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Conscience et raison 121

Dans le document Td corrigé 1 - Tetralogos pdf (Page 117-120)

CHAPITRE III Sciences

1. CHAPITRE III Sciences

2.3. Le dialogue est-il possible ?

2.6.5. Conscience et raison 121

Wotan, en acceptant le sacrifice de Siegmund, reconnaît que finalement c'est la conscience supérieure des dieux qui doit triompher devant celle d'une humanité qui ne veut se soumettre qu'à des lois naturelles dont la première est celle de l'amour libre de toute contrainte294. Il aura donc extérieurement une attitude qui défend les intérêts de sa classe, mais il fera tout pour que triomphe la raison adverse, et laissera (et surtout aidera d'une manière décisive) à la constitution du couple Siegfried/Brünnhilde. Ainsi, d'une certaine façon, le clan des dominants est constamment menacé par la trahison de ses membres les plus prestigieux par l'intelligence. Otages, peut-être, mais dont le courage intellectuel permet malgré tout de bousculer bien des barrières.

Naguère encore, on considérait que les plus hautes consciences s'incarnaient dans les créateurs des grands systèmes, qui thuriféraires aidant étaient considérés comme détenteurs de vérités absolues qu'il incombait aux communs des mortels de découvrir. Ce temps là n'est pas tout à fait révolu puisque cette solide morale sert encore quelques mandarins qui sévissent encore dans les universités de tous les pays295.

Il n'en reste pas moins que les formes de domination intellectuelle du passé, avec la construction de vastes systèmes296 se voulant bases définitives de la pensée, sont désormais en voie d'extinction. Il y a déjà et il y aura sans doute toujours des formes nouvelles de domination, mais les démarches comme celles des Liebniz, Kant, Hegel, Schopenhauer, Comte, Husserl,

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« ...Mais en même temps, réalité du non-être dont l'intuition accompagne irrémédiablement l'autre (la réalité de l'être) puisqu'il incombe à l'homme de vivre et lutter, penser et croire, garder surtout courage, sans que jamais le quitte la certitude adverse qu'il n'était pas présent autrefois sur la terre et qu'il ne le sera pas toujours, et qu'avec sa disparition inéluctable de la surface d'une planète elle aussi vouée à la mort, ses labeurs ses peines, ses joies ses espoirs et ses œuvres deviendront comme s'ils n'avaient pas existé , nulle conscience n'étant plus là pour préserver fût-ce le souvenir de ces mouvements éphémères sauf, par quelques traits vite effacés d'un monde au visage désormais impassible, le constat abrogé qu'ils eurent lieu c'est-à-dire rien ».(C Lévi-Strauss, dernières lignes des mythologiques).

Lévi-Strauss appartenait à part entière, à la classe dominante ; A l'instar de J Monod dont il partageait le pessimisme réaliste, il n'a jamais été marginalisé, car le remède, destiné alors pour empêcher que ne développe ce pessimisme propre à entraîner les hommes vers la recherche d'un destin individuel, aurait été pire que le mal.

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La prohibition de l'inceste étant la plus contraignante et la moins naturelle, puisque c'est entre les membres d'un même clan que naissent les première relations affectives.

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Ils ont beau jeu, puisque les textes sont la plupart du temps accessibles au public non spécialiste sous forme de traductions toujours contestables, et que las textes originaux (à l’instar de ceux de Nostradamus) sont suffisamment ambigus pour qu'on puisse leur faire dire n'importe quoi, en particulier une chose et son exact contraire.

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Aristote a dominé la pensée philosophique et scientifique occidentale durant presque deux millénaires.

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tendant à construire - ou à découvrir - un sol ferme sur lequel construire une connaissance absolue, ne peuvent plus être crédibles. Lorsque Feyerabend écrit, Contre la méthode, puis Adieu la raison297, ce n'est pas à proprement parlé la raison qui est mise en cause, mais son exercice au service des grands systèmes qui n'ont d'autres buts que d'asservir la conscience humaine à des dogmes dont la vérité n'est jamais que relative. D'une certaine façon, il célèbre la victoire de Loge, flamme subtile et insaisissable, sur le Wotan du Walhall , la mort des pesants systèmes, anéantis par les flammes libres et joyeuses d'une pensée humaine enfin débarrassée des carcans idéologiques.

Il serait cependant injuste de condamner ces systèmes sans reconnaître leur contribution à l'épanouissement de l'esprit humain. Leur rôle a été double :

- l'homme a besoin de connaître des périodes de stabilité, et la vertu des grands systèmes est de créer des paliers qui durant un temps échappent aux turbulences de la pensée humaine, celle-ci retrouve ainsi son souffle. Le noyau stable, tel un cristal dans un liquide en fusion finit alors à céder jusqu'à ce qu'une nouvelle cristallisation s'amorce.

- la pensée a besoin d'obstacles pour progresser ; Wotan doit s'opposer à Siegfried pour que le destin de ce dernier ait un sens.

Le besoin de stabilité, sans doute profondément ancré chez toutes les espèces vivantes, a une redoutable conséquence lorsqu'il devient aussi une exigence de la pensée : les philosophes et d'une façon générale les tenants de la connaissance, restent plutôt proches des pouvoirs, de n'importe quel pouvoir. Heureusement, aucun système, aussi stable semble-t-il ne résiste longtemps aux turbulences lorsque la stagnation devient manifeste, et le danger de fossilisation n'est guère à craindre.

Il existe cependant un danger, mais l'expérience montre qu'il a toujours été conjuré, et qu'il n'y a vraiment aucune raison pour que cela change. Le philosophe, en entendant par là tous ceux qui sont concerné par la connaissance - philosophe au sens premier du terme - reconnaît d'abord qu'il a un intérêt personnel à ne pas trop s'écarter, intellectuellement parlant, des pouvoirs en place ; puis que le savoir lui-même peut et doit bénéficier de cette proximité du pouvoir298. L'escalade consiste alors à ressentir comme une nécessité ce qui n'était considéré au départ que comme une simple tactique.

Ce qui n'était au départ qu'un jeu habile devient pour l'esprit une vérité qu'il est bon de défendre pour elle-même299.

L'ambiguïté d'une telle situation apparaît dans les propos, par exemple de Kant300. La question de fond est la suivante : peut-on défendre une bonne cause avec de mauvais arguments ? Le bon sens nous souffle la réponse : oui, devant les imbéciles ; mais la démarche de Kant est plus contournée, et d'une certaine façon, celui-ci noie le poisson.

« Je ne partage pas, à la vérité, cette opinion exprimée [...] à savoir que l'on peut espérer trouver un jour des démonstrations évidentes de deux propositions cardinales de la raison pure : il y a un dieu, il y a une vie future. Je

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Seuil, 1979, 1989.

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Pour le chercheur scientifique, c'est par exemple obtenir le maximum de crédit de fonctionnement. Ce qui engage certains à coopérer avec l'armée alors qu'ils sont viscéralement antimilitaristes.

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C'est ce qu'on appelle ce laisser prendre au jeu.

300

Critique de la raison pure, opus cité, page 509 et suivantes.

suis certain, bien plus, que cela n'arrivera jamais [...]. Mais il est aussi apodictiquement certain qu'il ne se trouvera jamais d'homme qui puisse affirmer le contraire [...]. Que faire alors pour défendre ces deux vérités indémontrables, « dieu existe, il y a une vie future » ? (Laisser les D Hume, les Priestley développer les thèses du scepticisme). Contentez-vous de laisser faire ces gens là : s'ils montrent du talent, une imagination profonde et neuve, si, en un mot ils font seulement preuve de raison, la raison y gagne toujours [...] dans cette dialectique, il n'y a pas de victoire dont vous ayez sujet de vous alarmer.»

Je risque évidemment de déformer la pensée du philosophe en ne présentant pas tous ses arguments, mais je pense que ces extraits sont parfaitement clairs ; je continue donc.

« Mais lorsque le public s'imagine que de subtils sophistes tendent à rien moins que d'ébranler les fondements du bien général, il ne paraît pas seulement prudent, mais encore permis et parfaitement honorable de se porter au secours de la bonne cause avec des apparences de raison, plutôt que de laisser à ces prétendus adversaires même l'avantage de nous forcer à ramener nos paroles au ton de modération[...] et avouer le manque de certitude spéculative et apodictique. Je serai cependant disposé à penser que rien au monde s'accorde plus mal avec le dessein de soutenir une bonne cause que la ruse, la dissimulation et le mensonge[...]. Je suppose donc des lecteurs qui ne veuillent pas qu'une bonne cause soit défendue avec de mauvaises raisons. »

Kant reconnaît à ceux qui doutent de la vérité des propositions cardinales de la raison pure, le droit de s'exprimer, ceux qui font confiance à la raison savent très bien à quoi sans tenir ; « Mais la jeunesse qui est confiée à l'enseignement académique doit-elle au moins être prévenue contre de pareils écrits et tenue à l'écart de la connaissance prématurée de propositions si dangereuses, jusqu'à ce que son jugement soit mûr ou que plutôt la doctrine qu'on veut lui inculquer soit assez fermement enracinée pour résister victorieusement à tout opinion contraire, de quelque part qu'elle vienne ? »

Kant sent le danger d'une telle méthode qui pourrait très bien induire chez les jeunes se laissant aller à « la curiosité ou à la mode du jour»,et poursuit : « c'est exactement le contraire de ce l'on conseille ici qui doit avoir lieu dans l'enseignement académique , mais sans doute à la condition qu'on suppose pour fondement une instruction solide sous le rapport de la Critique de la raison pure.[...]... il est absolument nécessaire de diriger contre la raison, sans doute encore faible, mais éclairée par la critique, les attaques si redoutable au dogmatisme et le l'exercer à examiner point par point, d'après ces principes, les assertions sans fondement de l'adversaire.».

« Exactement le contraire » et pourtant presque la même chose car Kant poursuit (nous sommes arrivés à la page 517) : « Il n'y a donc, à proprement parler, aucune polémique dans le champ de la raison pure. Les deux partis frappent des coups en l'air et se battent contre leurs ombres, car ils sortent des limites de la nature pour aller dans une région où il n'y a rien que leurs serres dogmatiques puissent saisir et retenir. Ils ont bien combattu ; les ombres qu'ils pourfendent se rassemblent en un clin d'œil, comme les héros du Walhalla, et ils peuvent toujours se donner le plaisir de combats peu sanglants. »

Le langage est étonnant de par son actualité. Car le caractère indécidable des propositions cardinales de la raison pure est aujourd'hui ce qu'il était hier ; à ceci près que les avancées de la science ont donné un 119

avantage quasi décisif à ces suppôts de Satan que sont les sceptiques - car c'est bien là le cœur du problème, il ne saurait y avoir de bonne pensée qu'avec l'aide de Dieu - ; il n'y a toujours pas, pour les croyants, de combat pour la vérité, mais une hargne, qui n'a rien d'évangélique à nier ce qui tend à ne voir dans la foi qu'un engagement individuel auquel la raison est totalement étrangère. Et pourtant Kant l'exprime clairement ; il suffit de s'en remettre au tribunal de la raison pure pour que le scepticisme se résorbe de lui-même, sans que nulle polémique ne se développe: « Et quoique les coups qui ruinent l'édifice de l'ennemi soient également funestes à l'édifice spéculatif qu'il voudrait élever, si jamais il en a formé le projet, il est pourtant fort tranquille à ce sujet, puisqu'il n'a nullement besoin d'une semblable construction pour s'y loger[...]. Il n'y a donc, à proprement parler aucune polémique dans le champ de la raison pure 301». Finalement tout le monde est prêt à accepter cette conclusion de Kant, alors qu'en réalité rien n'a été réglé, puisque le philosophe entend imposer comme axiome ses propositions cardinales, et que ses ennemis ne les acceptent pas dans la mesure justement où rien ne permet de les fonder dans l'absolu. Manifestement nous sommes dans un cercle vicieux d'où Kant ne peut se sortir qu'en en appelant une fois de plus au pari de Pascal : l'homme a besoin d'un maître et se veut immortel, il faut pour sa satisfaction morale construire une philosophie reposant sur ces réconfortants principes.

2.7. Le mythe unitaire

C'est presque celui de l'éternel retour ; les grands systèmes ne sont que des vestiges du passé, mais le rêve qui leur a tous donné naissance est plus vivant que jamais. Et les physiciens ne sont pas les derniers, avec leur espoir de théorie unitaire à caresser ce rêve plusieurs fois millénaire. Deux décennies après la Critique considérant l'existence de Dieu comme une nécessité de la raison, transcendant la raison, Laplace avec son Exposition du système du monde, entendait bien, lui se dispenser de l'hypothèse de dieu. Le dix-neuvième siècle développait alors ce que les scientifiques, dans leur majorité ont espéré être une philosophie alternative au créationnisme ; mais l'illusion s'est éteinte avec l'effondrement de la mécanique classique comme théorie parfaite (et peut-être aussi avec la crise des fondements en mathématique). A vrai dire, il serait sans plus judicieux de parler d'effondrement de l'idéologie sous-jacente à la mécanique classique, celle qui laissait espérer justement une réduction de tous les phénomènes y compris le vivant à des mécanismes gouvernés par la seule physique.

N'est-il pas remarquable que la genèse de la Tétralogie soit contemporaine du constat d'échec de toute théorie globale reposant sur la mécanique newtonienne, et de l'amorce e la crise des fondements en mathématiques? Notons également qu'à cette époque l'émergence des géométries non-euclidiennes sonnait le glas du kantisme comme fondement absolu de la connaissance rationnelle.

Dans le document Td corrigé 1 - Tetralogos pdf (Page 117-120)