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2.1 La responsabilité : une définition

2.1.5 L’imputabilité : un concept fondateur

2.1.5.4 La responsabilité face aux risques

Certains se demandent alors s’il ne serait pas nécessaire de remettre un peu de faute dans l’actuelle « société du risque », nommée ainsi par le sociologue

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allemand, Ulrich Beck.173 En effet, de la manière dont le risque est actuellement

conçu, il constitue davantage qu’une menace. Il serait devenu la mesure de notre action. Par ailleurs, telle que vue par Hannah Arendt174, l’action peut être faite

autant par un individu que par un réseau de relations humaines. Cette conception de l’action s’appuie sur un sens politique du concept de responsabilité. Or, en s’appuyant notamment sur les connaissances scientifiques qui nous aident à saisir le monde, la société du risque permet de mieux anticiper les conséquences de nos actions.

Autrement dit, pour se prémunir des possibles conséquences néfastes de nos actions, il faut instaurer des modalités systémiques et systématiques de gestion des risques. Car, si sur le plan des risques politiquement reconnus, l’élimination ou la maîtrise des dangers s’inscrit dans le domaine politique, de la même manière, sur le plan des risques reconnus dans une organisation, une entreprise ou toute collectivité instituée, l’élimination des dangers interpelle la mise en place de modalités collectives de gestion des risques. Autrement, l’entreprise abandonnerait à l’initiative individuelle le contrôle des risques qui menacent l’atteinte de ses objectifs, voire sa survie.

Dans ce contexte où des choix s’imposent pour se prémunir des risques, comme le soutient Beck, les connaissances scientifiques demeurent nécessaires, mais s’avèrent insuffisantes. Car dans la société du risque, il est question de résoudre des problèmes induits par le développement techno-économique, de gestion des risques à divers niveaux, notamment au plan politique puisque la préoccupation de la sécurité doit être intégrée au processus de développement, compte tenu de la connaissance des risques et de la nécessaire maîtrise de ceux-ci. Cette prise de conscience de l’existence des risques implique de briser les frontières entre les disciplines des sciences naturelles et des sciences humaines, entre la rationalité

173 U. BECK, La société du risque – Sur la voie d’une autre Modernité, Traduit de l’allemand (1986)

par Laure Bernardi, Paris, Éditions Aubier-Flammarion, 2001

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des experts et celle de la vie quotidienne. Le critère déterminant n’est plus le seul rapport à la vérité, mais le caractère socialement acceptable, la compatibilité éthique.175

Une telle démarche qui touche à différents domaines peut se confronter à des conflits de définitions, de paramètres d’analyse en cause, d’intérêts, de valeurs. Parce que l’appréhension de la réalité est nécessaire, les sciences peuvent, par souci de rationalité, prétendre informer objectivement de l’intensité d’un risque. Comme le soutient encore une fois Ulrich Beck176, la complexité croissante des

découvertes scientifiques offre aux acheteurs des opportunités de sélection à l’intérieur des groupes d’experts entre eux. La science n’est pas sans faille, transférant ainsi ses doutes du côté des utilisateurs, les contraignant ainsi à assumer par eux-mêmes la réduction de l’incertitude nécessaire à l’action. Ce qui amène Beck à affirmer que l’évolution des sciences vers la généralisation de l’incertitude est irréversible.

Des intérêts sociaux peuvent être divergents et des considérations quant à des possibles valeurs contradictoires doivent être prises en compte. Se pose alors la question de la difficulté de concilier la généralisation du doute avec la nécessité de réduire l’incertitude, cette dernière étant requise pour agir en toute responsabilité. Et c’est là qu’intervient l’éthique, puisqu’elle peut en effet s’avérer un trait d’union interdisciplinaire, en facilitant la résolution de dilemmes ou de conflits de valeurs comme nous l’exposerons dans le chapitre suivant.

Comme le conçoit Beck, sans la rationalité sociale, la rationalité scientifique reste

vide et, à l’inverse, sans la rationalité scientifique, la rationalité sociale reste aveugle.177 C’est ainsi, comme il le constate également, qu’en cherchant à

accroître la productivité, on a toujours eu tendance à faire abstraction des risques

175 P. WEINGART, (1984) Rien ne va plus, p. 66, cité par U. Beck, op. cit. p. 364 176 U. BECK, op. cit., p. 383

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qui en résultent. La priorité est accordée aux gains à court terme et ce n’est qu’après, parfois longtemps après, que l’on réfléchit aux menaces qui en découlent.

De plus, le processus d’individualisation qui s’est intensifié avec la Modernité a conduit à une pluralisation des thèmes de conflit et des lignes de pensée et de conduite. Ainsi, les situations institutionnelles déterminantes ne sont plus les seuls événements auxquels l’individu est confronté, mais également les conséquences des décisions qu’il a prises lui-même et qu’il doit considérer comme telles.

Enfin, comme nous l’avons vu et comme le souligne Genard, l’extension de la responsabilité a également entraîné le développement de la logique de la gestion des risques, référant aux pratiques d’assurances. Nous revenons sur la question de la gestion des risques. Pour clore cette section où nous avons tenté de cerner le sens du concept de responsabilité en comparant son usage dans le contexte actuel de la Modernité avec son inférence dans le monde des Anciens, nous nous arrêtons sur l’objet particulier de l’application d’un tel engagement de la responsabilité.