L’amour véhiculé par l’art

Enfin, le besoin d’exprimer l’amour homosexuel artistiquement est présent dans les deux œuvres. Dans la pièce de théâtre, l’art est surtout représenté par les dessins et poèmes de Guillaume : « se baigner dans l’eau fraîche jusqu’à ce que le courant nous emporte — Regarder le soleil jusqu’à ce que nos yeux brûlent —Marcher sur la première glace jusqu’à ce qu’elle craque sous nos pas. — On se retrouve dans le haut du champ — Je t’aime, Paul »¹³¹. Guillaume canalise ainsi son amour dans son art et l’enferme dans le placard en le mettant dans la boîte à chaussures. Dans le film, plusieurs exemples montrent le personnage de Tom qui exprime son amour homosexuel par l’art : il écrit ses émotions sur une serviette avec un pinceau (00:00:27 ; 00:01:47) et demande à l’église de jouer une musique dans laquelle il véhicule son amour pour Guillaume (00:20:55). Cette représentation de l’amour homosexuel est propre au choix de Dolan. Tel qu’expliqué dans le chapitre précédent, l’expression de l’amour par l’art est un leitmotiv récurrent dans l’œuvre de Xavier Dolan et il se fait ressentir également dans Tom à la ferme.

À travers la comparaison entre l’écriture dramatique et l’adaptation cinématographique dans Tom à la ferme, ce chapitre nous a permis d’observer combien ces œuvres illustrent deux univers différents tout en persévérant des points de similitude. Le maillage des théories queer et des théories de l’adaptation souligne l’importance d’une vision plurielle de l’amour homosexuel non seulement par le biais des procédés artistiques, mais également par les choix et la vision de chaque auteur, séparés par les générations.

131 Ibid., p. 75.

Conclusion

La présente recherche nous a permis d’étudier deux types de représentation de l’amour homosexuel : le texte dramatique et sa représentation filmique, ainsi que le passage d’un média à l’autre. Au cours de cette étude, notre objectif a été d’analyser comment l’amour homosexuel est représenté dans la pièce Tom à la ferme de Michel Marc Bouchard et son adaptation cinématographique réalisée par Xavier Dolan.

Dans le premier chapitre, nous avons analysé une représentation de l’amour homosexuel où les personnages sont contraints au mensonge dans leur quotidien, vécu dans un contexte hétéronormatif. En insistant sur la production d’un discours sur le mensonge de l’amour homosexuel, Michel Marc Bouchard dénonce comment la société virilise l’hétérosexualité. Ses personnages homosexuels sont dans l’obligation de vivre leur amour de façon cachée, un amour à la fois coupable et condamné.

Dans le second chapitre, nous avons étudié comment Xavier Dolan représente, sous une nouvelle forme, une histoire d’amour homosexuel encore actuelle. Le cinéma est un média de masse qui permet de faire prendre conscience des enjeux sociaux importants, que ce soit de manière individuelle ou collective. Cette étude a d’ailleurs privilégié une approche queer puisqu’elle favorise d’entrée de jeu la remise en question des représentations liées à la sexualité et au désir par-delà le cadre hétérosexuel. Les deux œuvres à l’étude présentent des personnages queer et proposent une vision de l’amour qui diffère de celle imposée par la société hétéronormative. Même si leurs représentations sont distinctes, nous retrouvons dans le texte et le film des personnages homosexuels qui tentent de vivre leur amour. Malgré les avancées des théories queer et des mouvements gais et lesbiens, ces constructions sociales demeurent un traumatisme dans Tom à la ferme, et la représentation de la campagne en est un bon exemple.

Enfin, le dernier chapitre est consacré à l’adaptation du texte au film. Nous avons vu qu’en adaptant le texte Tom à la ferme au cinéma, le cinéaste crée une représentation plurielle de l’amour homosexuel. Chacune des œuvres présente un univers unique et permet le déploiement d’une représentation de l’amour homosexuel, un sujet tabou qui a pourtant subi de grandes transformations, mais qui demande encore aujourd’hui à être entendu et accepté

dans son entièreté. Par le biais de l’écriture, du théâtre et du cinéma, nous observons que cette écoute est possible.

Le motif démontré tout au long de cette étude nous permet de dire qu’il existe un réel intérêt pour ce sujet dans les arts. Les théories de l’adaptation nous ont confirmé le fait que l’adaptation d’un média à un autre crée une tout autre œuvre, distincte de la première, même s’il y a un écho au contenu de la première dans la seconde. Cette possibilité nous confirme qu’une œuvre n’est pas « straight », elle est mouvante. Tout ce processus ressemble au mouvement queer, qui, par sa spécialité, est un mouvement en progression constante, qui sort de la binarité et du « straight », pour créer, finalement, une nouvelle œuvre par le biais de l’adaptation. Cela dit, le mémoire propose une réflexion plus large qui pourrait introduire d’autres aspects, ou recourir à d’autres études, que ce soit en rapport avec la représentation de l’amour homosexuel en tant que tel, ou bien en ce qui concerne chaque média artistique et leur potentiel de représentation. Par exemple, au théâtre, le rapport homosexualité/mensonge, qu'il soit vécu au niveau personnel ou interpersonnel, demeure une composante importante de la représentation, et même d’une étude queer qu’il serait pertinent d’approfondir à partir des œuvres de Bouchard. Dans un même ordre d’idées, et toujours selon une approche queer, la question de l’identité des personnages est une avenue tout aussi captivante à explorer en lien avec la contrainte du mensonge. Comme le souligne Jonathan Ned Katz : « “les concepts d’hétérosexualité et d’homosexualité” se distinguèrent comme

“les catégories principales du système sexuel définissant l’identité personnelle et sexuelle des individus, en réglant leur attitude et leur désir intimes selon une certaine norme” »¹³². Ainsi, les personnages homosexuel.les chez Bouchard participent sans aucun doute à moduler leur identité à cause ou grâce à leur homosexualité, qu’elle se révèle problématique ou non. Il serait donc pertinent d’observer comment les deux concepts, identité et mensonge, se lient et peuvent, ensemble, faire état d’une réflexion chez Bouchard.

À cet effet, il est intéressant de soulever la place qu’occupe le style camp et la culture populaire au cinéma. Dans le cinéma queer, bien qu’évoqué à quelques reprises dans le mémoire, nous retrouvons la présence du style Camp dont l’objectif vise à insérer des références qui s’adressent à toute une culture gaie. Les mensonges et la tragédie des

132NED KATZ, JONATHAN, L’invention de l’hétérosexualité, Paris : EPEL, c2001, p. 189.

personnages homosexuel.le.s se représentent à la fois dans l’ironie et l’acceptation du sort des personnes queer, notamment par l’appropriation d’un vocabulaire qui leur est spécifique, et donc, la création de leur identité.

Enfin, une autre avenue proposée dans ce mémoire consiste à se pencher sur les représentations queer dans le cinéma des nouvelles générations, dont Xavier Dolan est un précurseur. Cependant, de nombreuses représentations queer ont explosé au cinéma au cours des dernières années et il serait sans doute pertinent de les étudier.

Bibliographie

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