• Aucun résultat trouvé

Un monde ouvert

Dans le document Td corrigé 1 - Tetralogos pdf (Page 143-146)

CHAPITRE III Sciences

2. Chapitre IV Philosophie

2.10. Un monde ouvert

Si notre cerveau est le siège de phénomènes biochimiques, qui, bon an mal an, maintiennent une certaine permanence (toute relative, nous l'avons souligné), c'est grâce, en grande partie à un déterminisme rigoureux, sans lequel nos cellules nerveuses n'auraient jamais pu naître. Et pourtant, à chaque instant tout peu arriver, parfois le meilleur - l'idée géniale356 - mais beaucoup plus souvent le pire - l'oblitération d'un vaisseau sanguin357 entraînant la mort de dizaines de millions de neurones- .En fait notre cerveau est un système dynamique, dont les différentes parties sont en interaction continue, entre elles d'une part, avec le milieu extérieur d'autre part, et comme la flamme d'une bougie358 qui oscille au moindre souffle, modifie ses états à chaque stimulus venant de l'extérieur ou de n'importe quelle partie du corps. La simple vision d'un objet, l'audition d'un bruit connu ou mystérieux, la perception d'une odeur - la fameuse madeleine de Proust - déclenchent d'invraisemblables cascades de réactions chimiques, de potentiels d'action qui vont activer d'innombrables cartes cérébrales, dont certaines, renforcées vont donner naissance à un état de conscience déterminé, et sera nécessairement, compte tenu de la multitudes des cas possibles, quelque chose de nouveau, et jamais vécu359. Ainsi, nous réagissons librement, dans les limitent bien évidemment de nos capacités de réaction. C'est un semi-déterminisme qui laisse cependant une large place à ce que nous ressentons comme une liberté d'action. Pourquoi préciser « ce que nous ressentons » ? Simplement parce que nous ne prenons conscience de notre engagement dans l'action qu'au moment même où cette action se déroule ; dans la mesure où l'on rejette toute dualité, il y a nécessairement simultanéité entre l'acte et la prise de conscience de l'acte, et non pas anticipation de la conscience qui déciderait de l'acte360.

Dans son livre récent, Les ombres de l'esprit361, R Penrose, défend la même idée en invoquant la notion de connaissances immédiates ; son but est

356

Peut-être va-t-elle jaillir dans les lignes qui suivent

357

Peut-être ne vais-je pas achever cette phrase !

358

La flamme d'une bougie est l'archétype d'un système dynamique qui ne perdure que grâce à l'énergie qui lui est communiquée par la combustion de la mèche. Que notre cerveau cesse d'être alimenté durant quelques minutes et c'est la mort des neurones qui s'éteignent comme de vulgaires bougies !

359

S'il s'agit de l'émergence d'un souvenir, il n'est jamais revécu de la même façon. La meilleure est que lorsque nous évoquons des souvenirs nous les enjolivons peu à peu, ce qui fait sourire ceux de notre entourage qui se rendent rarement compte qu'ils se comportent exactement de la même manière

360

Tout cela est certainement très discutable, mais c'est presque un raisonnement par l'absurde qu'il faudrait mener. Pour que la conscience agisse sur le cerveau, il faudrait qu'une entité immatérielle communique de l'énergie ; l'admettre c'est renoncer aux axiomes physiques les mieux établis. C'est pourtant le pas que franchit, par exemple Bergson qui tente un rétablissement en écrivant (L'énergie spirituelle, page 35): « Il est d'ailleurs bien possible que si la volonté est capable de créer de l'énergie, la quantité d'énergie créée soit trop faible pour affecter sensiblement nos appareils de mesure». Le philosophe met cependant ainsi en évidence, la difficulté de l'idée de dualité cerveau/conscience.

361

InterEditions, 1996

143

de prouver que notre conscience n'est pas la conséquence de calculs, comme ceux qui sont effectués dans un ordinateur. Autrement dit qu'il existe des phénomènes biologiques qui sont irréductibles à des processus pouvant être décrits par des calculs logiques362. Penrose en déduit qu'aucun ordinateur construit sur le modèle de ceux que nous possédons actuellement ne pourra être équivalent au cerveau humain. Avec cette conséquence qu'aucune machine ne pourra atteindre une conscience semblable à la conscience humaine.

Avant de poursuivre donnons quelques indications sommaires sur le théorème de Gödel. Le point de départ est l'antinomie du menteur, connue depuis l’antiquité : « Epiménide le crétois dit ; tous les crétois sont menteurs», dit-il la vérité ? Il est facile de constater que s'il dit la vérité c'est qu'il ment, et s'il ment c'est qu'il dit la vérité. L'histoire serait un simple canular si, dans la dernière moitié du 19é siècle les fondements des mathématiques n'avaient pas été atteints par des antinomies de même nature. Puis, dans les années trente de ce siècle, K Gödel a mis un point final à tous les espoirs de fondements absolus des mathématiques : un système logique assez puissant pour seulement fonder l'arithmétique, engendre nécessairement des propositions du même type que l'antinomie du menteur, propositions dites indécidables363. Pour comprendre le « drame », il faut se souvenir que le raisonnement mathématique et tous les algorithmes de calcul reposent sur le tiers exclus ; affirmer qu'il existe des propositions qui ne peuvent être ni vraies ni fausses apparaît donc comme une contradiction de nature à ruiner l'édifice complet des mathématiques, ce qui, paradoxalement n'est pas le cas ! Ce qu'il faut alors remarquer c'est que le mathématicien à la possibilité de s'assurer de la vérité de certaines affirmations, en même temps que celle-ci sont reconnues indécidables dans un système logique capable de servir de fondement aux mathématiques. Il faut donc en déduire, selon Penrose que les capacités mathématiques de l'homme dépassent celles de n'importe quelle machine dont le fonctionnement repose exclusivement sur des algorithmes364.

On peut (peut-être) résumer la pensée de Penrose à ceci : soit A le système complet sensé fonder la pensée humaine ; celle-ci ne peut sécréter que des systèmes A' dont les capacités déductives sont inférieures à A. La pensée humaine tombe alors sous le coup du théorème de Gödel. Mais la

362

Il s'appuie pour cela sur le fameux théorème de Gödel que nous avons déjà évoqué.

363

Gödel a construit pour cela, à l'intérieur d'un système logique assez puissant pour fondre l'arithmétique, une proposition qui dit d'elle-même qu'elle n'est pas dérivable dans la théorie, exactement comme Epiménide affirme de lui-même qu'il ment.

364

Si on examine attentivement l'antinomie du menteur, lorsque celui-ci dit : je mens,

on constate qu'il suffit, pour lever le paradoxe, de considérer le « je » comme un « il » ;

Autrement dit que le menteur prenne un point de vue sur lui-même, exactement comme

lorsque l'on a commis une gaffe on se dit à soi-même, « Quel imbécile je fais». Et c'est

peut-être ce que ne peut pas faire une machine, qui est un système fermé ne pouvant se voir entrain

de fonctionner. La machine écrit : soit A la proposition « la proposition A est fausse», et elle

est prise à un piège dont elle ne peut sortir. Pour éviter ce genre de piège, la logique est

construite de façon à ce qu'aucune définition circulaire ne puisse être posée. Une ne doit pas

s'utiliser pour se définir. Il n'en reste pas moins que si l'on veut construire un système

totalement fermé sur lui-même, le système doit avoir les capacités internes de se créer ;

autrement dit est bien obligé de parler de lui-même. D'où le théorème de Gödel.

différence entre A et A', qui fait justement la spécificité de la conscience, permet au système A, suivant des modalités qu'il reste à découvrir de se sortir d'affaire, ce que ne peut faire un ordinateur qui est condamné à tourner sans fin à la recherche d'une solution introuvable, puisqu'elle n'existe pas365.

Il est en fait fortement probable que la différence entre A et A' est considérable. Et cela peut être mis en évidence sans nécessairement faire appel aux niveaux respectifs de complexité. Nous disposons de cinq entrées sensorielles qui sont toutes fortement dépendantes, et d'une richesse inouïe dans tous les cas (combien de nuances de couleurs, de sonorités, de goûts, d'odeurs) ; nos organes sensoriels sont pratiquement capables de nous restituer la quasi continuité naturelle. Comment d'autre part comparer l'activité d'un neurone, doté de ses milliers de synapses avec celle d'un transistor, ne fonctionnant que sur le mode du tout ou rien ? De plus la multitude de nos moindres gestes agit en feed-back sur nos neurones nous rendant capable d'ajuster ainsi le moindre de nos comportements. Aux situations que nous rencontrons. De plus, notre cerveau est un organisme vivant, c'est-à-dire que comme n'importe quel système biologique, il a besoin d'une nourriture spécifique. Si l'énergie lui est nécessaire comme à tous les systèmes dynamiques, il lui faut autre chose pour créer ; et ce quelque chose est l'information. Certes, c'est exactement le cas de l'ordinateur qui lui aussi à besoin d'énergie (électrique, en l'occurrence) et d'information ; mais peut-il créer au-delà ce que qui peut être logiquement déduit de ces informations ? Je pose simplement la question, car lorsque l'on introduit des processus aléatoires dans le fonctionnement d'un ordinateur, j'ignore à quels niveaux elles agissent. En particulier permettent-elles à l'appareil de s'affranchir de ses propres règles logiques comme le fait couramment l'esprit humain366. C'est ce qu'on appelle l'intuition mathématique dont on sait que c'est elle qui fait arriver au résultat, la démonstration demandant un effort de mise en forme logique qui semble bien ne pas nécessiter les mêmes qualités intellectuelles367. Et viendra-t-il le formidable ordinateur doué de son puissant cerveau, aussi performant que celui du plus brillant ingénieur, lorsque que ses circuits fatigués laisseront prévoir, une irrémédiable panne, viendra-t-il donc, comme mon chat, voici peu, me donner son dernier témoignage d'amitié, avant aller mourir caché sans que jamais on ne retrouve sa trace ?

365

A titre personnel, et comme beaucoup de personnes s'intéressant à la mathématique longuement méditée sur les paradoxes de l'infini ; j'ai le sentiment que lorsque la situation devient périlleuse l’esprit abandonne la partie en fuyant un état de conscience devenu insupportable. Alors la grande différence entre un ordinateur et notre cerveau n'est-elle pas la capacité de ce dernier d'éteindre lui-même l'appareil qu'il est ?

366

Il existe de nombreux cas où des mathématiciens ont découvert de grands théorèmes, donc des vérités mathématiques tout en en donnant des démonstrations fausses, ou au moins notoirement insuffisantes.

367

J'ai le souvenir très vif d'un camarade de classe, jugé mauvais élève en mathématiques par les professeurs, mais dont j'étais, moi bon élève, terriblement jaloux, car lui trouvait la solution de problèmes de géométrie avec une dérisoire facilité, là où il me fallait faire de cruels efforts. Mais comme ce garçon était incapable de rédiger correctement une solution, il avait continuellement des mauvaises notes.

145

Dans le document Td corrigé 1 - Tetralogos pdf (Page 143-146)