• Aucun résultat trouvé

1.1 Les principaux modes d’organisation du travail

1.1.3 Le post fordisme/post taylorisme

1.1.3.2 Les limites du mode de gestion 1 Le toyotisme

Il est d’ores et déjà admis que le toyotisme et les modèles d’organisation post- tayloriens ont eu des contrecoups sur les conditions de travail, malgré la simplification du travail manuel. Avec ces nouveaux modèles d’organisation du travail, les salariés bénéficient bien sûr de plus d’autonomie, mais le travail s’intensifie, les contrôles s’accroissent et l’exigence de disponibilité augmente. L’intensification observée découle d’un ensemble de facteurs, notamment de l’augmentation du rythme de travail, de la charge investie dans le travail et des responsabilités quant à la suppression de toutes les sources de gaspillage. L’ensemble de ces facteurs prédispose au stress et à la fatigue nerveuse et peut même mener à l’épuisement psychique comme le soulignent de nombreuses études publiées sur le sujet58. Ces chercheurs ont même qualifié ces

conséquences en terme de « coût de l’excellence », décrivant le phénomène comme un lent processus aboutissant à la brûlure interne de ceux qui se consument dans l’obsession de la performance. Quand la pression monte, deux

57 V. DE GAULEJAC, op. cit., p. 225

58 Mentionnons entre autres Nicole AUBERT et Vincent DE GAULEJAC, Le coût de l’excellence, Paris,

32

options sont possibles : y faire face en s’investissant davantage ou, lorsque la souffrance est intense, craquer.

1.1.3.2.2 L’approche Walmart

À l’inverse du modèle fordiste, pour diminuer les coûts de production et offrir des prix plus bas à des clients peu fortunés, l’approche Walmart diminue les salaires et crée ainsi une nouvelle pression sur les salariés. Dans ce contexte, la main d’œuvre est considérée comme un coût et non comme une ressource, et les salaires, comme une charge qu’il convient de diminuer à tout prix pour améliorer le rendement du capital. L’essentiel des profits réalisés par les entreprises revient ainsi aux actionnaires, au détriment des salariés dont les conditions de travail sont continuellement revues à la baisse au nom d’une plus grande flexibilité.

À titre d’exemple, nous rapportons des événements contemporains pour illustrer l’un des modes d’organisation du travail qui caractérisent le post/fordisme, refusant de reconnaître la représentation collective du personnel. Voici un premier exemple qui a marqué l’actualité au Québec et en Ontario à la mi-juillet 2011 alors qu’une entreprise américaine, IQT Solutions, a décidé de fermer ses portes sans qu’aucun préavis ait été fourni aux employés et sans rien leur verser pour les dernières semaines de travail et les journées de vacances accumulées. Les quelque 1 200 salariés canadiens des centres d’appel situés à Trois-Rivières, Laval et Oshawa ont alors été informés un vendredi qu’ils perdaient leur emploi et qu’ils devaient récupérer leurs effets personnels sur le champ. Il importe de mentionner qu’un des centres d’appel venait d’obtenir son accréditation syndicale quelques jours auparavant. Les analystes de l’actualité économique et les autorités gouvernementales chargées des questions du droit du travail ont réagi fortement à cette situation. Dans ce cas-ci, le rapprochement avec l’approche Walmart

33

concerne la tentative d’utiliser la force de travail à rabais en créant une pression sur les salariés.

Cette approche mise de l’avant par le mode d’entreprise de Walmart a également été récupérée par les gestionnaires des services publics. Nous en voulons pour preuve l’exemple suivant. Confronté à de difficiles négociations, le gouverneur de l’État du Wisconsin aux États-Unis a déposé un projet de loi qui avait notamment pour but, à compter de la fin de l’hiver 2011, de priver les syndicats des employés des services publics de presque tous leurs droits en matière de négociation collective. Le 14 juin 2011, la Cour suprême du Wisconsin a donné le feu vert à l’entrée en vigueur de cette loi controversée, par un vote serré de quatre voix contre trois. Tout cela au nom d’une plus grande flexibilité de la main d’œuvre, d’une plus grande souplesse de gestion et une baisse des conditions de travail et de salaire. De tels modes de gestion entièrement tournés vers la production d’une plus-value sont évidemment très populaires en ce début du XXe siècle, à la suite de nombreuses crises économiques et à l’obligation à laquelle de nombreux États font face.

Pour redresser la situation économique et tenter de protéger une cote de crédit convenable, plusieurs de ces États prennent des mesures visant à réduire la dette tout en tentant le moins possible de hausser les impôts. Dans ce contexte, la réduction des services publics (fermeture de certains programmes et réduction du personnel) ou la détérioration des conditions de travail des fonctionnaires (salaires, régimes de retraite, etc.) se présente souvent comme un passage obligé. Guidées par des impératifs à court terme, ces solutions en demeurent toutefois trop souvent à ce niveau. Ce faisant, elles négligent les considérations relatives à la continuité des services, et ce, même en revoyant le niveau requis de ceux-ci, compte tenu d’une part, de la persistance des besoins des personnes vulnérables et, d’autre part, de la capacité de payer de la part de l’ensemble des citoyens.

34

Ainsi, à l’occasion du Forum économique mondial de Davos tenu en janvier 2011, le président de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques, Yvon Allaire, a soumis aux leaders mondiaux des milieux des affaires onze recommandations visant à dépasser l’impératif du court terme imposé par le marché. Il soulève particulièrement les grands enjeux de la gestion à courte vue des entreprises qui répondent uniquement aux intérêts des actionnaires. Les solutions qu’il propose visent notamment à répondre aux intérêts de toutes les parties concernées. Il s’exprimait alors ainsi : « Le marché et les actionnaires de passage ne peuvent plus imposer le rythme de la performance immédiate et des résultats de court terme sans égard aux autres parties prenantes. »59

De l’ère industrielle à l’époque moderne, cette évolution des modes d’organisation du travail animée par la recherche systématique d’une plus grande efficacité au moindre coût est encore aujourd’hui au cœur des préoccupations. Comme nous l’avons vu précédemment, la quête incessante d’optimisation de l’organisation du travail est d’abord passée par une approche déshumanisante qu’entraînait le taylorisme par une recherche « scientifique » des meilleurs procédés. Puis, cette approche d’amélioration des gains de productivité a été renforcée par le fordisme, avec une standardisation de la production, une offre de modèles en grande série et une bonification de la rémunération des salariés, ceux-ci pouvant alors devenir des consommateurs de leurs produits, que l’on symbolise pour cette époque par une voiture Ford noire. Le travail prenait son sens par l’accès à la consommation qu’il permettait. Pour améliorer le pouvoir d’achat des travailleurs, les prix devaient être les plus bas possible, et les salaires, plus élevés.

Alors que le fordisme évoluait selon une logique séquentielle et mécaniste dans un univers statique, le toyotisme qui caractérise le mode d’organisation qui suit, propose une nouvelle organisation du travail qui évolue dans un univers en mouvement selon une logique holiste et processuelle. Les procédés de fabrication

35

reposent tout d’abord sur une meilleure intégration des personnels, plus polyvalents et donc capables d’effectuer la conception, le dépannage et la maintenance, de même que le contrôle qualité des productions. Pour maintenir l’organisation du travail la plus efficiente possible, la flexibilité et la souplesse qui commencent à prendre place sont alors de mise. D’abord présente sur l’équipe autonome de travail la plus compétente possible, la pression se déplace vers les individus, les professionnels autonomes ou selon l’approche Walmart, les salariés considérés comme des ressources dont le coût doit être réduit au minimum.

Toutefois, les impératifs de la Modernité quant à la promotion des libertés et des besoins individuels ont traversé les frontières de toutes les organisations, ne faisant aucune distinction entre les entreprises privées et lesinstitutions publiques. Comme nous l’abordons, ces considérations relatives aux besoins des individus et de la clientèle ne sont pas sans conséquence pour eux-mêmes et pour les entreprises qui les emploient. En effet, les modes actuels de gestion ne prennent pas suffisamment en compte les valeurs, le contexte et les normes présentes, autant d’éléments dont discute l’éthique, ce qui a pour conséquence de surcharger les individus, en plus d’exposer les entreprises à des prises de risques inutiles, au détriment de l’intérêt des organisations. Pour illustrer les conséquences d’une telle insuffisance, mentionnons notamment les nombreuses situations de fraude et de corruption qui font l’objet de l’actualité et de façon répétée dans l’industrie de la construction, en relation avec les travaux publics. C’est dans ce contexte que l’émergence de l’éthique présente un intérêt incontournable pour les organisations, en particulier du secteur des services publics, et pour les employés, quel que soit le niveau hiérarchique et de responsabilité (cadres, professionnels, techniciens, etc.). L’insuffisance des modes de gouvernance et l’éclosion de scandales éthiques à répétition dans la sphère économique recouvrent un problème d’ordre philosophique qui a trait à la conception de l’éthique qui est véhiculée pour conjurer ce phénomène social. Face aux conflits de valeurs patents qu’imposent les nouveaux modes d’organisation du travail qui tendent à occulter la dimension

36

humaine du travail, le recours à l’éthique est vu par plusieurs comme un moyen de concilier des valeurs opposées.