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Chapitre 4 : L'héritage patristique.

D. Le péché originel et ses conséquences : Augustin

3. Divergence avitaine : la puissance du diable dans la Genèse

parents face à la première tentation. Selon Augustin, le fait d’avoir croqué le fruit défendu a été permis à cause du libre arbitre, soit la liberté de l’homme de choisir entre le bien et le mal. L’apparition du malus apparaît comme étant la conséquence de cette expérience. En effet, Augustin croit que Dieu, étant bon et créant toutes choses bonnes, n’a pas pu créer quelque chose de mauvais. Dans ce contexte, l’arbre de la connaissance du bien et du mal, une création divine, ne peut être mauvais. Au contraire, ce qui devient mauvais, c’est la transgression du précepte : ne pas manger du fruit défendu.350 Ainsi, c’est l’acte de désobéissance qui engendre le mal. Autrement dit, lorsque les premiers parents ont écouté leur propre-volonté au détriment de la volonté divine, ils sont tombés dans l’orgueil. Se croyant alors maîtres d’eux-mêmes, ils ont transgressé ce précepte parce qu’ils n’ont plus reconnu Dieu comme étant leur maître. Ce faisant, Adam et Ève se sont élevés au rang de Dieu par auto-proclamation et en suivant leur propre-volonté : manger le fruit défendu. La

349 Peter Brown, Le renoncement à la chair : Virginité, célibat et continence dans le christianisme primitif,

Paris, Éditions Gallimard, 1995, p. 488.

350 Augustin, La genèse au sens littéral (livres VIII-XII). De genesi ad litteram, libri duodecim, éd. par P.

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naissance du malus se traduit alors par des actes de désobéissance humaine et par tout ce que cela sous-entend : la volonté propre, l’orgueil, la révolte du serviteur, la perverse imitation de Dieu et la liberté nocive.351

À la lumière de ce qui précède, nous pouvons établir que l’expérience du mal est une expérience humaine. En effet, l’humain étant un être muable (qui change, qui se perfectionne, qui régresse) a provoqué la naissance du mal.352 Le diable ne peut ainsi pas avoir introduit le mal puisque son rôle, permis par Dieu, se limite à la tentation de l’Homme. Donc, c’est l’accomplissement de l’acte par Adam et Ève qui engendre le mal : la désobéissance par rapport à la volonté divine.

Avit, quant à lui, écarte l’idée du libre arbitre en exagérant le rôle dévolu au diable. Par exemple, en usant d’une certaine liberté biblique, il change la manière dont la pomme est introduite dans le récit. Dans la Genèse, c’est Ève qui décroche la pomme, mais dans sa version, c’est le serpent qui la décroche et qui la présente à la femme.353 Ce détail est important selon nous, car il augmente son pouvoir suggestif et transforme l’être humain en une victime incapable « de résister au maître du mal. »354

a) L’orgueil contre l’humilité.

Cette conception avitaine tient comme conséquence que la vierge, parce qu’elle incarne une pureté perdue par la majorité des hommes, se verra davantage tourmentée par « [d]es métamorphoses trompeuses ».355 Le diable, figure mensongère, se transforme donc pour tenter. Il incarne ainsi une figure métamorphique de la tentation. C’est pourquoi l’auteur invite Fuscine à demeurer humble en tout temps : « Vois où est conduite toute femme, qui, tandis qu’elle se vante du nom de vierge, ne sait pas qu’en elle bouillonne un

351 Augustin, La genèse au sens littéral (livres VIII-XII). De genesi ad litteram, libri duodecim, éd. par P.

Agaësse et A. Solignac, Paris, Desclée de Brouwer, 1970-1972, p. 55.

352 Ibid., pp. 57-58.

353 Avit de Vienne, Histoire spirituelle, tome I, (chants I-III), éd. par Nicole Hecquet-Noti, Paris, Éditions

du Cerf, 1999, p. 179.

354 Ibid., p. 176. 355 Ibid., p. 195.

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esprit lourd de péchés. »356 Rappelons-nous, dans la section dédiée à l’héritage hiéronymien, que nous avons pu établir, dans la tradition chrétienne, la définition de l’humilité : la reconnaissance de l’incapacité humaine à faire le bien sans une assistance divine. Par conséquent, la virginité de la moniale, étant une grâce, une aide offerte par Dieu, ne provient pas de la vierge en elle-même : « […] Dieu est là qui opère en vous à la fois le vouloir et l’opération même, [le faire], au profit de ses bienveillants desseins. »357

Mais comment expliquer que la vierge puisse être davantage tentée ? Plus le bien conservé est grand, plus le risque de tomber dans l’orgueil, ennemi de l’humilité, sera grand à cause de la distinction de la récompense promise. C’est ce qu’entend sans doute Avit lorsqu’il dit : « les récompenses seront attribuées d’après vos justes mérites ».358

Selon Augustin, l’orgueil constitue l’une des tentations éprouvées par les premiers parents au moment de la désobéissance envers Dieu. Pourquoi ? Parce que l’orgueil se définit comme étant l’amour de sa propre excellence et puissance. La reconnaissance, les louanges, le pouvoir, tout ceci a permis à l’Homme de s’autoproclamer maître de lui-même. « Quand l’homme vit selon lui-même, c’est-à-dire selon l’homme, il ne vit p[lus] selon Dieu, mais selon le mensonge. »359 C’est précisément là où l’ordre de subordination parfaite qui commande le corps au service de l’âme a été perdu, car les sens deviennent vainqueurs à partir du moment où « [l]a femme vit que l’arbre était bon à manger et séduisant à voir, […]. Elle prit de son fruit et mangea ».360

Le comportement d’Ève mène ici à une conception et à une construction de la femme. Selon Mieke Bal, il s’agit de « la sémiotisation du féminin »361 dans le sens où une chaîne automatique d’actions et de réactions est associée, puis justifiée, par la présence

356 Avit de Vienne, Éloge consolatoire de la chasteté (sur la virginité), éd. par Nicole Hecquet-Noti, Paris,

les éditions du Cerf, collection Sources chrétiennes, no 546, 2011, pp. 170-171 : « En quo perducitur omnis, nomine uirgineo quae se dum iactitat, intus criminibus grauidam nescit turgescere mentem. »

357 La Bible, 2 ; 13, p. 1952.

358 Avit de Vienne, Éloge consolatoire de la chasteté, pp. 152-153 : « […] meritis reddentur praemia iustis.»

359 Augustin, La cité de Dieu. De civitate Dei, éd. par Lucien Jerphagnon, Paris, Gallimard, 2000, p. 552. 360 La Bible, 3 ; 6, p. 23.

361 Mieke Bal, « Plaisir, péché et peine : l’émergence du personnage féminin », Femmes

imaginaires. L’Ancient testament au risque d’une narratologie critique, Montréal, Éditions Hurtubise

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d’un personnage féminin. Sous cet angle, l’association permet d’expliquer l’action. Ainsi, Ève est associée à un être inférieur et dotée d’une faiblesse morale parce qu’elle est la seconde dans le processus de création. C’est cette faiblesse morale qui fait d’elle la cible de la corruption362 et explique, par le fait même, la raison pour laquelle elle désobéit au précepte divin.