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L’enjeu : démontrer l’apport nécessaire de l’éthique à une saine gestion

Comme nous l’avons démontré au chapitre précédent, l’entreprise ne peut être servie par une addition de diversités personnelles au risque de ne pouvoir assurer une offre de services équitable et d’une efficience optimale. Le maintien de la cohésion des pratiques collectives sera donc facilité par des modalités éthiques de gestion des rapports interpersonnels, favorisées par une approche de coopération. En effet, dans une entreprise ou toute organisation, les décisions à prendre deviennent très vite complexes et comprennent presque toutes une dimension éthique. Comme le soutiennent des experts en sciences de la gestion, en plus de solliciter le personnel professionnel dans des situations répétées, « la prise de décision est au cœur du processus de management. »344 Lorsque la référence

aux normes est insuffisante pour guider les choix ou la prise de décisions, il importe d’assurer un partage de points de vue en cohésion avec la mission publique de l’organisation. Des expériences occasionnelles permettent d’échanger sur des dilemmes et des situations complexes. Certaines problématiques reconnues peuvent faire l’objet de réseaux d’échange plus formels, sans nécessairement

343 S. L. DOLAN et G. GARCIA, La gestion par valeurs. Une nouvelle culture pour les organisations,

Montréal, Éditions Nouvelles, 1999

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constituer encore ce que certains appellent des communautés de pratique. Pour mieux soutenir le personnel affecté aux services plus spécialisés, il pourrait être intéressant d’élargir les discussions pour mieux saisir les valeurs qui nous animent individuellement dans ces choix souvent isolés au quotidien. Cela pourrait permettre de contribuer à renforcer la construction d’une identité professionnelle, mieux comprendre ce qu’on attend de moi, ce qui doit et peut être.

Comme nous l’avons vu précédemment au premier chapitre, en quelques décennies, la condition humaine dans les entreprises s’est complètement transformée345. Les travailleurs se sont détachés du projet collectif qui les

rassemblait pour se retrouver pratiquement seuls à l’avant-scène. La perte d’identité professionnelle346 a fait en sorte d’accentuer l’importance des repères

qui peuvent contribuer à guider l’action. Avec à la clé, l’augmentation de la pression sur la responsabilité des individus. Comme le souligne Jean-François Claude, « Nous sommes entrés dans l’économie de la personne où l’homme, dans sa personnalité et ses qualités individuelles, constitue une part de plus en plus grande de la valeur ajoutée des produits et des prestations. »347 L’entreprise doit par

conséquent pouvoir compter sur du personnel autonome donnant le meilleur de lui-même.

Or, pour soutenir la prise de décision raisonnable et s’assurer de la bonne conduite des professionnels dans les situations complexes, il est reconnu que des repères normatifs sont utiles pour réduire l’incertitude individuelle. C’est en cela que l’éthique réflexive, telle que définie à la section 3.3, peut s’avérer un outil d’aide à la prise en charge de la régulation autonome. Comme nous l’avons déjà mentionné précédemment, il est toutefois moins évident de s’assurer de la systématisation de tels repères dans une organisation et donc que l’apport de l’éthique soit également

345 Nous référons notamment aux travaux de Michel LALLEMENT, Le travail, une sociologie

contemporaine, Paris, Éditions Gallimard, 2007

346 C.DUBAR, La crise des identités – L’interprétation d’une mutation, Paris, PUF, 2010 347 J.-F. CLAUDE, op. cit., p. 239

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reconnu pour réduire l’incertitude institutionnelle, même si cela peut l’aider à se protéger de ses zones de vulnérabilité, de situations à risque.

Ainsi, comme nous l’avons vu au chapitre 3, bien que l’éthique soit d’abord une affaire individuelle à travers laquelle chaque personne détermine sa propre conduite, l’entreprise en tant que collectif, organisation ou société légitime autour de la production de biens et de services, s’avère également responsable de la conduite du personnel, et ce, par son mode de fonctionnement et des conditions de vie qu’elle instaure. Ainsi, le fait de pouvoir faciliter les échanges entre des individus et des groupes qui ont des points de vue divergents s’avère un moyen reconnu pour s’assurer d’une compréhension commune du sens des actions d’une entreprise, de ses orientations et des valeurs qui y sont associées. La capacité de réagir aux changements imprévisibles est considérée comme une aptitude essentielle d’un leader dans le contexte actuel.348 Or, comme il a déjà été souligné,

il ne suffit pas qu’une entreprise élabore une politique en matière d’éthique pour résoudre les dilemmes auxquels elle peut faire face. « It would be naive to think that devising a corporate ethics policy is easy or that simply having a policy will solve the ethical dilemmas companies face. »349 Dans une perspective

traditionnelle, on s’attendrait à ce que l’entreprise mette en place les dispositifs adéquats et s’assure de la permanence des mécanismes de gestion les plus efficaces. Mais, sans le contexte actuel, la mise en place de solutions adaptées et durables ne semble pas évidente.

Aussi, pour mieux saisir les voies de passage qui rejoignent les saines pratiques de gestion et déterminer comment elles se déploient, compte tenu de la responsabilité qui incombe aux décideurs, nous situons d’abord le contexte de la

348 A. DAY et K. POWER, Trois clés pour diriger, extrait de Rotman Magazine de l’École de

Management de Toronto, publié dans la Revue PREMIUM, Magazine Les Affaires, septembre- octobre 2011, p. 16

349 BAGLEY, Constance E., « The Ethical Leader’s decision Tree », dans HARVARD BUSINESS REVIEW,

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gouvernance des services publics. Nous cernons ensuite ce qu’on entend par le développement d’une compétence éthique ou davantage, d’une culture éthique. Enfin, nous définissons ce concept de la gestion du risque et surtout, ce que son application implique en matière de management éthique, en particulier en ce qui concerne le déploiement de la responsabilité des organisations de services publics et des personnes qui y travaillent, les agents publics.

4.2 La gouvernance

Comme nous l’avons vu au premier chapitre traitant de l’évolution des modes d’organisation, les politiques de l’OCDE ont influencé les modes de gestion au sein de l’administration publique en incitant les administrations publiques à s’inspirer des modes de gestion du privé qui s’appuient sur des impératifs d’efficience, d’efficacité et d’imputabilité au regard de l’atteinte des résultats.350 Transposés à

l’administration publique, ces conditions n’ont pas que des effets négatifs au sens de contraintes sur la gestion de politiques sociales. En effet, de tels impératifs ont entraîné certains changements dans les modalités de gouvernance, rendant plus visible et effective la responsabilité de gestion des dirigeants. En grande partie grâce à cette nouvelle approche de la gestion publique, les concepts de gouvernance, d’imputabilité, de gestion des résultats et de reddition de compte font maintenant partie du paysage des institutions publiques.

Outre ces nouvelles approches managériales, de nouvelles formes de coordination ont été développées au cours des dernières années en réponse aux défis que pose la dispersion organisationnelle provoquée par la complexité et la diversité des situations à prendre en compte. Dans un tel monde dispersé, comme « le centre

350 Nous référons notamment aux travaux de D. C.MENZEL, Ethics Management for Public

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ne peut plus contrôler »351, de nouvelles formes d’organisation mieux adaptées ont

été mises en place. Plus flexibles, elles permettent davantage d’assurer des ajustements rapides et suscitant de nouvelles formes de gouvernance. Comme l’affirme d’ailleurs Gilles Paquet352, « La gouvernance est enfant de la complexité. »

En fait, issue de la complexité, la gouvernance est une affaire de gestion. Elle consiste en « la totalité des différents moyens par lesquels les individus et les institutions, publiques et privées, gèrent leurs affaires communes. »353 Les

principaux éléments caractéristiques de la gouvernance d’une organisation (gouvernement, université, entreprise, organisme public) consistent ainsi en une mission claire, la responsabilité et l’obligation de rendre compte, la transparence et la représentation, la bonne intendance et une continuité assurée, la flexibilité et la simplicité. En pratique, comme l’avance Jean-Pierre Gaudin354, la gouvernance

implique la coordination négociée des différents acteurs sociaux et politiques concernés et signifie pour eux la construction de références communes.

La reddition de comptes s’avère pour sa part être incontournable pour appuyer une approche solide d’imputabilité puisqu’elle oblige la transparence des résultats et la documentation des moyens pour y parvenir auprès de ceux envers lesquels ces services ou produits sont offerts. Dans le cas d’un organisme public, une telle reddition de comptes se présente en double : devant le bâilleur de fonds (citoyens : individus et corporations) et devant le milieu (citoyens et leurs représentants : les députés élus, les organismes de défense des droits, les parties prenantes). Dans ce cas-ci, la reddition de comptes porte sur la qualité et l’équité et tient maintenant davantage compte de la capacité relative de payer les services.

351 G. PAQUET, op. cit., p. 19

352 G.PAQUET, Gouvernance : mode d’emploi, Montréal, Liber, 2008, p. 17 353 M. MAESSCHALCK, Normes et contextes, Éditions OLMS, Europe, 2001, p. 311

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La reddition de comptes est associée à la gestion axée sur les résultats, implantée au début des années 1990, laquelle s’inscrit, comme nous l’avons mentionné au chapitre 1, dans le courant du nouveau management public. Alors qu’il occupait la fonction de secrétaire général du Conseil exécutif au Gouvernement du Québec, Louis Bernard soutenait au sujet de l’imputabilité des fonctionnaires : « La modernisation de notre fonction publique a pour but de permettre à l’administration québécoise de fournir de meilleurs services aux citoyens et aux entreprises en axant sa gestion sur les résultats plutôt que sur les moyens, en responsabilisant davantage les fonctionnaires et en leur conférant plus de liberté d’action, mais également en les rendant directement et publiquement imputables de leur gestion. »355

Ce nouveau cadre de gestion annonce une imputabilité ouverte des agents à l’égard des résultats. Or, l’obligation démocratique de rendre des comptes appelle à une grande prudence. En ce sens, il convient de souligner le changement de perspective relativement à la responsabilité qu’a entraînée ce nouveau cadre de gestion. En effet, comme nous l’avons vu au second chapitre,356 la responsabilité

se positionne désormais de façon différente face à l’action, et ce, tant pour les individus que pour les organisations. Bien qu’elle se rapporte à l’imputabilité, l’application du concept de responsabilité suggère une évaluation « après coup » au sens d’être tenu responsable des résultats ». Or, dans ce contexte des nouvelles modalités de gestion des services publics où tout est posé de façon ouverte et annoncé a priori, la responsabilité se définit davantage comme une manière de se tenir responsable, ce qui impliquerait un engagement à tenir sa promesse.

355 M.-È. BOURQUE Lapointe, M. BOYER et M. JUTRAS, La compétence éthique du gestionnaire

public : un atout précieux, cité dans « Éthique et gouvernance publique – Principes, enjeux et défis », sous la dir. de Yves BOISVERT, Montréal, Liber, 2011, p. 248,

356 Voir à la p. 99, en particulier en référence aux travaux de J.-L. GENARD, La grammaire de la

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À l’instar du secteur privé, la performance économique des structures de prestation de services publics fait maintenant partie des enjeux de gestion des institutions publiques. La sensibilité aux aspects politiques est toutefois beaucoup moins présente dans le secteur privé, et ce, mis à part les projets qui ont un impact direct sur le bien commun. Le secteur privé est redevable devant les actionnaires (résultats financiers) et ses clients (qualité et image de responsabilité sociale). Dans le secteur public, la pression sur les fonctionnaires demeure constante pour les inciter à concilier la pression sur la réduction de l’offre de services ou des choix stratégiques, au détriment du plus grand nombre. L’équilibre entre la réduction du coût des services et le maintien ou l’amélioration de la satisfaction de la clientèle n’est pas une mince affaire, voire un mince paradoxe.