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Retour du mythe

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CHAPITRE III Sciences

1.4. Retour du mythe

Laissons l'homme commun et ses mythes de consolation...dans les ténèbres...et revenons au royaume de la science et de la connaissance, en compagnie de quelques "grands" penseurs.

Commençons par E Morin52, qui intitule l'un des paragraphes de son livre (opus cité page141, « Les idéo mythes ». Cet extrait d'abord d'une lettre de Freud à Einstein :

« Peut-être avez-vous l'impression que nos théories sont une sorte de mythologie...Mais est-ce que toute science de la nature ne se ramène pas à une sorte de mythologie? Aujourd'hui en va-t-il autrement de la physique?»53. Revenons quelques lignes plus haut :

«On a pu s'étonner de la résistance des grandes religions et même de leurs contre-offensives victorieuses sur les terres désolées du désenchantement et du nihilisme. Mais il faut surtout voir ce que n'avait pas vu Max Weber : La réinvasion du mythe et même de la religion dans les systèmes d'idées apparemment rationnels.» Puis :

« Tout passage à l'être d'un système d'idées comporte un potentiel mythologisant. Toute idéalisation/rationalisation doctrinaire tend à auto transcendaliser le système. Dés lors le mythe peut s'installer au noyau du système et diviniser les idées maîtresses[...] Les thémata sont des idées obsessionnelles qui tendent à se charger de forces mystiques[...]Le mythe a envahi ce qui lui semblait le plus hostile et qui était censé l'avoir liquidé(page 143) [...] Dés lors, l'idéologie contient souterrainement en son cœur les structures de la pensée symbolique-magique - mythique, cachées sous celles de la pensée logique-empirique-rationnelle.(page 144) »

*

L'un des buts déclarés de la science est la libération de l'esprit humain enchaîné à des croyances brisant ses élans vers la liberté. Malheureusement, cette vérité la science est incapable de lui donner un contenu clair aux yeux qui n'appartiennent pas à part entière à l'univers scientifique ; elle se laisse seulement deviner ; ce qui est loin d'être suffisant pour donner aux hommes du commun le sentiment, que sur ce plan, la science peut être à la hauteur de ses ambitions. Sait-on exactement de quels carcans elle doit nous libérer ? Certes les arguments ne manquent pas qui glorifient le rôle de la science, et le catalogue de ses bienfaits est bien rempli. Mais est-il sûr que cette avalanche de biens diminue globalement les contraintes qu'elle fait aussi naître54 ?

La science s'impose aujourd'hui à l'homme comme un irrésistible destin. Non seulement pour les multiples chemins qu'elle a permis d'ouvrir dans le domaine du savoir, mais parce qu'elle est devenue indispensable à l'humanité pour la maîtrise d'un environnement qu'elle a largement contribuer à perturber (pour ne pas dire plus !). Les nostalgiques d'un soi-disant âge d'or,

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Il serait sans doute plus juste de dire que, resté à l'état endémique, il trouve dans le contexte créé par la coupure dont il a été question au paragraphe précédent, de nouvelles conditions d'épanouissement.

52

La méthode 4, Seuil 1991.

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Note 1, page 142, opus cité.

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Un seul exemple, celui du développement des armes de destruction.

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où l'homme faisait corps avec la nature, où justement le discours mythique répondait à toutes les interrogations fondamentales, n'ont plus à rêver, c'est vers une nouvelle alliance qu'il faut évoluer, au-delà, peut-être du discours scientifique, mais sans lui tourner le dos, car les vérités dont il a permis l'éclosion ne pourront plus jamais s'éteindre, en dépit des efforts de certains courants de pensée dont l'inconsistance - et l'inconséquence - est dramatique55. Mais le combat contre l'obscurantisme - il s'agit bien de cela même si l'expression est désuète et sent un peu le dix-neuvième siècle - est loin d'être gagné, car si la science a ruiné la quasi totalité des croyances mythiques, celles qui sont communes à toutes les civilisations y compris la nôtre, couvent, et même battues en brèches, renaissent, comme l'a souligné E Morin, à partir des secteurs les plus avancés de la science. Cette difficulté de la science à se débarrasser des vieux démons qui la hantent était déjà soulignée par E Cassirer à qui nous avons déjà largement mis à contribution :

«Toute théorie qui vise à expliquer le monde trouve sur sa route dés son apparition une autre force spirituelle, celle du mythe [...] Pour se défendre vigoureusement contre elle, la philosophie et la science doivent non seulement remplacer dans le détail les explications mythiques par d'autres explications, mais encore contester et condamner dans sa totalité la conception mythique de l'être et de l'événement.»56

Cette « conception mythique de l'être », justement, non seulement échappe aux coups de la science qui, ne répond, normalement qu'aux comment, mais envahit le domaine des pourquoi qui s'inscrit en filigrane dans le discours scientifique qui se trouve « infecté » malgré ses efforts. Gardons-nous cependant des faux procès. Même si l'on ne peut accorder à la science une confiance aveugle et absolue, il n'en est pas moins vrai qu'elle est et restera la seule source de vérité57 concernant notre univers Ce qu'elle ne

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Je pense en particulier aux créationnistes qui livrent un stupide combat d'arrière-garde

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Logique des sciences de la culture, page 120, Ed du Cerf.

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Il s'agit évidemment de vérité relative. Mais il existe cependant un domaine où l'on peut parler de vérité absolue, c'est celui de la science théorique, les mathématiques en particulier. Il faut malgré tout préciser que cette vérité découlant d'un contenu axiomatique, est à son tour relative à ce contenu. Elle est donc absolue dans la mesure où rien ne peut la remettre en cause. En ce sens, la théorie newtonienne de la gravitation est, en soi une théorie vraie absolument ; par contre dans la cadre global de la physique, elle n'est vraie que relativement à certaines conditions expérimentales (par exemple, ne considérer que des objets animés de vitesse négligeable par rapport à celle de la lumière.). Voilà le témoignage d'un astrophysicien, H Andrillat, s’exprimant à propos du big bang (L’univers sous le regard du temps, page 251 ; Masson 1993) :

Doit-on croire au big bang ?

Il ne faut jamais perdre de vue que la connaissance scientifique n'est qu'une modélisation des faits observés, mais qui possède l'inestimable possibilité d'être évolutive.

Sans nul doute, la modélisation actuelle de l'univers telle que la présentent la

cosmologie relativiste et la théorie du big bang constituera la base de tous les développements

futurs en cosmologie, tout comme la théorie de Newton n'a point été détrônée par la théorie

relativiste de la gravitation d'Einstein.

découvrira pas personne ne le découvrira à sa place. Un domaine de connaissance refusant toute confrontation avec un domaine scientifique traitant des mêmes questions se condamne à errer dans les zones ténébreuses d'une mauvaise métaphysique.

Il ne s'agit pas ici de mettre en concurrence science et religion ; quoi qu'en pense M Planck (voir ci-dessous), chacune ont des démarches qui sont sans commune mesure, et une unité ne peut se faire qu'à l'intérieur des consciences individuelles qui pour des raisons tenant en grande partie à l'éducation et d'une façon générale, aux influences subies dans l'environnement familial-social-intellectuel, ont dû chercher à se construire une philosophie propre à harmoniser en eux des convictions contradictoires.

On ne peut même pas parler d'opposition, car il faudrait qu'il y ait pour cela un espace commun où la confrontation des idées puisse avoir lieu. Or, il y a dés le départ des présupposés totalement contradictoires :

- d'un côté, avec la science, le refus méthodologique des causes finales, le rejet, par principe de toute téléologie58.

- de l'autre les tenants de croyance en une transcendance dominant la matière et imprimant un mouvement à l'évolution.

Mais doit-on parler de vérité, quand il n'est question que de modélisation ? Contrairement à la vérité mythique, qui se veut réponse complète, indiscutable, définitive, rassurante certes mais imaginaire peut-être, la « vérité » scientifique laisse toujours inassouvie notre soif de savoir, abandonnée au tourment de connaître ce que sera la vérité de demain.»

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Ne pas confondre avec la notion de téléonomie, telle que l'utilise par exemple J Monod (Le hasard et la nécessité) : propriété d'un organe de se développer suivant un plan -génétique - déterminé. « Pour être plus précis, nous choisirons arbitrairement de définir le projet téléonomique essentiel comme consistant dans la transmission, d'une génération à une autre, du contenu d'invariance caractéristique de l'espèce. Toutes les structures, toutes les performances, toutes les activités qui contribuent au succès du projet essentiel seront dons dites “téléonomiques” (pus cité page 27) [...] La pierre angulaire de la méthode scientifique est le postulat de l'objectivité de la nature. C'est-à-dire le refus de considérer comme pouvant conduire à une connaissance « vraie » toute interprétation des phénomènes donnée en termes de causes finales, c'est-à-dire de projet . (Opus cité page 32)». Citons également la fin du chapitre comprenant les extraits donnés ci-dessus : « Mais le postulat d'objectivité est consubstantiel à la science, il a guidé tout son prestigieux développement depuis trois siècles.

Il est impossible de s'en défaire, fût-ce provisoirement, ou dans un domaine limité, sans sortir de celui de la science elle-même. »

L'objectivité cependant nous oblige à reconnaître le caractère téléonomique des êtres vivants, à admettre que dans leurs structures et performances, ils réalisent et poursuivent un projet. Il y a donc là, au moins en apparence une contradiction épistémologique profonde Le problème central de la biologie c'est cette contradiction elle-même, qu'il s'agit de résoudre si elle n'est qu'apparente, ou de prouver radicalement insoluble il en est bien ainsi ». Ce dernier aveu d'impuissance caractérise en même temps la force et la faiblesse de la position scientifique. Sa force car elle refuse de dissimuler ses faiblesses ; sa faiblesse car elle prête le flanc à ses adversaires qui n'ont pas la même rigueur de pensée.

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C'est peut-être cette incommunicabilité radicale qui fait qu'un individu peut être un parfait scientifique et un croyant convaincu59 ; l'univers mental d'un tel homme est en quelque sorte coupé en deux, les deux parties ne communiquant pas. Cette coupure n'a d'ailleurs rien d'étonnant, on la retrouve dans tous les domaines d'exercice théorique de la pensée. Dans son effort pour comprendre l'univers le théoricien travaille dans des espaces de représentation60. Celui-ci « comprend » une évolution à l'intérieur du cadre théorique, mais cette compréhension ne lui donne généralement que peu d'informations -quand elle lui en donne - sur la réalité physique elle-même. S'il veut réfléchir sur celle-ci, il lui faut changer de décors, autrement dit de mode de pensée. Berkeley disait : « Penser avec ceux qui savent, mais parler avec le

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Le cas de M Planck, l'un des éminents fondateurs de la théorie quantique (et donc de la science moderne, on lui doit en particulier la découverte de la fameuse constante « h » qui porte son nom), est exemplaire sur ce point. Il dit, à propos de la convergence entre religion et science : « Ces deux routes ne divergent pas, elles se déroulent parallèlement l'une à l'autre et finissent à se rencontrer en un but commun qui est situé à l'infini » (cité par A George, in Planck, autobiographie scientifique, page 22, Champ-flammarion). A la fin du même recueil, Planck écrit « religion et science mènent ensemble une bataille commune dans une incessante croisade qui ne s'arrête jamais, une croisade contre le scepticisme, et contre le dogmatisme, contre l'incroyance et contre la superstition, et le cri de ralliement pour cette croisade a toujours été et sera toujours : jusqu'à Dieu ». Le texte date du début du siècle, à une époque où l'emprise de l'église sur les esprits était encore très grande. C'est l'allusion à l'incroyance qui est ici le plus choquant. La foi du physicien n'explique pas tout ; probablement celui-ci était-il soucieux de ne pas indisposer l'église vis à vis de la science. Mais il faut surtout compter avec la grande foi de Planck en la nature humaine et sa capacité à surmonter ses divergences ; il écrit encore : « L'individu profondément religieux [...] comprend fort bien qu'il peut exister d'autres personnes, d'une foi religieuse aussi profonde, à qui d'autres symboles sont non moins sacrés et chers - exactement comme un concept déterminé demeure inchangé s'il est exprimé par un mot ou par un autre, dans un langage ou un autre ». Utopie... ou aveuglement ? Sans doute ni l'un ni l'autre, simplement l'expression d'une foi candide sans laquelle, peut-être, l'humanité serait vite condamnée à disparaître, ou, moins dramatiquement, ni la science, ni la connaissance ne pourrait se développer.

Il est bien évident que peu de scientifiques partagent, aujourd'hui la position de Planck, et si l'église est bien contrainte au recul idéologique face à la science, elle lui reste, dans son ensemble (je parle ici de toutes les églises confondues, y compris l'Islam qui lui, reste un ennemi farouche, et qui probablement, s'il veut se maintenir, ne le peut qu'en refusant la moindre concession...) hostile, au moins en apparence ; car les responsables religieux savent à quel point les convictions religieuses sont aujourd'hui fragiles, et évitent de cautionner ouvertement ce qui contredit le message biblique.

Un livre, paru chez Hermann en 1990, Hommes de science, 28 portraits, donne

une idée de l'attitude des savants modernes face à la foi. Le livre se présente comme une série

d'entretiens au cours de la quelle ces savants ont été directement questionnés sur leur

conviction en matière religieuse. J'ai effectué un pointage des réponses. Quinze se disent

résolument athée ; deux ne se prononce pas, J Bernard qui, citant un poète déclare, il ne faut

pas être exhibitionniste avec son cœur ; un se déclare agnostique ; huit font preuve d'un

certain scepticisme, en exprimant un vague panthéisme ; en fin deux se déclarent pratiquants,

ce sont deux mathématiciens, A Lichnérovicz et P Germain ; un troisième mathématicien, P

Deligne, se dit très sceptique.

peuple». Participer, donc au discours théorique, mais revenir ensuite au langage direct des sens. Le drame de la science moderne, c'est qu'une telle pratique est désormais impossible, car l'essentiel de la connaissance scientifique est devenu incommunicable. L'est-elle seulement à l'intérieur d'un même individu ? Autrement dit la rupture est double, intérieure pour le théoricien qui ne peut pas utiliser ses modèles formels pour se représenter la réalité, extérieure, puisque, le « parler comme le peuple » n'est plus possible, et que le langage commun (ou plutôt les concepts qu'il permet de représenter) peut seul nous donner une image de la réalité61.

C'est à l'intérieur même de la science que se tient le double discours, il s'instaure entre les scientifiques eux-mêmes qui utilisent le double langage pour tenter de se comprendre, mais sans plus vraiment espérer se faire

Le cas de J Dieudonné, est intéressant, car il met en relief l'ambiguïté des mathématiciens concernant la nature des objets mathématiques. Dans ce livre, il répond à la question, « Quelle est votre religion ?» : J'ai été élevé dans la religion catholique, mais je l'ai abandonnée très tôt. J'ai même cessé de croire aux entités métaphysiques. Mais dans son ouvrage Pour l'honneur de l'esprit humain (Hachette 1987), page 114, il écrit « D'une part par la découverte de concepts qui vont devenir les bases de parties entièrement nouvelles des mathématiques... ». L'idée que les objets mathématiques existent et sont découverts, par la recherche est exprimée nettement par Bourbaki, peut-être d'ailleurs, Dieudonné lui-même!

(Eléments d'histoire des mathématiques, page 30, Hermann 1960) : «Quelles que soient les nuances philosophiques dont se colore la conception des objets mathématiques chez tel ou tel mathématicien ou philosophe, il y a au moins un point sur lequel il y a unanimité, c'est que ces objets nous sont donnés et qu'il n'est pas en notre pouvoir de leur attribuer des propriétés arbitraires, de même qu'un physicien ne peut changer un phénomène naturel ». A la même page Bourbaki cite Hermite : «Je crois que les nombres et les fonctions de l'Analyse ne sont pas le produit arbitraire de mon esprit ; je pense qu'ils existent en dehors de nous, avec le même caractère de nécessité que les choses de la réalité objective, et nous les rencontrons ou les découvrons, et les étudions, comme les physiciens, les chimistes et les zoologistes.»

N'ayant pas d'existence concrète, les objets mathématiques qui sont alors présents matériellement comme forme organisatrice, s'apparentent à la ´Sruti des philosophes brahmaniques ; la Sruti est l'ensemble des textes révélés, au-dessus même de Dieu. Mais n'est-ce pas céder à une forme insidieuse de panthéisme ?

Traitant de l'existence des objets abstraits, G Lochak (La géométrisation de la physique, Champs Flammarion, page 100), cite Louis de Bloglie : « L'inventeur a tout à coup le sentiment très net que les conceptions auxquelles il vient de parvenir, dans la mesure où elles sont exactes, existaient déjà avant d'avoir jamais été pensées par le cerveau humain. Les difficultés qui l'arrêtaient, les anomalies qui l'intriguaient n'étaient, il s'en aperçoit maintenant, que le signe d'une vérité cachée, mais déjà existante. Tout s'est passé comme si, en inventant des conceptions nouvelles, il n'avait fait que déchirer un voile, comme si ces conceptions enfin atteintes existaient déjà, éternelles et immuables, dans quelque monde platonicien d'idées pures.»

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Espaces de phases multidimensionnels où chaque point représente un état du système étudié. Il y a alors autant de dimensions que de paramètres nécessaires à la description du système. Les lignes, surfaces, et leur extension aux espaces d'un nombre de dimensions supérieur à trois n'ont plus rien à voir avec des caractéristiques physiques sensibles du système (c’est-à-dire avec les données de nos sens).

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comprendre des autres. Il faut faire partie du sérail pour percevoir les liens de plus en plus lâches qui unissent l'univers des représentations et celui des sens, celui de l'incertaine réalité. L'épistémologie dont l'une des vocations est de traiter des problèmes relationnels entre les deux univers appartient désormais au corpus de la science. Autrement dit, elle est du ressort des scientifiques.

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