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La représentation de l’amour homosexuel dans le cinéma de Xavier Dolan

Chapitre 2. La représentation de l’amour homosexuel dans le film Tom à la ferme de

2.1 La représentation de l’amour homosexuel dans le cinéma de Xavier Dolan

Pour entrer dans l’univers cinématographique de Xavier Dolan, nous observerons d’abord certains procédés artistiques tels que le style Camp, le vidéoclip et la musique, souvent leitmotiv de la représentation de l’amour homosexuel dans son œuvre.

Dans son ouvrage L’œuvre parle (1968), Susan Sontag définit le Camp comme « une variante du snobisme raffiné »71. Le style Camp viendrait de l’expression anglaise « To Camp », qui signifie se camper, soit prendre la pose. Ce style est souvent utilisé comme forme d’expression dans la culture queer72, particulièrement dans la sous-culture gaie masculine.

Dans la représentation de l’homosexualité, le Camp permet de véhiculer une critique qui est elle-même queer, celle de se moquer de leur condition face à un système hétérosexuel. Jouant principalement sur l’esthétisme et l’ironie, le Camp « représente une victoire du “style” sur le “contenu” de l’esthétique sur la moralité, de l’ironie sur le tragique »73.

71 Susan, Sontag, L’œuvre parle, [Paris] : C. Bourgois, 2010, 421 pages.

72 Ibid., p. 4. Ne pas confondre le « camp queer », qui cible particulièrement un public, et le « camp populaire », qui a pour fonction une visée commerciale. Les deux réfèrent à un certain esthétisme, mais ils se distinguent par leur point de vue critique .

73 Ibid., p. 442.

Dans un deuxième temps, nous verrons comment l’amour homosexuel chez Xavier Dolan participe d’une nouvelle génération issue de l’avancée des théories queer et mouvements gais et lesbiens.

Nous finirons, dans un troisième temps, par expliquer comment ces procédés caractéristiques du cinéma de Dolan se transposent dans Tom à la ferme.

2.1.1 Le style Camp chez Dolan

Dans le cinéma de Xavier Dolan, c’est dans la représentation de l’amour que nous retrouvons des caractéristiques du style Camp. Son œuvre témoigne en effet d’une impulsion artistique qui prend part à l’esthétisme Camp. Dans chacun de ces films, le cinéaste montre des personnages qui s’expriment par des pulsions créatrices. Dans J’ai tué ma mère (2009), le personnage principal utilise la technique du dripping de Jackson Pollock pendant un moment d’intimité partagé entre le personnage principal et son amant. Ce choix met en lumière la culture artistique du cinéaste. Dans Les amours imaginaires (2010) et Laurence Anyways (2016), le protagoniste s’exprime par le biais de l’écriture sur un corps étranger (corps humain dans l’un, un mur dans l’autre). Dolan donne aussi une impulsion artistique à la représentation de l’amour à travers l’esthétique du vidéoclip74 qu’il intègre à des moments forts de ses films. Dans les films cités, Dolan insiste sur les moments d’amour par le biais du ralenti et de la musique, un choix stylistique qui permet de montrer l’intensité de l’amour entre les personnages. Le cinéaste choisit souvent de développer l’aspect vidéoclip dans des univers surréalistes. Prenons l’exemple de cette fameuse scène des vêtements qui tombent du ciel dans Laurence Anyways ou encore des « chamallows » dans Les amours imaginaires.

Ces passages développent une poésie de l’image qui pousse à voir quelque chose de plus que la simple image projetée. Ce sont des images symboliques. Elles génèrent un sentiment fort, une émotion sur laquelle le cinéaste souhaite insister. Mais Dolan travaille également des univers plus réalistes où les personnages veulent s’échapper de leur situation, comme dans Matthias et Maxime (2018) où nous retrouvons des plans qui évoquent la quotidienneté. Ces divers plans mettent en scène des personnages amoureux, souvent perdus dans leurs pensées et leur imaginaire.

74 Le vidéoclip se définit comme une séquence vidéo qui illustre une chanson. Le vidéoclip caractérise le travail d’un.e artiste (Larousse en ligne s.d.).

Les univers développés à travers l’esthétique du vidéoclip sont présentés par de la musique intradiégétique (aussi appelé son « in » et son « off ») et extradiégétique (aussi appelé son « hors champs »)75. Le cinéaste joue avec ces deux procédés artistiques. Les personnages, qu’ils soient seuls ou accompagnés, ont besoin d’expurger leur amour, un besoin que le cinéaste manifeste par le vidéoclip. Ces choix mettent en relief l’amour avec un grand A, comme le définit Susan Sontag : ils permettent de se concentrer sur ce sentiment et aucun autre. Sontag cite à ce titre la métaphore du guillemet : « Le “Camp” voit tout entre guillemets. Ceci, une lampe — non, une “lampe” ; là une femme - non, une “femme”, voir le côté “Camp” dans les êtres et les choses, c’est se les représenter, en lui présentant, dans son extension maxima, l’image de la vie comme représentation théâtrale »76. La présence des guillemets permet ici de focaliser l’attention du public. Aucun objet et aucune émotion n’est laissé au hasard. Ces choix esthétiques se rapprochent également du kitsch77. Là où le Camp

« naïf »78 a pour objectif l’exécution de la sensibilité artistique spontanée, le kitsch se rapproche plutôt d’un Camp intentionnel qui a mal tourné : « Le style qui se parodie lui-même »79. Dolan donne un effet kitsch à ses pulsions artistiques. Comme l’exprime Gabriel Laverdière dans son article « L’esthétique rock queer, de C.R.A.Z.Y à Xavier Dolan », « [d]es indices d’un Camp plus ludique paraissent aussi, généralement pour ajouter des pointes d’humour »80. Laverdière donne l’exemple des « emphatiques Fives Roses de Laurence Anyways qui, malgré leur apparente superficialité, offriront à Laurence un refuge précieux, ou encore à certaines chansons qui participent d’un effet kitsch »81. Dans le cinéma de Dolan, l’effet kitsch, souvent volontaire, permet de développer l’incompréhension de l’entourage du

75 Le son intradiégiétique est un son présent physiquement dans les plans d’une séquence d’un film à la différence du son extradigiétique qui est extérieur au plan, souvent rajouté après le tournage pour créer une ambiance. A ce sujet, se référer à Michel Chion, Le son au cinéma, Paris : Éditions de l'Étoile, Paris, Diffusion Seuil, 1985, p. 32-34.

76 Voir Susan, Sontag, L’œuvre parle, op. cit., p. 429.

77 Voir Jean Le Talec, « Le camp : apparence et résistance » dans Folles de France : Repenser l'homosexualité masculine, Paris: La Découverte, 2008, p. 48. Le concept kitsch renvoie à une définition du produit bad-game.

Ici l’utilisation de ce concept renvoie à un cinema dont le style est exagéré et qui paraît grotesque.

78 Susan, Sontag, L’oeuvre parle, op. cit., p. 432.

79 Ibid., p. 434.

80 Gabriel, Lavardière, « L’esthétique rock queer, de C.R.A.Z.Y à Xavier Dolan », op. cit., p. 9.

81 Id.

personnage : en insistant sur l’effet kitsch, le cinéaste met en relief à quel point les personnages sont marginaux et seuls dans leur pulsion amoureuse.

Dolan prend part au style Camp par le biais de différents univers. Dans son ouvrage Le cinéma queer, Barbara Mennel analyse également le Camp comme l’une des volontés de représenter l’homosexualité pour un grand public82. Avec sa visibilité sur la scène internationale, Dolan rend totalement possible la représentation de l’amour homosexuel au plus grand nombre de spectateur.trice.s. Le style Camp et le kitsch participent tous deux à cette représentation dans la mesure où ils permettent de distinguer la patte artistique de l’auteur. Ces caractéritiques sont novateurs chez Dolan car ils parlent à une génération tout entière. Le concept de vidéo-clip est récent et n’atteint pas un large public. Dans le cinéma de Dolan, pour la premières fois, nous observos à l’écran un maillage entre l’univers du film, vidéo-clip, de la musique et d’une culture queer. C’est par l’insistance, la présence de guillemets, et parfois le kitsch, que le cinéaste développe sa représentation de l’amour, un thème central à son œuvre.

2.1.2 L’amour homosexuel à travers une nouvelle génération

La visibilité croissante de l’amour homosexuel permet aujourd’hui de représenter un amour qui n’est plus exclusivement contraint par un cadre hétéronormatif. Dolan affirme d’ailleurs souhaiter que ses films aux thématiques queer soient normalisés, plutôt que catégorisés comme queer : « Se positionnant aux antipodes d’un militantisme gay, Xavier soutient ainsi “qu’il faut arrêter de trop revendiquer certaines choses […]. Il faut aborder l’homosexualité comme étant intégrée à notre vocabulaire, sinon on la marginalise un peu plus. »83. Dans XY, De l’identité masculine, Badinter insiste sur le fait que la masculinité contemporaine est en perte de repères identitaires. Le cinéma de Dolan est intéressant à ce titre puisqu’il ne met pas en scène des personnages qui tentent de s’insérer dans la majorité et qui par conséquent seraient contraints à l’hétérosexualité ; au contraire, il s’agit de personnages qui affirment leur identité.

2.1.3 La retranscription des procédés du cinéma de Xavier Dolan dans Tom à la ferme

82 Barbara, Mennel, Le cinéma queer, op. cit., p. 144.

83 Laurent, Beurdeley, Xavier Dolan : L’indomptable, op. cit., p. 110.

Dans une séquence au bord de la route en campagne, Tom a découpé une bouteille en plastique rempli d’eau dans laquelle il fait tremper un pinceau. Il écrit sur un bout d’essuie-tout quelques phrases exprimant son ressenti (0:00:23 ; 00:01:47). Ensuite, c’est la chanson

« Les Moulins de mon cœur », interprétée par Kathleen Fortin, qui accompagne et introduit les premiers plans du film (00:02:32 ; 00:03:18). Tom, en route vers la ferme, chante à tue-tête, la fenêtre ouverte. Ces premiers plans du film montrent le besoin de Tom d’exprimer son amour. Le public est directement immergé dans l’univers endeuillé du personnage. Tom se confie au public par le biais de l’essuie-tout, ce qui rend sa peine palpable. Expurger son amour devient urgent. De la même manière, le thème du deuil amoureux est développé par l’esthétisme du vidéoclip. Le public est directement immergé dans l’univers endeuillé du personnage. Dans ce passage, la musique est intradiégétique et aucun son parasite n’est présent. Le public peut entendre légèrement la voix de Tom qui chante. Nous sommes face à une forme de vidéoclip. Un procédé semblable est utilisé lors des funérailles, alors que Tom a des flashbacks de ses moments amoureux avec Guillaume. Cette fois, c’est la chanson

« Pleurs dans la pluie », interprétée par Mario Pelchat, qui est entendue. Par l’esthétique du vidéoclip, le public est immergé dans l’amour qu’éprouve Tom pour Guillaume ; ils profitent de l’instant et ont l’air très amoureux. Cependant, l’univers de Tom est brouillé par la présence de Francis. La musique est intradiégétique, mais les sons parasites dans l’église sont présents. Nous pouvons ressentir le deuil amoureux de Tom, mais également son angoisse causée par le milieu rural. Enfin, le dernier moment de type vidéoclip se déroule dans la grange sur la pièce « Milonga de amor », composée par Gotan Project. Dans ce passage, c’est Francis qui met la musique, toujours intradiégétique, et invite Tom à danser. Le public est absorbé par la danse des deux personnages. La voix des deux amants est audible au-dessus de la musique, particulièrement celle de Francis. Ces trois vidéoclips apparaissent ainsi comme trois phases de la trame du film : d’abord, l’univers de Tom endeuillé ; puis, un univers qui se divise en deux à cause de la présence de Francis ; et enfin, un univers qui se réunifie par Francis. Ce choix permet d’emporter le public émotionnellement, car le cinéaste insiste sur deux médias artistiques. Le public est accompagné dans son émotion sensorielle qui est à la fois visuelle et sonore.

Une représentation ridicule de l’amour est également développée dans le film. Lors du passage de la musique « Pleurs dans la pluie » − un grand classique de la culture populaire

québécoise qui n’est pas très propice à des funérailles −, nous apercevons un enfant de chœur qui rit (00:03:15). Si Dolan veut montrer à quel point le moment est fort et important pour le protagoniste, l’enfant est présent pour montrer que d’un point de vue extérieur, l’amour du protagoniste paraît ridicule et surtout kitsch. Il rappelle aussi à quel point l’amour rend aveugle. Mais Dolan n’exagère pas cette intention. L’idée principale demeure l’importance de vivre les moments forts malgré la naïveté amoureuse.

L’ironie caractéristique du style camp est aussi présente. Nous apercevons, par exemple, une affiche « Feel Real » (01:01:00 ; 01:03:00) au-dessus du lit où dort Tom, alors que Francis, son agresseur, mais aussi son amant, se trouve dans l’autre lit à côté de lui. Nous retrouvons également le nom du bar « Les vrais affaires » (00:01:19 ; 00:01:21) où le barman, joué par Manuel Tadros, le père de Xavier Dolan, raconte à Tom la violence de Francis à l’égard de Paul. Ces références issues de la culture populaire sont un parti pris du cinéaste pour appuyer le sort de son personnage.84