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Les ressources méthodologiques de la conception des systèmes de culture

CHAPITTRE II : EVALUATION ET CONCEPTION DES SYSTEMES DE CULTURE

2.4. Les ressources méthodologiques de la conception des systèmes de culture

Les systèmes agricoles innovants peuvent avoir diverses origines, parfois ils viennent des agriculteurs, parfois des organismes de recherche, parfois des organismes de développement. Le plus souvent les systèmes de culture innovant sont le résultat de la combinaison de tous efforts via une approche participative. De ce fait l'innovation dans l'agriculture, comme dans d'autres secteurs, est le plus souvent un processus collectif et interactif. Il ne doit pas être considéré comme un processus linéaire, dans lequel se succèdent des étapes de recherche, de conception, de développement, de production et de diffusion, mais comme le résultat de va-et- vient entre ces activités. Le Masson et al. (2006) ont montré que les capacités d'innovation d'une structure ou d'un collectif sont très conditionnées par la gestion de ses activités de conception (le «moment» où l'innovation du concept apparaît et se définit) et l'organisation de ses relations avec la recherche et le développement.

2.4.1. La conception basée sur l’expérimentation: la méthode du diagnostic agronomique La démarche de prototypage a été mise au point initialement par Vereijken pour concevoir des systèmes de production « intégrés » ou écologiques à l’échelle de l’exploitation agricole (Novak, 2008), puis reprise dans de nombreuses expériences de conception de systèmes de culture (Salembier et al., 2018 ; Blazy et al., 2009 ; Rapidel et al., 2009 ; Lançon et al., 2007 ;

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Stoorvogel et al., 2004 ; Rossing et al., 1997) et de système d’élevage, notamment sur l’exploitation laitière (Langeveld et al., 2005).

Cette méthode comporte 5 grandes étapes :

 Détermination et hiérarchisation des objectifs à atteindre;

 La transformation de ces objectifs en paramètres et l’établissement de méthodes de gestion permettant d’atteindre les objectifs fixés;

 Conception d’un ou plusieurs prototypes théoriques de système de culture sur la base des techniques identifiées, en spécifiant l’ordre de leur mise en œuvre et leur cohérence;

 Test du prototype dans des conditions réelles, dans des fermes expérimentales ou chez des agriculteurs;

 Diffusion du prototype une fois que les objectifs ont été atteints par les fermes d’expérimentation qui peuvent servir comme fermes de démonstration, les agriculteurs servent de formateurs pour d’autres agriculteurs intéressés par le prototype.

La méthode du prototypage peut être très efficace pour faciliter l’interdisciplinarité entre des chercheurs et impliquer les agriculteurs dès le départ. Elle a l’avantage de produire rapidement des systèmes de cultures innovants et de les diffuser dans des fermes pilotes. Cependant, l’évaluation sur le terrain du prototype nécessite du temps (4 à 6 ans d’après Vereijken (1997)), et entre-temps les contextes de prix, de politique agricole ou d’innovation technologique peuvent être changés, rendant les prototypes testés caduques ou obsolètes.

2.4.2 La conception à dire d’expert

Cette méthode est fondée sur la mobilisation du savoir détenu par les chercheurs, elle s’impose lorsque la diversité des techniques à tester, est souvent déjà pratiquée par les agriculteurs et ne peut pas être prise en compte par les modèles de culture (le délintage des semences, les régulateurs de croissance et des variétés plus déterminées) (Loyce et Wary, 2006), le processus de conception se déroule en trois étapes (fig. 1.10):

La première consiste à définir un cahier des charges répondant aux enjeux et surmonte les contraintes de production à travers un diagnostic agronomique.

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Figure 1.10 La démarche d’élaboration des prototypes à dire d’expert (Lançon et al., 2008).

Le cahier de charge doit être complété par un ensemble de critères d’évaluations composés d’indicateurs mesurables. En seconde étape les experts construisent un ou plusieurs prototypes théoriquement performants et qu’ils estiment en mesure de répondre à ces enjeux. En troisième étape, une évaluation ex-ante des prototypes, afin de sélectionner, parmi les systèmes de culture imaginés les plus promoteurs avant de les expérimentés au champ (Lançon et al., 2008). Après un ou plusieurs cycles d’itération entre les phases 2 et 3 on aboutit à un « prototype technique » qui peut ensuite entrer dans une phase de test plus large avec les acteurs ou servir de base à une deuxième phase de prototypage dans un réseau de fermes pilotes (Loyce et Wery, 2006).

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Le choix des experts est d’importance car ils sont responsables de la réussite de la démarche de conception. Un groupe de 5 à 10 experts est alors choisi pour mobiliser une expertise au long de processus de conception (il est souhaitable de mobiliser les porteurs d’enjeux, qui assure la pertinence de l’analyse du contexte, valide les contenues du cahier des charges et confirme le choix des meilleurs prototypes à évaluer au champ) (Lançon et al., 2008). La notion de prototype est naturellement liée à son évaluation au champ dans des conditions définies par le jeu de contraintes et d’objectifs, même elle est doublement justifiée (confirmer les performances de SdC fortement innovant et prévoir les risques éventuels que les agriculteurs peuvent rencontrer au cour de la mise en places de ces SdC) (Debaeke et al., 2008a). La conception à dire d’expert s’intègre dans la démarche participative de conception des systèmes de culture innovants, le point fort de cette méthode est sa capacité à solliciter des chercheurs et des experts interdisciplinaires dont les points de vue peuvent être à priori divergents. Les agriculteurs sont impliqués dès le départ du processus de conception (Le Gal et al., 2011; Lançon et al., 2008; Novak, 2008). Cette démarche reste coûteuse et consommatrice du temps, car l’expérimentation au champ mobilise des moyens financiers et humains importants qui ne sont pas toujours disponibles.

2.4.3. La conception assistée par modèle agronomique (l’approche in silico)

Certains méthodes de conception accordent une place majeure aux modèles agronomiques et ne font pas participer les acteurs. De ce fait, elles sont souvent qualifiées de ‘in silico. Les modèles de culture jouent un rôle grandissant dans la gestion des ressources et le développement durable dans divers contextes agro-écologiques et socio-économiques (Jones et al., 2015). Les modèles utilisés calculent la croissance et le développement de la plante cultivée dans des conditions édaphiques, climatiques, et des modes de conduite supposées homogènes (Leenhardt et al., 2012). Ces modèles permettent de simuler le fonctionnement de l’agroécosystème en fonction des systèmes de culture, d’une manière dynamique à pas de temps journalier, par exemple: DSSAT (Jones et al., 2003), Cropsyst (Stöckle et al., 2003), STICS (Brisson et al., 2009 ; Brisson et al., 2003) pour la simulation des effets des systèmes de culture sur les couverts cultivés et le fonctionnement du sol, FlorSys (Colbach et al., 2014) pour la simulation des effets des systèmes de culture sur la démographie de la flore adventice, Moderato (Bergez et al., 2001) pour le fonctionnement hydrique du champ cultivé et le pilotage de l’irrigation, OTELO (Attonaty et al., 1991) pour la simulation de l’organisation du travail dans les exploitations de grandes cultures.

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Les sorties de modèles de culture sont utilisées pour produire des références techniques directement utilisées par les agriculteurs ou les agents de développement, raisonner des pratiques jugées males effectuées (détermination de la date de semis des céréales via le modèle STICS et la dose d’azote pour la betterave par le modèle Azobil) ou ils seront incorporés dans des outils d’aide à la décision (OAD) qui seront mobilisés dans des situations de pilotage tactiques ou de planification (Jeuffroy et al., 2008 ; Carberry et al., 2002 ). Le passage du modèle aux références techniques applicables sur le terrain nécessite un paramétrage dans un large domaine des usages potentiels. Malgré le rôle important de modèles agronomiques, et les gains de ressource et du temps engendré par leur utilisation, ces dernier restent relativement peu utilisés pour la conception de systèmes de culture (Jones et al., 2015). Peut-être parce que les modèles complexes manquent de capacité prédictive (Bergezet al., 2010 ; Jeuffroy et al., 2008), ou sont jugés peu adaptés ou difficile à utiliser par d’autres que leurs concepteurs (Meynard et al., 2012). Ceci est particulièrement vrai dans le domaine de la protection intégrée, car les modèles simulent les interactions entre " pratiques agricoles " et " dynamique des bio-agresseurs " dans un cadre assez restreint (Jones et al., 2015). Les besoins d'outils pour concevoir et évaluer des SdC innovants favoriseront probablement le développement des modèles concernant des échelles spatiales plus larges que la parcelle et des pas de temps supérieurs au cycle de culture. De même, l'évolution des modèles conduira éventuellement à une prise en compte plus fréquente de sorties multicritères et des connaissances expertes (Juffroy et al., 2008).