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Dans ce troisième chapitre, comme annoncé plus tôt, seront développés, tout d'abord, de manière générale le vécu migratoire du requérant d'asile, puis je me concentrerai plus précisément sur l'enfant de requérants d'asile. Le but de ce chapitre étant de présenter, dans les grandes lignes, les difficultés rencontrées par cette population. Pour ce faire, je m'appuierai sur les informations recueillies auprès de l'une des assistantes sociales de l'Hospice Général ainsi que sur la documentation fournie par le Fond Houtman sur son site internet. La dernière partie de ce chapitre se centre sur les enfants de requérants d'asile et sur la scolarisation antérieure à la migration de ceux arrivant des trois principales nations de provenance en 2009, à savoir : l'Érythrée, le Sri Lanka et la Somalie.

1.L

E VÉCU MIGRATOIRE DU REQUÉRANT D

'

ASILE

Quand un individu quitte son pays d'origine pour un autre, que ce soit suite à une fuite - comme c'est le cas des requérants d'asile - ou non, il développe ce qu'on appelle un imaginaire migratoire, c'est-à-dire une construction lui permettant d'anticiper la réalité qui sera la sienne après la migration, de se projeter dans un avenir qu'il pense meilleur. Cet imaginaire migratoire contient “des attentes conscientes, issues des fantasmes individuels et culturels” (le fonds Houtman). Lorsque le migrant se confronte à la réalité du pays d'accueil et à la réalité de la demande d'asile, il en résulte, généralement, une remise en question de cet imaginaire migratoire et des désillusions certaines. La réalité de l'accueil engendre bien souvent des problèmes à plusieurs niveaux, quatre selon le fonds Houtman :

- Au niveau individuel : l'incertitude de la décision d'octroi ou non de l'asile provoquant des difficultés de projection et d'investissement dans un avenir alors incertain, la personne "en attente" peut être sujette à des ruminations mentales, peut

ressasser des problèmes rencontrés et la plupart traverse même des phases nostalgiques.

- Au niveau familial ensuite : la séparation avec la famille restée au pays engendrant pour certain de la culpabilité, le manque d'intimité dans le foyer fragilise souvent le couple.

- Le troisième niveau est social, les requérants d'asile hébergés en foyer rencontrent bien souvent des difficultés à assurer un bon niveau d'hygiène, les infrastructures étant parfois insuffisantes. De plus, les problèmes importants de communication ont pour conséquence chez nombre de requérants un sentiment de honte, d'inaptitude sociale qui peut mener à une diminution de la confiance en soi.

- Le quatrième niveau de difficulté est d'ordre institutionnel, l'individu qui rentre dans le processus d'asile doit se soumettre à une longue et bien souvent pénible procédure.

De ce fait, celui qui avant cela vivait plus ou moins librement doit se soumettre aux décisions des autorités et du personnel en charge. Il se voit assigner un lieu de domicile et doit respecter des règles qui vont à l'encontre de son autonomie.

1.L'

ÉLÈVE ISSU DE REQUÉRANTS D

'

ASILE

Les explications et précisions qui seront apportées dans ce chapitre se basent sur l'entretien mené durant l'automne 2009 avec Pascale, assistante sociale dans l'un des foyers Accueil et formation de l'HG.

Pascale a suivi une formation d'éducatrice à l'IES, l'Institut d'Étude Sociale, elle a multiplié les expériences et voilà maintenant dix ans qu'elle travaille dans le milieu de l'asile.

Quand je l'ai rencontrée, cela faisait une année et demie qu'elle occupait un poste dans ce foyer de premier accueil. Auparavant, elle s'était occupée de mineurs non accompagnés pendant 9 ans. Son travail actuel consiste à accompagner plusieurs familles dans leur quotidien. Voici la description qu'elle m'en a donnée :

C'est-à-dire que les personnes… elles arrivent ici elles ne connaissent rien. En règle général, elles connaissent pas la langue, elles savent pas comment notre pays fonctionne, elles n’ont aucune idée de comment faire pour aller à Genève. C'est vraiment de l'accompagnement au quotidien de façon à rendre la personne la plus autonome possible suivant son parcours.

(Pascale, 28 octobre 2009)

S'agissant de la prise en charge des enfants, Pascale m'a plusieurs fois précisé que son travail ne consistait pas à se substituer aux parents, mais à leur permettre d'assurer leur rôle de parents :

Alors par rapport aux enfants… nous, on est pas les parents et on refuse de se substituer aux parents. Donc c'est vraiment accompagner les parents dans leurs démarches de parents. […]

"C'est toi le parent donc appelle l'école si ton enfant est malade", "tu dois aller chercher ton enfant ou trouver quelqu'un qui peut aller chercher ton enfant à l'école s'il est malade" ou

"tu dois l'accompagner le matin, le rechercher à 11h" enfin vraiment heu… ouais ! Remettre aux parents ce qui leur appartient. (Pascale, 28 octobre 2009)

1.1.Quelles caractéristiques, quelles différences & quelles problématiques ?

La première caractéristique que m'a présentée Pascale quand je lui ai demandé ce qui différenciait un enfant migrant "standard", si on peut le formuler ainsi, d'un enfant dont les parents ont fait une demande d'asile, est tout d'abord son vécu. Le départ et le deuil du pays d'origine (qui concerne également l'enfant migrant) et aussi la précarité de sa situation et de celle de sa famille dans le pays d'accueil découlant de l'incertitude quant à la décision d'asile qui sera rendue et donc au futur de la famille en Suisse qui sera rendu possible ou non :

Il a vécu des traumatismes ou des choses difficiles dans son pays, il a vécu un voyage, il a fait un deuil parce qu'il a quitté son pays, il a vécu un voyage plus ou moins chaotique et il arrive dans un endroit, il sait pas trop ce qui va lui arriver et il sait pas combien de temps il va y rester dans cet endroit-là et il subit à contre coup l'angoisse et le stress de ses parents.

Donc en fait la situation précaire des gens qui sont ici retombe forcément d'une manière ou d'une autre sur les enfants. […] Alors, tu me diras que oui, mais n'importe quel foyer peut avoir des problèmes, mais l'insécurité que les gens ont ici, tant qu'ils ne savent pas s'ils vont pouvoir rester ou pas, fait quand même que la situation est plus précaire et plus fragile […]

ils ont toujours cette épée de Damoclès au-dessus de la tête qu'un permis C n'aura pas.

Donc, les racines sont beaucoup plus mouvantes pour nos résidents. (Pascale, 28 octobre 2009)

Elle présente également la problématique, plus particulière aux enfants des familles qui demandent l'asile, de la scolarisation ou plutôt de son absence :

Les enfants de chez nous, y'en a qui n'ont pas été scolarisé du tout. On a des familles Roms où les enfants n'ont quasiment pas été scolarisés. Donc, c'est aussi un apprentissage de vivre

avec d'autres enfants, d'accepter d'être assis, enfin même s'ils ne sont pas forcément assis tout le temps, voilà que t'as un enseignant qui te dit ce que tu dois faire, que tu ne peux pas partir en vrille comme tu veux… heu… respecter l'adulte autre que le parent ou l'adulte tout court, parce qu'il y en a cette notion-là n'est pas évidente non plus. (Pascale, 28 octobre 2009)

Lors de cet entretien, Pascale m'a dit "les enfants… c'est des éponges, donc forcément ils prennent ça.". Être une éponge dans le sens qu'on s'imbibe des soucis, des problèmes des parents, que d'une manière ou d'une autre on les fait siens. L'inquiétude d'un parent, la peur de ce dernier aura des conséquences sur le bien-être de l'enfant. Pascale m'a raconté plusieurs histoires, celles de familles qui arrivant ici se disloquaient, celles de mères ou de pères qui

“décompensaient” qui “décartonnaient”, des parents qui arrivent en Suisse “avec des espoirs, des envies, des attentes et puis ils se rendent compte des réalités” (Pascale, 28 octobre 2009), des parents qui se retrouvent dépendants d'une société qui n'est pas sûre de les accepter, des parents bien souvent déqualifiés, ne voyant pas leurs titres ou leurs expériences professionnelles reconnues, des parents interdits de subvenir par eux même à leurs besoins pendant trois mois, dépossédés de leur indépendance et assistés par des professionnels pendant de longs mois :

C'est vrai que les gens, ils arrivent aussi ici avec des espoirs, des envies, des attentes et puis ils se rendent compte des réalités, donc ça c'est pas évident. Et puis ils se rendent compte que ce qu'ils ont fait dans leur pays, ce qu'ils ont acquis dans leur pays, pour l'instant ça leur sert pas à grand chose, c'est pas reconnu et ça, ça veut dire "ben je suis qui ?". Y'a un gars qui fait les nettoyages ici, chez lui c'était un sportif super connu et il se retrouve à faire les nettoyages ici. C'est un mec en or et il le fait et tout mais pour lui… qu'est-ce que ça veut dire ? (Pascale, 28 octobre 2009)

Tout cela, à des degrés divers bien évidemment, est ressenti par l'enfant qui absorbe et s'imprègne des soucis et des déceptions de ses parents.

L'école et la scolarisation dans les trois principaux pays de provenance

Les pays6 dont proviennent principalement les requérants d'asile sont les suivants : l'Érythrée, le Sri Lanka et la Somalie7. Dans ces trois pays - comme dans plusieurs des autres dont proviennent les autres requérants d'asile - les situations politiques, économiques et sociales sont souvent dramatiques et la scolarisation des enfants souvent difficile. Ainsi en Érythrée, l'UNICEF (2010) précise que, entre 2003 et 2008, le taux net de scolarisation des enfants de sexe masculin est de 50% alors que celui des élèves de sexe féminin est de 43%.

Les taux de fréquentation des établissements primaires de ces enfants sont respectivement de 67% pour les garçons et de 64% pour les filles8. Au Sri Lanka, où une guerre civile oppose depuis maintenant plus d'une vingtaine d'années la majorité cinghalaise aux Tigres tamouls et qui se tente de se reconstruire après le tsunami qui a touché cette île en décembre 2004, le taux net de scolarisation, très élevé de 98% est connu mais pas le taux de fréquentation des établissements accueillant ces élèves9 (UNICEF, 2010). En Somalie, considéré, par l'UNICEF (2005), comme “l'un des pays les plus pauvres et les plus instables du monde” et dans lequel une sécheresse des plus arides touche plusieurs régions rurales, est un pays où la mortalité enfantine (pour les moins de cinq ans) atteint le taux de “225 pour 1'000 naissances vivantes ” et dans lequel 17% des enfants souffrent de malnutrition grave. En Somalie, selon les sources de l'UNICEF seul 13% des garçons et seulement 7% des filles sont inscrits à l'école primaire10.

Dans le monde, l'UNICEF (2009), estime à 101 millions le nombre d'enfants n'allant pas l'école primaire, les filles étant moins nombreuses que les garçons à pouvoir jouir d'une scolarité. Ce sont les continents africain et asiatique qui “rencontrent les plus grandes difficultés en ce qui concerne la survie, le développement et la protection des enfants” (p.18).

6 Nous le verrons plus spécifiquement dans la partie suivante de ce travail.

7 Statistiques au niveau helvétique.

8 http://www.unicef.org/french/infobycountry/eritrea_statistics.html

9 http://www.unicef.org/french/infobycountry/sri_lanka_statistics.html

10 http://www.unicef.org/french/infobycountry/somalia_865.html

L'élève issu de requérants d'asile présente donc plus de risque qu'un élève ne provenant pas de pays dans lesquels les situations économiques, sociales et humanitaires sont problématiques. Le fait de ne pas avoir pu suivre une scolarité continue les expose à un risque plus grand d'échec. La fuite, la situation légale, la dépendance au système de l'asile, les déqualifications ainsi que l'incertitude de la famille concernant un avenir encore indéterminée peuvent déstabiliser le noyau familial des élèves issus de requérants d'asile. Les enfants absorbant soucis et inquiétudes de leurs parents risquent d'avoir plus de difficultés à rentrer dans les apprentissages et à se socialiser avec les autres enfants.

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