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Une restructuration permanente des buts poursuivis encouragée par un apprentissage autogéré

3 AUTOUR DE LA VALENCE

3.4 Mutatis mutandis?

3.4.1 Une restructuration permanente des buts poursuivis encouragée par un apprentissage autogéré

Nous avons, jusqu’alors, surtout évoqué une évolution de la valence dépendant de la maturation générale de l’individu. Mais il ne faudrait pas oublier qu’une bonne part de cette évolution dépend aussi de la progression de l’élève au sein de son apprentissage.

Comment évoluent ses buts et ses centres d’intérêt? Comment se manifestent concrètement dans le temps les attitudes

1 Opposant par exemple buts de performance et buts d’apprentissage (learning vs. performance goals chez Dweck), buts de performance ou de maîtrise (performance vs. mastery goals chez Ames) buts sociaux et buts scolaires (Wentzel), buts orientés vers la tâche ou vers la personne (task vs. go oriented goal, chez Maehr, Nicholls ou deCharms). Malgré leurs dénominations différentes, ces théories sont largement convergentes, les différences terminologiques ne mettant l’accent que sur des aspects différents d’un même processus.

opposées de conservatisme et de réforme, de besoin d’affiliation et de besoin d’auto-acomplissement? Ces tendances antagonistes apparaissent-elles dans une succession chronologique définitive, dans une réapparition cyclique, ou dans une ambiguïté irréductible et un double discours systématique?

En admettant comme principale particularité de l’activité musicale le fait de requérir l’assimilation puis l’appropriation d’un code et d’une technique d’expression spécifiques, il semble possible de considérer ces deux contraintes d’assimilation puis d’appropriation créative, dans une perspective développementale tenant compte du degré d’engagement dans l’activité.

L’enquête psychosociologique sur les intérêts artistiques de loisir, réalisée auprès d'une population estudiantine par l’équipe du laboratoire de pyschologie de la culture de Nanterre (Francès, Roubertoux et Denis 1976), apporte des données susceptibles de nous renseigner sur la relation existant entre les attitudes à l’égard de la pratique musicale, et le niveau d’engagement dans cette pratique. Cette enquête révèle, d’abord, une nette différence entre les étudiants souhaitant s’engager dans une activité requérant l’acquisition préalable d’une technique d’expression spécifique (comme la musique ou la peinture), et ceux souhaitant s’engager dans

des activités culturelles de loisir ne nécessitant pas une telle acquisition (arts d’expression littéraire). Sur la base de cette catégorisation, ces auteurs observent, chez les étudiants manifestant un intérêt pour la pratique éventuelle de ces deux types d’activité, une opposition de certains traits de personnalité, opposition qui peut laisser penser que les individus intéressés par une activité requérant l’acquisition préalable d’une technique spécifique correspondent moins au portrait de l’individu à fort besoin d’accomplissement, que ceux intéressés par une pratique ne requérant pas cette acquisition préalable1. Ces auteurs en concluent même que “l’orientation éventuelle vers des arts impliquant l’acquisition d’une technique va de pair avec l’acquisition d’une discipline, une certaine modestie, un certain conformisme” (op. cit., p. 163).

Cependant, ces résultats diffèrent lorsqu’il s’agit non plus d’un intérêt pour la pratique éventuelle mais d’un intérêt pour la pratique effective d’un art requérant l’acquisition d’une

1 Les résultats de cette enquête révèlent pour le facteur bipolaire de modalité d’intérêt M4 (intérêt pour la pratique éventuelle d’arts ne

requérant pas l’acquisition d’une technique opposé à requérant cette technique) des corrélations avec certains traits de personnalité apparentés

au besoin d’accomplissement:

• pour le 16 PF de Cattel: domination vs soumission, suffisance/indépendance vs. manque de résolution;

technique. Dans ce dernier cas seulement, on observe une corrélation au trait de stabilité émotionnelle et surtout de bienveillance (attitude saine et réaliste vis-à-vis des

frustrations et des injures, besoin pressant de plaire aux autres et d’être aimé). Enfin, chez les sujets déjà engagés

dans la pratique d’un art non littéraire (requérant l’acquisition préalable d’une technique), on observe des traits quasiment inverses, à savoir, respectivement, des traits de domination ou d’ascendance, de non-conformisme, de captation d’attention, d’indépendance d’esprit, de fermeté, ainsi qu’un pattern d’anxiété.

Ces observations, ajoutées aux analyses présentées dans le chapitre précédent, nous ont permis d’émettre une première hypothèse de travail:

Le goût pour la réforme du code ou de la technique et les mobiles d’accomplissement dans l’apprentissage musical, n’auraient ni une valeur ni une orientation constante, mais apparaîtraient (ou réapparaîtraient) progressivement au fur et à mesure de l’appropriation d’une technique ou d’un langage — imposant ainsi de mieux prendre en compte la progression et le degré d’engagement dans l’activité d’apprentissage.

Respectueux, soumis à cette technique ou à ce code lors de ses débuts, l’élève parvenant à les maîtriser suffisamment lors de son cursus, pourrait peu à peu agir sur eux, et, en relativisant leur caractère conventionnel et rigide, (re)gagnerait à terme des possibilités d’expression créative et d’accomplissement occultées au début de l’apprentissage. Il y aurait ainsi une transition allant de la prédominance d’un but d’affiliation vers celle d’un but d’accomplissement. Le premier de ces deux buts viserait la reconnaissance sociale des connaissances académiques, ce qui expliquerait, à la fois, l’hypertrophie des questions d’aptitude ou de goût, et le culte de certaines traditions éducatives qui l’accompagnent chez les élèves novices. Une fois ces compétences académiques acquises, le second but serait de les distordre, de les faire siennes en les instrumentalisant à des fins créatives, en se laissant guider par des critères d’excellence qui tendent — pour se venger de ces étapes douloureuses? pour brouiller les pistes de la transcendance artistique? — à déprécier ce que l’on appelle alors fort méchamment, l’académisme.

Plusieurs domaines de recherche semblent conforter une telle hypothèse.

D’abord, la littérature sur le talent musical (Csikszentmihalyi 1986; Bloom et Sosniak 1985) révèle que la capacité à

restructurer ses buts (donc leur valence) est un des traits distinctifs des élèves atteignant un haut niveau de réussite. Selon Manturzewska (1994, p.263) “le talent est un processus de réorientation et de transformation systématique, tant de l’individu que de son activité”. Ensuite, cette approche “évolutionniste” s’accorde aussi avec des conceptions récentes de l’intelligence (voir: Gardner 1983), dans lesquelles la diversité et la flexibilité des processus, la créativité ou la capacité à constamment évoluer, se substituent à une vision “fixiste” critiquable, où l’intelligence se limitait à une caractéristique individuelle prédéterminée et unidimensionnelle1. Enfin, pour revenir à la psychologie de la motivation, les travaux de Deci et de ses collaborateurs (voir: Deci et Ryan 1980; Deci et al. 1991) sur les motivateurs extrinsèques et intrinsèques apportent, comme nous allons le voir à présent, un support solide à ce type d’hypothèse.

1 Selon Viau (1994, p.18 sq.) cette conception fixiste de l’intelligence, soutenue et induite par la logique des tests d’intelligence générale, et l’opposition radicale qu’elle généra depuis les années 1970 (opposition interdisant de recourir à la notion même d’intelligence), formèrent un antagonisme stérile perturbant la diffusion de ces nouvelles théories (Gardner, Sternberg), lesquelles se soucient moins de sélectionner les meilleurs élèves que “d’aider ceux qui ont des difficultés d’apprentissage, et de permettre ainsi à chaque élève d’exploiter au maximum son potentiel intellectuel”.