur des parures portées par Judith. Ensuite, l’évêque concilie au nom de la foi, la possibilité de parvenir à une victoire chrétienne, en utilisant les coquetteries féminines au service de la femme dont les actions et les comportements contribuent à la rendre « virile » aux yeux d’Avit. « […] [L]es mensonges de la chaste Judith lorsque le satrape est enflammé par la ruse de son visage paré, lorsque, femme méprisant le lit obscène, elle demeure immobile et qu’elle arrête son féroce regard par sa tête coupée […] ».128

Une fois son œuvre accomplie, Judith et sa servante rentreront à Béthulie et la tête du général sera placée sur les remparts de la ville. L’armée, effrayée et désorientée de savoir leur chef vaincu, va s’enfuir pour être finalement vaincue par les Béthuliens, ragaillardis par le courage de Judith.

Pourquoi avoir choisi cette histoire? Quelles valeurs ascétiques prône-t-elle pour avoir jugé important de l’inclure? C’est la fin du récit qui explique le choix d’Avit : les actions posées par Judith envers les richesses d’Holopherne vont représenter en soi un modèle religieux à suivre. En effet, une fois la menace anéantie, « [t]out ce qu’on [a] reconnut avoir appartenu à Holoferne, l’or et l’argent, les vêtements, les pierres précieuses et tous les objets divers, on le donna à Judith, et tout cela lui fut abandonné par le peuple. »129 La réaction de la veuve témoigne de deux choses.

D’abord, elle se montre insensible face aux diverses parures et aux biens matériels parce que les véritables richesses sont divines et non temporelles. Ensuite, selon l’objectif de sa mission, Judith associe différemment le pouvoir des richesses. Pour elle, embellir son

127 Jacqueline Kelen, Les femmes de la Bible : les vierges, les épouses, les rebelles, les séductrices, les prophétesses, les prostituées, Gordes, Frances, Éditions du Relié, 2007, p. 99.

128 Avit de Vienne, Éloge consolatoire de la chasteté (sur la virginité), éd. par Nicole Hecquet-Noti, Paris,

les éditions du Cerf, collection Sources chrétiennes, no 546, 2011, p. 164-165 : « […] castae mendacia Iudith, ornati cum fraude satraps accenditur oris, cum manet inludens obscenum femina lectum desectoque feros conpescit uertice uisus ; […] ».

129 Catholique.org, Livre de Judith, [en ligne], https://bible.catholique.org/ (page consultée le 9 décembre

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corps à l’aide de différentes parures n’est pas un acte innocent, car ce sont des armes pour séduire et pour tromper.

À la lumière de ce qui vient d’être dit, le lecteur sera amené à réaliser la possibilité de faire des liens entre les récits bibliques et les idéologies patristiques de Tertullien, d’Ambroise, de Jérôme ou d’Augustin. Par exemple, lorsque Judith porte des bijoux, soigne son corps et choisit de beaux habits pour séduire Holopherne, tout ceci fait référence au legs tertullien : le cultus, l’ornatus et le vestitus.130

Dans le prochain chapitre, dans la section des héritages patristiques, nous tenterons l’exercice de manière plus approfondie. Nous verrons que les actions de Judith en tant que guerrière pourront être reliées à une influence hiérominyenne.